Sagrada Familia
Devine qui vient dîner ce soir ? Autour du sapin, les invités-surprises sont absents. Aussi rares que les fidèles à la messe de minuit. Normal. Noël, c’est un peu le paradis perdu, avec la bûche comme madeleine de Proust. Un rendez-vous sélect et très exclusif, réservé aux seuls membres de la famille. Non pas le trio traditionnel grands-parents, enfants, petits-enfants, certes. Oublié, tout ça ! Pour preuve, la récente enquête réalisée par les universités de Liège et d’Anvers et publiée par le quotidien » Le Soir » (édition du 11 décembre dernier). La famille devient plurielle, complexe, les tribus recomposées se multiplient. Pour mieux se retrouver autour du sacro-saint épicéa. Et alors que les normes sociales sautent, l’authenticité de la relation s’intensifie. La néofamille devient refuge, mais aussi piège. La voilà surinvestie et fragile. Un magma émotionnel qui peut permettre de soigner ses bobos, mais qui peut se révéler aussi une vraie bulle désenchantée. Surtout dans ce huis clos des fêtes tout entier tourné vers les relations intimes. Car Noël fait bien figure de trêve collective, de nid qui permet d’être entre soi, un moment magique qui masque les tensions mais et qui, paradoxalement, peut aussi les exacerber. Jalousies, discordes, mesquineries, tout n’est pas que bonté et bienveillance autour de la dinde, malgré les bulles, le cérémonial immuable des cadeaux, le rite de la nourriture, la consommation effrénée jusqu’à l’éc£urement parfois.
Nostalgie, nostalgie. Chacun, dans son coin, fait de réels efforts pour revivre l’impossible rêve, celui d’une famille idéale, préservée, chaleureuse, véritable repaire au milieu du chaos. Et pourquoi pas ? Cette parenthèse enchantée, qui a le mérite de rassembler généralement toutes les générations, peut aussi consolider les liens, nourrir les attachements familiaux. On fait le gros dos sur les détails, on se montre » généreusement égoïste « . On donne, on donne : de la présence, de l’écoute, des cadeaux, des rires, de la tendresse. Lâcher. Laisser de côté le frileux pour redécouvrir la solidarité. En se nourrissant du plaisir d’être ensemble. Bien sûr, tout le monde n’est pas gentil, tout le monde n’est pas beau. Mais sans pour autant croire au Père Noël, on peut encore poser sur ses proches des yeux d’enfant. Une rétromodernité pile-poil dans le courant d’air du temps. Un Noël futé qui intègre les équations sentimentales complexes. Rien que de l’affect, certes, mais aussi, parfois, un vrai moment de grâce. Bonnes fêtes à tous !
Christine Laurent
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