RONRONS

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*) Edition du 8 décembre 2003.

Barbant, rasoir, assommant, voire carrément enquiquinant. Pas l’ombre de la moindre paillette, d’une douce rêverie, d’une promesse de volupté. Le quotidien jusqu’ici, c’était bien souvent de l’ennui qui s’incruste au détour des jours, un zeste de léthargie, quelques soupçons de mélancolie liée aux petits gestes répétés et attendus. De quoi bâiller à cent sous de l’heure. Mais, bonne nouvelle, tout ça c’est fi-ni ! En ce beau mois de janvier, alors que démarre une année toute neuve, les trendsetters nous le claironnent haut et fort : désormais, c’est bien dans le ronron, le train-train, la routine, les chemins battus que se nichent les fantasmes.

On a peine, certes, à le croire, tout imbibé que l’on est d’un futur proche riche de promesses, de richesses, d’amour. Ne rêve-t-on pas tous les yeux ouverts ? Rencontrer, enfin, le prince charmant, trouver un chouette boulot, gagner à la loterie… Tout comme l’espiègle Perrette, épinglée déjà par La Fontaine, ou la belle Emma croquée par Flaubert, celles-là même qui se dotaient par anticipation de lendemains tout en couleur et bien loin de la grisaille de leur existence. Mais voilà que tout se bouscule. Désormais, le hype et le quotidien se mêlent, créant de nouveaux frissons.

La vie de tous les jours des gens ordinaires fait, en effet, un tabac.  » Le quotidien est un enjeu esthétique fort. Dans la mode et l’art contemporain, il est une subversion presque invisible, puisque camouflée « , explique  » Le Journal du Textile  » (*). Résultat : on jette sur le commun un regard tout neuf, tout en jouant sur le paradoxe du jamais-vu. Déjà les stylistes s’agitent pour leurs productions, les photographes aussi. Il s’agit de dénicher l’endroit banal que l’on immortalisera au gros grain, avec des mannequins aux yeux tout rouges rappelant les images d’amateur. Terminés, le formalisme, l’élitisme, place au cool, y compris dans les situations les plus  » dress code « . La publicité, l’art, l’habitat, la mode, tout y passe. Effet miroir garanti. En regardant l’autre, ne se regarde-t-on pas soi-même ? Avec pour conséquence qu’il est plus difficile, encore, d’échapper à l’impact d’un message premier degré, immédiat, fort, désarmant.

Oui, pas de doute possible : on vit une époque formidable. Avec pour icônes ensorceleuses, non plus Marilyn, Monica, Carla ou Pamela, mais bien le modeste passant ou la voisine de palier.

Christine Laurent

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content