Sous le voile, l’espoir
Elles sont couvertes de la tête aux pieds. On leur demande de rester cachées, dans le noir, parce qu’il est plus facile ainsi de les humilier. Elles sont prisonnières de la vie. Roshanna, Basira, Nahida, Shaz, Hama, Mina, Robina ou Maryam… minuscules fantômes bleus sous leurs burqas. Malgré la chute des talibans, au printemps 2002, leur vie n’a guère changé. Comme en témoigne Deborah Rodriguez, une Américaine, qui a eu la lumineuse idée, il y a cinq ans, d’ouvrir à Kaboul une école… de coiffure et d’esthétique.
Curieux projet, a priori, que celui-là. Car vu de notre petit monde occidental étriqué, on pourrait croire que les Afghanes aient des besoins bien plus urgents que de se faire des mèches ou des permanentes. Faux, archifaux. Car à Kaboul, un salon de beauté est bien davantage qu’un lieu de futilité et de badinage. C’est un formidable espace de liberté qui échappe totalement aux hommes qui n’ont pas le droit d’y pénétrer.
Sans relations et sans argent, Deborah Rodriguez s’est battue pour monter son école. Certes, elle s’est appuyée sur l’association Beauté sans frontières, qui bénéficie de subsides, entre autres, de marques comme Estée Lauder, M.A. C ou encore du magazine américain » Vogue « . Ou bien encore sur une ONG allemande qui portera le projet pendant plusieurs mois. Mais elle a aussi retourné toutes ses poches, vendu ses biens pour se lancer dans cette véritable odyssée humanitaire qui demande courage, obstination et… humour. Car, ce n’est un secret pour personne, la vie est loin d’être rose dans un pays définitivement instable et à l’avenir incertain.
Deborah Rodriguez a plongé dans une société qui sépare radicalement hommes et femmes. Où les mariages sont arrangés et les femmes profondément traumatisées. Toujours en fuite, guerre après guerre, toujours cloîtrées, toujours confrontées au chaos. Mais féminissimes, de la pointe des pieds à la racine des cheveux. Le tout caché par la sombre burqa, bien sûr. De véritables drag-queens aux yeux de notre Américaine, née dans le Michigan, et qui a posé là ses valises dans l’espoir de leur apporter un peu d’aide. Car en leur apprenant un métier, la coiffure, l’esthétique, elle donne à toutes ces femmes, ses » s£urs « , une chance exceptionnelle de devenir indépendantes, de gagner leur vie, de fuir leur statut d’esclave pour s’afficher désormais en dirigeantes avisées et respectées. Même par leurs maris conservateurs et souvent réticents devant leur » sulfureuse » émancipation.
C’est cette aventure peu commune que notre coiffeuse nous révèle aujourd’hui (*). Un récit d’une grande simplicité, sans ambition littéraire aucune, juste des faits, des sentiments, des émotions, quelques réflexions d’une Occidentale égarée dans un milieu dont elle n’aurait jamais soupçonné l’existence si la vie ne l’y avait conduite. Malgré les maladresses de style, on devine les rires, la complicité, les échanges, la tristesse, les drames, les espoirs. » Les Afghanes ont beaucoup à faire pour se guérir elles-mêmes. Elles ont été maintenues dans l’obscurité pendant longtemps et ont beaucoup souffert « , confie-t-elle. Pas de chance, depuis mai 2006, son école a fermé, la situation politique s’étant encore dégradée. Mais une petite lumière brille désormais pour toutes ces femmes. Veillons, avec elle, à ce qu’elle ne s’éteigne jamais.
(*) » Kaboul Beauté « , éd. Presses de la Cité.
Christine Laurent
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