Sèvres à la pointe de la modernité

Barbara Witkowska Journaliste

Gardienne d’un patrimoine prestigieux, la Manufacture Nationale de Sèvres bouillonne d’idées et ne cesse d’innover. Une superbe collection de bijoux verra le jour en septembre prochain… Tandis que se nouent de nouveaux liens autour de grands noms de l’art contemporain.

C’est une grande première. Dans quelques semaines, une collection de parures en porcelaine quittera les ateliers de la Manufacture Nationale de Sèvres, dans les Hauts de Seine, en France, pour sublimer la personnalité de quelques heureuses élues. Menée en partenariat avec le 107Rivoli (lieu d’exposition et boutique du Musée des Arts décoratifs, à Paris), cette initiative unique ne sera plus jamais répétée. La collection, nommée poétiquement  » Choses de flot et de mer  » est l’£uvre d’Annabelle d’Huart, photographe et sculpteur de renom et complice de la Manufacture depuis une dizaine d’années. On lui doit déjà le ravissant service  » Atlantide  » ainsi que la tasse  » Hommage à Ruhlmann « .

L’artiste a reçu carte blanche.  » Ce qui m’intéresse dans le bijou, c’est sa valeur symbolique, son côté amulette, explique-t-elle. Notre société manque de  » trésors « . Or, dans la nature on peut puiser d’autres merveilles que les pierres précieuses. Avec cette collection, conçue en hommage à la mer et au vent, j’avais envie de donner aux femmes l’envie et la possibilité d’explorer un cabinet de curiosités. Toutes les pièces sont uniques. Comme des minisculptures, on peut les toucher, les tenir au creux de la main. « 

Des créations sensuelles

Native de Marseille, dotée d’un physique de sirène, Annabelle d’Huart adore la mer et les plages. Pas celles peuplées de corps bronzés et glamoureux, mais toutes les autres : solitaires, sauvages et abandonnées, lunaires et minérales, jonchées de moult choses  » modestes  » crachées par la mer. Ce sont ces spirales d’Archimède, protozoaires phosphorescents, coquillages et autres animalcules marins, disloqués par les vents et patinés par l’eau qui ont inspiré des dizaines de colliers, de pendentifs ou de broches.

Sensuels, tout en courbes et délicatement colorés, les différents éléments sont montés avec du chanvre, de l’or et des cordelettes de lin et de soie. Au total, 300 pièces déclinées en 42 thèmes. Chaque pièce est solitaire mais tout est solidaire, comme un puzzle géant.  » Je me suis beaucoup investie dans ce travail, confie Annabelle d’Huart. Je voulais mettre à contribution tous les ateliers de la Manufacture et leur savoir-faire. Chaque pièce est réalisée et peaufinée minutieusement à la main, dans une démarche lente et profonde.  » Précieux, raffinés, ils ne sont jamais ostentatoires et se contentent d’apporter de la force et la personnalité à celle qui les adopte.

Artistes en résidence

Sous l’impulsion de son nouveau directeur, David Caméo, Sèvres consacre, depuis 2003, 70 % de sa production à la création de pièces originales d’artistes, de céramistes, de sculpteurs et de plasticiens contemporains (30 % sont réservés à l’édition de pièces de porcelaine classique). La liste est trop longue pour les citer tous. Mais épinglons Johan Creten, artiste belge né à Saint-Trond qui achève une résidence de trois ans au sein de la Manufacture. Souvent monumentales, ses créations en grès ou en porcelaine ont des formes étranges où se mêlent l’humain, l’animal et le végétal.

Les pièces phares ? Son  » Odore di Femmina de Sèvres « , en forme de buste de femme recouvert de roses, selon la technique revisitée du xviiie siècle. Spectaculaire et très original, il reflète toute la mystique et la complexité de la féminité.  » A la fois coupante et fragile « , dixit Johan Creten. Une définition qui irait comme un gant à… Gabrielle Chanel. Il ne faut donc point s’étonner que la prestigieuse maison parisienne a passé commande à l’artiste belge pour un buste gigantesque qui trône désormais dans la boutique Chanel Joaillerie, place Vendôme, à Paris. Les roses, toutefois, ont été remplacées par des camélias, fleurs fétiches de Mademoiselle.

Parmi les autres pièces imaginées par des artistes, pointons les vases d’Ettore Sottsass, véritables petites architectures, dont l’un a nécessité la mise au point de nouvelles couleurs, tel ce rouge orangé, si particulier, souhaité par le designer italien. Arman, pour sa part, a créé ce curieux  » Vase « , coupé en trois tranches. L’artiste japonaise Yayoi Kusama, célèbre pour ses citrouilles, a réalisé  » Golden Spirit « , drôle de personnage androgyne à la tête coupée.

Fabrice Hyber a, lui, dessiné les assiettes  » Diane « , aujourd’hui commercialisées. Le travail de la porcelaine lui a tellement plu qu’il a décidé de réaliser en porcelaine son  » Homme de Bessines « , petit homme vert imaginé au début des années 1990 en bronze. Le dernier défi en date ? La création d’un monumental canapé en porcelaine (une première à Sèvres) :  » La Bocca  » de Bertrand Lavier, dont la réalisation a demandé… dix-huit mois de travail.

Carnet d’adresse en page 40.

Barbara Witkowska

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