Serge Lutens un parfumeur à Marrakech

Barbara Witkowska Journaliste

Serge Noire ( 4.). Un très joli nom et un sympathique jeu de mots pour le dernier opus olfactif de Serge Lutens (1.). Tout commence dans les années 1990, lors du premier voyage du grand parfumeur au Japon. Dans les petites échoppes un peu mystérieuses où l’on vend des yukatas (kimonos légers pour hommes et femmes) s’échappent de singulières vapeurs d’encens.  » J’ai eu un coup de foudre pour cette odeur, raconte Serge Lutens. Face à mon enthousiasme on m’a offert un petit bout d’encens grisâtre. J’ai décidé de le traduire, un jour, en parfum. Le travail m’a pris dix ans.  » Lors de la lente élaboration de cette senteur très nouvelle, chic et élégante, à la fois fumée, cendrée et poudrée, une image n’a pas quitté le créateur : celle d’une femme éthérée, au visage très blanc encadré de cheveux noirs et raides coupés au carré, habillée de bas blancs, chaussée de talons plats, une cigarette à la main.

Son  » royaume  » marrakchi. Artiste singulier et confidentiel, Serge Lutens a reçu Weekend, en exclusivité, dans sa maison de La Palmeraie à Marrakech, acquise en 1974 : son jardin secret où il se réfugie pour réfléchir, méditer et créer. En sirotant un thé à la menthe, il égrène les souvenirs. En 1968, il prend les fonctions de directeur artistique des Parfums Christian Dior, à Paris. Après sa rencontre avec la marque japonaise Shiseido, il travaille à Tokyo, conçoit ses maquillages avant d’obtenir carte blanche pour créer une parfumerie d’exception : Les Salons du Palais Royal ( 2. et 3.), à Paris, un lieu secret bien connu des amoureux des élixirs rares. Puis, petit à petit, il prend ses distances…  » Aujourd’hui, confie-t-il, je m’attache à une qualité et à une intensité de vie. Le travail que je fais ne me demande pas d’être en contact avec les gens. Je ne suis pourtant pas un ascète, j’ai juste envie de prendre du recul. Tout en restant très actif. J’aime faire, avancer, travailler, évoluer. Faire, c’est le seul recours pour être heureux dans la vie.  »

Ses contes olfactifs. Le premier parfum de Serge Lutens, créé au début des années 1990, s’appelle Féminité du Bois et célèbre sa passion pour le Maroc.  » En 1968, lors de mon premier voyage, j’ai ramassé un bout de cèdre de l’Atlas. Ses arômes crémeux, mielleux et sensuels m’ont donné tout de suite l’idée d’un parfum, très concentré en notes boisées.  » Puis viendra l’heure des fleurs (Fleurs d’Oranger, Rose de Nuit, Un Lys, Datura Noir, Tubéreuse Criminelle) et des senteurs mystiques et littéraires inspirées par les récits de la Bible et les légendes orientales (Arabie, Muscs Koublaï Khan, Rahat Loukoum, Chergui, Fumerie Turque). La collection réunit aujourd’hui 25 parfums (dont 17 présentés dans un écrin  » cloche  » disponibles en exclusivité aux Salons du Palais Royal) et s’enrichit chaque année de trois nouvelles références.  » Le parfum et moi, c’est une histoire affective, une histoire d’amour, conclut Serge Lutens. Je n’ai pas d’ambition de succès planétaire. J’ai une vision très personnelle de la parfumerie. Si je disparais, cette parfumerie n’existera plus.  »

Carnet d’adresses en page 95.

Barbara Witkowska

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