ZSENNE ATTITUDE

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dans son espace ZSenne, à deux pas de la rue Dansaert, à Bruxelles, cet Anversois polyglotte et quelque peu rentier, rêve de performances et de publics métis. A fortiori dans ce cour de la capitale qui bat à plusieurs vitesses.

« J’étais déjà riche à 30 ans et je n’ai jamais plus travaillé. Je me suis juste amusé avec beaucoup de passion. Tout ce qui vaut la peine d’être travaillé, c’est l’art.  » Et Emiel – tout le monde oublie le Luc – de rigoler en découpant une échalote qui finira sur le saumon fumé de midi. Ce moustachu poivré, né en 1956, réussit de multiples études universitaires mais c’est en rénovant, à Anvers, une maison de rapport (non sexuel), qu’il découvre le filon argenté : d’autres biens lui assument aujourd’hui une confortable pré-retraite. Chez lui, c’est un peu la dolce vita permanente, d’ailleurs il y a une boule de dancing accrochée au plafond du salon. Dolce vita version gay même si les filles sont les bienvenues :  » Ce qui ne veut pas dire que l’espace ZSenne ait une vocation d’art gay, genre un peu bête avec tous ces sexes masculins exposés (il rit). Même si le cinéma de Hollywood est truffé d’allusions homosexuelles, tout comme la peinture d’ailleurs.  »

Cabotin et plutôt drôle, sorti de l’unif, Rooman voyage, boursicote, travaille – quand même – au KamerOpera d’Anvers, puis aux Bains Connective à Forest. Il y a une petite décennie, il achète cette maison de coin rue Anneessens, à dix minutes à pied de la Bourse de Bruxelles, direction le canal. L’idée est d’y vivre mais aussi d’y installer l’art : souvenirs de sa découverte émerveillée de Satie, de l’opéra ou, tout enfant, de la littérature pour adultes et  » des histoires d’amour et d’adultère qui expliquent comment fonctionne le monde « .

Pour faire décamper la restauratrice initialement installée au rez-de-chaussée et les boum-boum interminables des samedis soir festifs, Emiel a suppléé un chèque :  » C’était mieux que d’attendre le jugement en appel prévu pour le printemps 2011.  » Depuis mai dernier, les ex-cuisines et dépendances sont transformées en lieu de performance :  » Ce n’est pas une galerie au sens classique, cela ne m’amuserait pas, mais un espace que je prête, que je donne, aux gens motivés.  » Ainsi, début de ce mois, l’Advanced Performance Training rattaché au centre culturel anversois deSingel, installait son workshop vivant sur les carrelages du rez : des rituels (repeindre chaque jour la même pièce dans une couleur différente), une présence continue, un peu de provocation aussi.  » L’une des filles du groupe s’est installée sur un tabouret en vitrine avec une carte qui détaillait le menu,  » For love « , autant,  » For friendship « , autant, et, pour finir,  » For Christ’s Sake « …  » (sourire). Je n’étais pas sûr que quelqu’un ne balancerait pas un pavé dans la vitrine, mais tout s’est finalement bien passé.  »

ZSenne est logé dans une rue où se croisent – sans forcément se fréquenter – une communauté espagnole vieillissante, des jeunes couples de la classe moyenne belge, des artistes, des gays et aussi des populations immigrées.  » Quand je vois ces jeunes d’origine marocaine faire des tours à vélo toute la journée, j’ai envie qu’ils viennent aussi découvrir autre chose. J’ai envie de leur dire :  » Sortez de votre ghetto . » Même si je sais que je ne vais pas changer la société – je ne suis pas Antigone – je considère que l’art a toujours un côté d’engagement social. Le problème de cet endroit est qu’il se situe au-delà de la place du Jardin aux Fleurs, qui représente un peu une barrière psychologique.  »

Comprenez : au-delà de laquelle branchés et modeux du quartier Dansaert ne migrent pas forcément. Pas de quoi anéantir les envies gloussantes du Rooman : une expo de l’Art différent du Créahm (Créativité et Handicap Mental, une ASBL qui suscite, encourage et valorise la créativité des personnes handicapées mentales adultes en leur proposant des ateliers d’arts plastiques et d’arts de la scène) arrive le 3 décembre prochain, suivie par l’artiste Rémi Tamburini.  » Il fait une organisation spatiale frauduleuse virtuelle (sic) avec des lettres recommandées à la Nasa.  » L’installation sera montrée autour du 15 janvier prochain. Peut-être de quoi attirer les kids du quartier, qu’on peut supposer branchés jeux vidéo…

Carnet d’adresses en page 86.

PHILIPPE CORNET

Tout ce qui vaut la peine d’être travaillé, c’est l’art.

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