Luxe follies
Une veste de smoking glamour, un chemisier en dentelles rose saumon, une petite robe ornée d’un volant froufroutant, un imper avec un petit c£ur pour attacher une fine ceinture, une robe de mariée piquée d’un énorme n£ud papillon, le tout pour quelques centaines d’euros à peine… Une aubaine. Surtout quand on sait que ces pièces peu ordinaires sont signées Viktor & Rolf, le tandem chouchou des stylistes de mode. Eux aussi, tout comme Karl Lagerfeld ou Stella McCartney il y a quelques mois, ont cédé à l’offre, sans doute irrésistible, de H&M. Qui, une fois encore, n’avait rien laissé au hasard : campagne de pub magistralement orchestrée, relayée par le tam-tam, gratuit celui-là, des magazines tout émoustillés à l’idée d’annoncer LA nouvelle… Du grand art.
Le jour dit, il y a un mois à peine, elles étaient quelques-unes à poireauter très tôt devant l’un des magasins de la chaîne, au centre de Bruxelles. Certaines avaient même pris congé. Elles y croyaient. Elles la décrocheraient cette petite veste tant convoitée. Bref, elles se voyaient déjà… C’était sans compter sur l’arrivée en masse de fashionistas de la dernière heure. Dix minutes avant l’ouverture des portes, les rangs avaient explosé, elles étaient des centaines sur les starting-blocks. Au moment du rush final, pas de quartier. La confusion était totale, la bousculade générale, certaines clientes s’emparant sans le moindre état d’âme de piles entières de vêtements toutes tailles confondues pour ressortir triomphantes avec leur butin sur le trottoir. Une véritable opération commando. Résultat : en à peine 8 minutes, montre en main, tout était parti ! Une affaire juteuse, comme prévu et programmé pour H&M, une sacrée désillusion pour des dizaines de jeunes femmes en état de choc devant la puissance de la tornade.
Mais qu’est-ce qui fait donc courir ces passionnées de fringues, ces fans de créateurs au top du top ? Le produit de luxe enfin accessible ? Le vêtement griffé rare, original, à la portée de leur modeste portefeuille ? » Aujourd’hui, dans ses excès – donc plus sexy, plus voyant – le produit de luxe permet de s’inventer une identité qu’on n’a pas, explique la sociologue Saphia Richou (*). Le métabolisme du luxe s’auto-régénère continuellement. Il renaît de ses cendres autrement. Il n’y a pas de pensée unique du luxe qui n’est que paradoxes. Il faut offrir une palette large où chacun peut retrouver sa propre idée du luxe (…) Se laisser porter, ralentir, rêver… il faut décadenasser les représentations des valeurs du luxe. »
Message reçu cinq sur cinq par H&M apparemment. Mais qui laisse un goût amer chez celles qui y ont cru… et sont reparties les mains vides. Mais déjà, dans les coulisses de la firme suédoise on s’agite. Pour orchestrer le buzz, séduire les clientes du printemps prochain. Avec pour appât un autre créateur, tout aussi fashion que le duo néerlandais. Reste à savoir si les laissées-pour-compte de cet automne se feront à nouveau attraper. Chiche ?
(*) » Le Luxe dans tous ses états « , par Saphia Richou et Michel Lombard, éditions Economica.
Christine Laurent
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