Méchamment gentil
Sourires et chocolats. La gentillesse est de retour. Mieux. On nous annonce une révolution douce, venue tout droit des Etats-Unis et largement inspirée de deux ouvrages de management à la simplicité désarmante : la gentillesse génère de la richesse et pas seulement dans les c£urs ( lire page 38). Bref, la gentillesse c’est tendance.
Nous voilà appelés désormais à nous affirmer sans blesser l’autre. Un travail tout en nuances, certes, mais extraordinairement complexe. Car, si l’on en croit Platon, Spinoza, Kant, Freud, Jung et les autres, sans oublier tout récemment le modeste sociologue Michel Fize (*), chacun porte en soi sa part d’ombre. Même les saints. Mi-homme, mi-bête, diable !
Banale, pauvrement banale donc la méchanceté ? De fait. Qui, dans le secret de son âme, oserait affirmer qu’il n’a pas, un jour, voire même peut-être un peu chaque jour, flirté avec Belzébuth ? Désagréable, agressif, haineux, désobligeant, malveillant, cruel, brutal… Notre part méphistophélique affiche de sombres facettes dont nous sommes rarement fiers. Et puis, être méchant, c’est aussi être profondément antipathique, non ? Mais voilà, c’est plus fort que nous.
Car que nous dit Michel Fize ? Que la méchanceté, hélas, hélas, est inhérente à la condition humaine. Qu’il n’y a de méchanceté que volontaire (eh oui, c’est fait exprès). Qu’elle est universelle (on la croise sous toutes les latitudes et toutes les longitudes) et n’a pas d’âge. Au contraire, elle remonterait à la nuit des temps. Bref, elle est incontournable, inévitable. Pis, elle peut vampiriser même les meilleurs sentiments. » Le mal fait partie de la bonté « , affirmait même Victor Hugo dans » Les Misérables « . Mi-ange, mi-démon, le constat est donc sans appel.
Mais Fize est optimiste. » La lutte contre la méchanceté est affaire de volonté sociale « , prétend-il. Tout comme les Américains d’ailleurs. Eux qui ne ménagent donc pas leur peine pour démontrer qu’être gentil, ce n’est pas forcément se montrer sans caractère, faible, voire niais. Bien au contraire. Et d’inviter chacun à se laisser aller volontiers aux cadeaux, aux compliments, au petit mot pour l’un, pour l’autre… Rien que du bonheur. Notamment, of course, au sein des entreprises. Et c’est là, vraiment, qu’ils sont très forts, ces Américains. Car faire rimer gentillesse et rentabilité, quel sens subtil du business !
(*) » Mais qu’est-ce qui passe par la tête des méchants ? « , éd. Les Editions de l’Homme.
Christine Laurent
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