Vanité, vanitéà

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*)  » Du statut social « , éd. Bibliothèque étrangère/Mercure de France.

A h ! le regard de l’autre. Sans complaisance, pénétrant, aigu. Un regard qui jauge, soupèse, déshabille, bouscule, déstabilise jusqu’à la déprime parfois. Surtout celui des snobs, ceux-là mêmes qui confondent allégrement rang social et valeur personnelle. Le c£ur du problème. Car au fil du temps le  » que faites-vous  » a bel et bien chassé le  » qui êtes-vous « . Le degré de respect et de sollicitude qu’on nous témoigne dépend, hélas, davantage de la réussite professionnelle, de l’argent que l’on gagne (plus que jamais doté d’une qualité morale), du train de vie que l’on affiche. L’argent s’acoquine à la vertu, flirte avec le bonheur. Qui échappe encore à l’adoration de Mammon ?

Pas simple dès lors d’être à la hauteur tous les jours. Surtout quand on sait que la réussite dépend d’un nombre impressionnant de facteurs indépendants de notre volonté tels que le talent, la chance, l’économie globale ou la compétence de son employeur. Résultat : l’angoisse généralisée grimpe, grimpe. Or, pas de chance, il paraît que nous avons tous besoin, de plus, d’être aimés inconditionnellement. Comme des bébés, alors que la société nous juge exclusivement sur nos prouesses.

C’est le constat sans appel que nous livre avec son humour british irrésistible et son érudition toute ludique le romancier Alain de Botton dans son dernier opus (*). Pas frileux, généreux même, il nous refile, petits dessins, photocopies, photos, courbes et schémas à l’appui, ses solutions pour échapper à ces tourments énigmatiques. Sa potion magique pour ne plus se laisser regarder de travers ? La simplicité même : relativiser, remettre notre passage sur terre à sa juste place, toute de modestie et de fugacité. En vrac, on peut ainsi, pour ne plus l’oublier, accrocher à nouveau dans sa chambre à coucher ces  » vanités  » du xvie siècle, des tableaux qui faisaient la part belle au crâne humain et au sablier, symboles de la mort qui tous à terme nous guette. Ou, comme certains philosophes, pratiquer une misanthropie intelligente qui recommande de s’en remettre à son propre jugement plutôt qu’aux signes d’approbation ou de réprobation des autres (inconvénient, les amis se font plus rares). On peut se souvenir, aussi, que même les plus grands privilégiés de l’histoire ont aujourd’hui lamentablement sombré dans l’oubli. On peut encore se remémorer les paroles de l’apôtre Luc pour qui la vie d’un homme ne se réduit pas à l’abondance des choses qu’il possède. Se perdre dans la contemplation de vastes étendues, de cathédrales, de somptueux tableaux, dans l’écoute d’une musique qui transporte. Tout en songeant avec sagesse à ce qui restera de nos petits tracas liés à notre statut social dans mille ans, rien que pour mesurer le juste poids de notre propre insignifiance.

Car in fine, on le sait bien que toute cette frénésie autour de la réussite est dérisoire. Et si aujourd’hui la valeur d’un homme ou d’une femme à Londres, New York, Paris, Bruxelles ou Sydney est déterminée par l’argent et le pouvoir qu’ils affichent, de Botton nous rappelle l’air de rien que chez les Cubeos du Brésil de 1600 à 1960, c’était bien les chasseurs de jaguars avec leurs colliers sertis des dents de l’animal qui tenaient le haut du panier.

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