Trop-plein, trop-rien

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Ils ont osé. L’honorable Keizo Takemi et le tout aussi honorable Noritoshi Ishida, tous deux vice-ministres de la santé et du bien-être du pays du Soleil-Levant, ont accepté de déboutonner leur chemise et d’exhiber leurs bourrelets sur le net (1). Pas du tout pour satisfaire un quelconque voyeurisme. Non. Par devoir. Trop ronds, trop enveloppés pour leurs tailles. Or aujourd’hui, au Japon, comme presque partout ailleurs dans les sociétés d’abondance, l’obésité, ça ne passe plus ! Voilà donc nos deux compères, nombril à l’air, obligés de montrer l’exemple en suivant un régime drastique, presque en direct, et en public. Une première dans une culture qui avait porté jusqu’au raffinement le plus subtil l’art de la discrétion et de la pudeur.

Madonna, Demi Moore, Clint Eastwood, Bruce Willis, Yannick Noah n’affichent pas, eux, de kilos superflus, ni en coulisses, ni sur la toile. Pour rester aussi svelte qu’une liane ou un bambou, ils ont un truc. Un vrai, tout juste dans l’air du temps : le jeûne. Oui, le jeûne, ce rite immémorial, véritable socle des sociétés traditionnelles, cette ascèse liée à la privation de nourriture, et qui a traversé toutes les frontières spatio-temporelles de l’humanité. C’est que le jeûne offre bien des avantages : il rajeunit, maintient en bonne santé, donne de l’énergie, permet de garder la ligne et de lutter contre le stress. Dixit un spécialiste qui lui consacre un ouvrage exceptionnellement documenté, véritable plaidoyer qui nous éclaire sur les diverses traditions chrétienne, juive, musulmane et bouddhiste qui le pratiquent. Une véritable mine d’infos doublée de conseils et d’adresses (hélas exclusivement françaises) (2).

Voilà donc nos stars qui se jettent avec gourmandise sur ce qui se veut une opération sans bistouri et permet d’éliminer le superflu et les tissus malades, tout en préservant les tissus sains. Mais le jeûne compte bien d’autres vertus encore. Dans une société de surconsommation, incapable de combler les besoins existentiels, de donner des réponses aux angoisses de l’éphémère, le jeûne interpelle, opposant au trop-plein des pays riches le trop-rien, le trop-peu des pays pauvres. Une authentique voie pour retrouver l’équilibre perdu.  » Le jeûne, acte libre, volontaire, conscient, met beaucoup de choses en question : notre rapport à la nourriture, notre difficulté à lâcher prise et l’avidité comme moteur de nos sociétés « , affirme notre auteur.

Le jeûne comme remède pour le corps, l’âme et l’esprit. Une expérience essentielle. A laquelle Yannick Noah avoue s’adonner deux fois quinze jours par an. Pour la madone et les autres, l’histoire ne le dit pas. Sur les collines ensoleillées de Beverly Hills, au milieu des strass et des paillettes, y a-t-il vraiment place pour cette véritable relation à l’autre à laquelle le jeûne conduit tout naturellement ? Pour une purification corporelle, psychique, spirituelle authentique ? Pas sûr. Mais pour l’amaigrissement, no stress, c’est garanti. Mieux qu’un régime. Et tellement tendance !

(1) www.mhlw.go.jp/bunya/kenkou/metabo/index.html.

(2)  » Le Grand Livre du jeûne « , par Jean-Claude Noyé, éd. Albin Michel, 344 pages.

Christine Laurent

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