Passion : accessoires
Elle a inventé le talon confortable et a imposé les bouts ronds. Karine Arabian fête le 7e anniversaire de sa griffe et s’expose au Musée de la Mode à Marseille. Rencontre avec une surdouée des accessoires.
Karine Arabian reçoit dans sa vaste boutique-bureau située dans la rue Papillon, à deux pas de la Gare du Nord à Paris. Regard pétillant et sourire éclatant, la créatrice passe en revue les points forts de sa nouvelle collection. » Depuis le début, mon fil conducteur c’est la ligne, s’enthousiasme-t-elle. J’aime jouer avec les proportions et les différentes matières, mais la ligne est toujours présente, pour apporter une touche graphique et structurer la collection. »
Cette démarche créative s’illustre parfaitement dans cette sandale juchée sur un talon fin. Les lignes filent dans les directions parallèles ou se croisent, créent des pleins et des vides, à la façon d’un tableau de Mondrian. Décliné aussi en sandales ultraplates, ce modèle fort donne le ton à toute la collection. Là, on remarque un important renfort qui emboîte le talon et contraste vigoureusement avec la finesse de la sandale, construite avec des rubans de cuir fins et un talon effilé. Ici, une bottine réalisée en gros cuir grainé blanc, se hisse sur un talon épais, audacieusement découpée sur le cou de pied et au niveau du talon et dont tous les contours sont soulignés avec un cordon enveloppé dans une résille métallique dorée. Un graphisme original envahit par ailleurs une chaussure réalisée avec une panoplie de rubans tantôt plus fins, tantôt plus larges en vernis noir et blanc et en cuir métallisé de couleur rouille. Mais la collection est aussi rythmée par des modèles plus » quotidiens « , équipés de talons de 4 ou de 6 cm, dessinés avec des lignes plus ondoyantes et sensuelles et terminés par des bouts arrondis qui ont fait la renommée de la créatrice.
Les sacs sont une autre spécialité de Karine Arabian. Le cabas zippé Nord-Sud tient toujours la vedette. Réalisé en gros cuir grainé, il a l’air bien lourd. Et pourtant, il est léger comme une plume d’où son immense succès. Il est décliné en version ville et week-end, uni ou bicolore. Le Grand Forçat, l’autre best-seller, est reconduit en format XXL.
Née à Paris en juillet 1967, Karine Arabian a vécu son enfance » au milieu des tissus et des cuirs « , entre un grand-père bottier, une mère employée dans la confection et un père tailleur sur mesure. Cette grande famille d’artisans arméniens est installée en France depuis plusieurs générations. » J’ai fait Esmod ( NDLR : Ecole Supérieure des Arts et Techniques de la Mode) pendant 6 mois et Berçot ( NDLR : Studio Berçot : formation de styliste) pendant six autres mois, raconte la créatrice avec un sourire malicieux. L’école, ce n’est pas mon truc. J’y suis restée peu de temps, mais j’ai beaucoup appris. » Ses connaissances, elle les met en pratique en assistant Mariot et Chanet, le couple créatif du label » E2 « . Pas longtemps. La première guerre du Golfe, en 1992, crée une véritable hécatombe dans la planète mode et elle se retrouve sans emploi.
La jeune femme tente de rebondir : elle réalise des costumes de théâtre et crée des bijoux avec un stock de perles. En 1993, Marthe Lagache, marraine du Festival de Mode à Hyères, l’incite à y participer, en présentant une collection de bijoux… Elle se pique au jeu et propose une ligne kitsch et exubérante, conçue dans l’esprit parisien des années 1950.
En pleine tendance minimaliste, le style de Karine Arabian trouve des aficionados. On lui offre un stand au Salon Première Classe, à Paris. Les boutiques les plus pointues achètent ses opus. Pendant deux ans, elle travaillera pour Swarovski. Chanel la contacte à son tour en 1997 et lui confie la création mais aussi la production de bijoux et de petits accessoires. Puis, la jeune femme envisage de reprendre sa liberté. Doté d’un bon bagage dans la chaussure masculine, son cousin Daniel Yeremian lui propose de fonder leur propre société. La griffe Karine Arabian naît à l’aube du IIIe millénaire, en janvier 2000.
Aux bijoux et aux sacs, Karine Arabian ajoute une troisième corde à son arc, les chaussures. » C’était un domaine tout à fait nouveau pour moi, souligne-t-elle. Mais, finalement, je me suis fait connaître auprès du grand public par la chaussure, car j’ai apporté une vraie innovation en remettant au goût du jour le bout rond. A l’époque, on portait des baskets ou des talons hauts. J’avais envie d’autre chose, je voulais une chaussure confortable. Alors, j’ai pris une Nike et je lui ai mis un talon. Aujourd’hui, tout le monde fait la même chose et on me qualifie de précurseur « .
Les fashionistas adorent ses ballerines, ses escarpins haut perchés mais tellement confortables ou ses bottes et bottines » seconde peau « . » Je porte uniquement mes propres chaussures, souligne Karine Arabian. Elles sont faites par une femme pour les femmes. C’est toute la différence avec les créateurs masculins : ils subliment les fantasmes de la femme. Moi, je respecte le pied féminin et veux rester dans la sensualité, l’essence de la féminité. »
En 1999, Karine Arabian s’est rendue pour la première fois en Arménie, comme touriste. Depuis lors, elle tisse des liens de plus en plus étroits avec le pays de ses ancêtres. En 2006, pour l’Année de l’Arménie, elle a présenté un défilé de mode à Erevan. Il mettait en exergue sa facette française. 2007 est l’Année de l’Arménie en France… La créatrice y présentera sa facette arménienne. Lors de ses voyages, elle a identifié les meilleurs artisans arméniens qui travaillent le bois, la pierre semi-précieuse, et les bijoux. Une collection commune de sacs, de chaussures et de bijoux a vu le jour. Le clou ? La chaussure » Minérale « , pièce unique, dessinée par Karine Arabian et réalisée par des artisans arméniens en bois, en cuir, en argent et en agate. Tout à fait portable, achetée déjà par Madonna, elle figure sur l’affiche annonçant l’exposition » Erevan – Marseille Visa pour la Mode » qui se tiendra, du 16 mai au 30 septembre prochains, au Musée de la Mode de Marseille.
Carnet d’adresses en page 81.
Barbara Witkowska
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici