Tout près du paradis
Petits hameaux au charme déroutant, plages de sable fin, marchés improvisés : la petite île de Nosy Be est un véritable petit eden au large de Madagascar. La vie y est douce, entre traditions et rires d’enfants.
« Taxi, madame ? » lance un jeune Malgache accoudé à sa portière de voiture. » Crevettes ? » interpelle un autre alors que l’on évite de justesse un char à zébu croisant un scooter vrombissant. Comme chaque matin, sur la place centrale de Hell-Ville, l’effervescence est à son comble. Aussi petite soit-elle, la » capitale » de Nosy Be, îlot de paradis situé au large des côtes nord-ouest de Madagascar, affiche immédiatement son caractère bien trempé. Là, des étals improvisés sur les bords de route. Plus loin, des bicoques en bois déclinant tissus, bijoux, disques, savons, quincaillerie, vêtements et sacs en osier. Et partout, le ballet ininterrompu des vélos, des piétons, des tracteurs et des Renault 4L fraîchement retapées, parmi lesquelles on peine à se faufiler. Bleue, verte, mauve, jaune, beige ou gris argenté, la voiture s’offre, ici, une seconde jeunesse. Certains allant jusqu’à la revisiter, version 4×4 décapotable, portes et fenêtres en moins.
Vivante, pittoresque et cosmopolite, Nosy Be se livre sans retenue ni artifices. Bien sûr, il y a ses plages de sable fin, ses réserves naturelles, ses plantations d’ylang-ylang et son chapelet d’îles célestes. Mais il suffit de s’élancer vers l’arrière-pays pour découvrir le véritable visage de cette contrée dont l’atmosphère doucereuse s’immisce jusque dans les villages les plus démunis… Où les cases en bois s’éclairent encore aux lampes à pétrole et où les familles se partagent un salaire moyen de 50 euros par mois. Loin des images de cartes postales, l’île aux parfums revendique, elle aussi, son histoire et ses rites ancestraux.
Le poids des traditions Situés sur les terres sacrées des rois Sakalava, près d’Antsaholana, au nord de la capitale, les mausolées royaux en sont l’illustration la plus étonnante. Mais pour y accéder, mieux vaudra s’enquérir de l’accord du prince Amada II qui, délesté de ses prérogatives depuis les temps coloniaux, a trouvé là le moyen de redorer son blason et de faire fructifier ses économies… A raison de quelques ariary, ce septuagénaire à la mine burinée vous recommandera, sur place, auprès de ses serviteurs les plus dévoués. A la condition sine qua non d’apporter du rhum et du soda qui, sous prétexte d’offrandes, viendront enrichir les réserves de la tribu… » Aujourd’hui, le cercle royal n’est plus que le gardien des traditions, regrette-t-il à demi-mot dans sa grande villa de Hell-Ville surplombant l’océan. Autrefois, le roi administrait toute la communauté Sakalava. Un conseil était alors chargé des affaires économiques et sociales. Et disposait d’un représentant dans chaque village. » Une fois la lettre d’autorisation en main, direction le site de Manongarivo. C’est ici, entre manguiers et papayers, que reposent les aïeuls du prince Amada, dont l’illustre reine Tsiomeko qui fut à l’origine du protectorat français (1841-1957).
Chaque année, dès juillet, les Sakalava viennent y célébrer leurs ancêtres, tout en assurant l’entretien et la restauration des tombeaux. L’occasion de s’adonner, pied nus et en paréo, à d’innombrables réjouissances rythmées par un groupe de Salegy (danse traditionnelle malgache). Une prestation des plus inattendues dans cette grande messe tribale où se succèdent processions, réincarnations et sacrifices de zébus… » Face au désengagement des jeunes pour les coutumes, il a bien fallu trouver le moyen de les fédérer à nouveau « , explique la médium du village, sorte de gourou local. Un jour guérisseuse ; un autre, grande prêtresse chargée de communiquer avec les défunts rois… C’est elle, aussi, qui accompagnera les disciples au pied des arbres sacrés disséminés aux quatre coins de l’île. Parmi eux : le superbe banian bicentenaire planté sur les rives de la baie d’Ampasidava, au nord-ouest de Hell-Ville. Haut lieu de recueillement, l’endroit est accessible au public moyennant quelques règles d’usage consistant à ôter ses chaussures, porter un paréo et pénétrer dans l’antre sacré, le pied droit en premier… Sous le foisonnement des lianes, la lumière se fait alors plus diffuse. Des voiles rouges et blancs suspendus ondulent lentement avec la brise. Et la terre, sous nos pas, ressemble à une sorte de tapis moelleux.
Tout aussi fascinant, le cimetière musulman d’Ambanoro est un de ces endroits qui se mérite. Nul touriste n’en trouvera jamais l’accès, à moins d’avoir sympathisé avec un habitant du coin. Pour y parvenir, il aura fallu suivre le chemin cahoteux menant au village de Marodokana, sur la côte sud, grimper au sommet d’une colline et distinguer, enfin, parmi la végétation dense et verdoyante, cet enchevêtrement de tombeaux ouvragés, ultimes témoignages de l’effervescence qui régna, ici, jusqu’au xixe siècle, alors que les Arabes et les Indo-Pakistanais y développaient un commerce florissant avec l’Inde, l’Afrique et les Comores.
Une autre époque…
Outre les plages vierges et immaculées parsemées çà et là, le nord abrite un florilège de petits hameaux, hors du temps et au charme désarmant. Ainsi le village de Befotaka, animé de quelques cases et d’une épicerie à l’abri des cocotiers. Parmi pirogues et filets de pêche, on se laisse alors bercer par les scènes de la vie quotidienne. Comme ce troupeau de vaches évoluant sur la grève au coucher du soleil ou ce groupe de pêcheurs s’élançant, pour la nuit, sur les flots de l’océan Indien. Non loin de là, Amporaha est désormais l’adresse de Catherine, une Française expatriée sur l’île depuis une quinzaine d’années. Mariée à un Malgache, cette » vazaha » s’est intégrée, au fil du temps, à la population. Aujourd’hui, elle fabrique des fromages au lait de zébu qu’elle revend aux hôtels et à l’unique supermarché de Nosy Be. » Je les prépare nature, avec du poivre vert ou avec des fines herbes, raconte-t-elle. Bien évidemment, mes principaux clients sont les Blancs. «
Plus reculé encore, Mangirankirana semble tout droit sorti d’une autre époque. Aucune chance d’y croiser un villageois parlant le français. A croire qu’aucun étranger ne s’est aventuré ici depuis des décennies. Peut-être ignorent-ils même l’agitation qui secoue l’autre extrémité de leur contrée. Sous le grand arbre central, le bruit sourd du pilon écrasant le paddy dans les mortiers rythme la journée. Accompagné du rire des enfants et du ressac de l’océan. Un havre de paix, surréaliste et enchanteur, dont on aimerait garder le secret. Et préserver, quelque temps encore, des innombrables convoitises dont fait désormais l’objet le nord de Nosy Be.
Marion Tours – Photos : Christian Goupi
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