Rencontre avec Maurice Barthélemy, l’hypersensible qui s’ignorait

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On le connaissait comme acteur et réalisateur, Maurice Barthélemy se dévoile aujourd’hui au travers d’un profil plus atypique: son hypersensibilité, qu’il a découverte à 46 ans. Rencontre.

L’hypersensibilité, c’est une grande créativité, des sens plus affûtés, une manière de penser différente, beaucoup d’empathie, mais aussi souvent un manque de confiance en soi. Des traits de caractère pas faciles à assumer quand on fait un métier qui vous pousse sans cesse dans la lumière. Découverte seulement à la quarantaine, l’hypersensibilité de l’acteur et réalisateur Maurice Barthélemy s’est pourtant révélée, avant même les tournages et les tapis rouges, dans ses liens familiaux, ses parents étant aussi hypersensibles. Grâce à son père diplomate et sa mère conteuse haïtienne, la créativité du Français est nourrie très jeune par des voyages aux quatre coins du globe. C’est comme ça qu’après le bac, contre le désir de ses parents, le jeune homme se tourne vers le théâtre, après s’être ennuyé sur les bancs de la fac d’histoire. C’est au cours Florent que Maurice Barthélémy fait ses premiers pas sur scène sous la supervision d’Isabelle Nanty. Là-bas, il rencontre ceux avec qui il formera la troupe des Robins des Bois, dont Jean-Paul Rouve et Marina Foïs. Ils se feront connaître sur Canal + avec leur humour décalé. A ces mêmes camarades, il donnera la réplique dans le film déjanté RRRrrrr!!!, réalisé par Alain Chabat en 2004. L’homme, non content de cette expérience d’acteur, se rêve aussi derrière la caméra et réalise notamment Casablanca Driver (2004) et Papa (2005). Mais sa dernière envie, c’est un livre, Fort comme un hypersensible. A 50 ans passés, il y témoigne de son expérience et de cette révélation tardive, mais salvatrice.

« Il y a plein d’hypersensibilités, plein de profils différents. En revanche, comme on a une intuition assez forte et une bonne écoute, on se repère facilement »

Si on parle de plus en plus d’hypersensibilité, sa définition fait débat. On estime à 30% la part de la population qui vit cela, mais aucun diagnostic officiel ne permet d’en attester. Pour Maurice Barthélemy et Charlotte Wils, psychopraticienne et coach certifiée avec qui il a écrit ce bouquin, l’hypersensibilité, ça se ressent. Le comédien raconte, sans tabous.

Ça a changé votre vie de vous savoir hypersensible?

Très clairement. J’ai pu mettre un mot sur un état que je ne comprenais pas, ça m’a soulagé. Savoir qu’il y avait des gens comme moi m’a aussi rassuré, je me suis senti beaucoup moins à part. Tout ça a permis de mieux me connaître, de mieux me comprendre, de mieux gérer mon quotidien et mon environnement. Avant, je me mettais dans des situations qui m’agressaient sans vraiment m’en rendre compte. Aujourd’hui, je fais attention. J’ai un cadre de vie plutôt reposant, j’ai une maison en Espagne pour pouvoir me déconnecter, je vis au dernier étage à Paris pour ne pas avoir trop de nuisances sonores au-dessus de moi et autour de moi. J’ai adapté ma façon de vivre à qui j’étais. Je suis moins stressé et plus à même de profiter des qualités que m’offre l’hypersensibilité.

Comment avez-vous découvert votre hypersensibilité?

J’enquêtais depuis longtemps sur le profil de ma fille. En lisant le livre de Christel Petitcollin Je pense trop, j’ai compris qu’elle était hypersensible. Souvent, il y a une passation qui se fait de parent à enfant et c’est à ce moment-là que j’ai découvert que moi aussi, je l’étais.

Comment cela se caractérise chez vous?

Mon hypersensibilité se constitue en quatre points cardinaux. Il y a une hyperesthésie, c’est-à-dire que les sens sont très aiguisés, mais aussi une forte intuition, une grande empathie et un mode de pensée en arborescence où les idées se diffusent un peu comme dans un arbre.

Avez-vous cherché à valider votre ressenti par un diagnostic, à la suite de cette lecture?

Quand j’ai rencontré Charlotte Wils, j’ai été à son cabinet, elle m’a demandé si je me pensais hypersensible. Pour moi, c’était une évidence, ce à quoi elle a répondu que c’était ce qui comptait. Alors évidemment, on a fait un petit test, mais ce test tout le monde peut le faire sur Internet. Moi, je me bats un peu pour l’auto-diagnostic. Si vous avez le vertige, vous n’avez pas besoin d’un spécialiste pour vous dire que vous avez le vertige. C’est pareil pour l’hypersensibilité, il y a beaucoup de gens au travers de mon livre qui se reconnaissent et qui ont une révélation. C’est ça le plus important.

En bref – Maurice Barthélemy

Il naît en 1969 à La Paz, en Bolivie.

Dans les années 90 et 2000, il fait partie, avec Marina Foïs et Jean-Paul Rouve notamment, de l’équipe des Robins des Bois, connue pour ses interventions dans l’émission Nulle part ailleurs, sur Canal +.

En 2004, il se lance comme scénariste et réalisateur avec son long-métrage Casablanca Driver, puis avec Papa, avec Alain Chabat. En compagnie de ce dernier, il co-écrit RRRrrrr!!! , où il incarne le rôle du chef.

Pendant les années 2010, il réalise Low Cost (2011) et Les Ex (2017). En 2012, il dirige l’humoriste Norman dans Pas très normales activités.

Vous dites dans vos pages être entouré d’hypersensibles dans votre famille et parmi vos amis. Mais comment les reconnaissez-vous?

On se ressent entre hypersensibles. Il y a plein d’hypersensibilités, plein de profils différents. En revanche, comme on a une intuition assez forte et une bonne écoute, on se repère facilement. Je dirais que c’est plus de l’intuition qu’une question de profil. Après, s’il y a quelque chose de difficile à définir, c’est l’intuition, je n’ai jamais su d’où elle venait. La seule chose que je sais, c’est qu’il faut l’écouter. Sur le plan créatif, l’intuition devient inspiration, mais il faut aussi l’écouter sur le plan relationnel parce que ça nous permet d’aller vers les bonnes personnes.

C’est plus facile d’être artiste quand on est hypersensible?

Je dirais plutôt qu’on est artiste parce que l’on est hypersensible, la plupart du temps. Si on choisit des métiers comme le mien, c’est parce qu’il y a une hypersensibilité à la base. On a une grande créativité, une perception du monde qui est très puissante, mais aussi ce besoin d’aider les autres à travers l’art. J’ai découvert que j’avais choisi ce travail sûrement à cause de mon hypersensibilité. Seulement, je me suis aussi retrouvé face à des difficultés qui étaient liées à cela, c’était paradoxal. Le fait d’aller sur un plateau, me montrer, jouer devant des gens, tout ça était difficile à gérer. Quand on est hypersensible, on a souvent un problème d’estime de soi, de remise en question permanente. Mais l’envie de faire ce métier était plus forte que tout. J’ai réussi à développer des parades pour pouvoir surmonter mon stress et profiter au mieux de ce boulot. Aujourd’hui, j’ai toujours une petite appréhension, mais elle n’est pas du tout tétanisante comme c’était le cas avant.

Dans l’imaginaire collectif, l’hypersensibilité est presque perçue comme un handicap, mais vous avez fait le choix d’appeler votre livre Fort comme un hypersensible. C’est donc une force?

Oui, il y a le cliché de l’hypersensibilité comme une hyperémotivité, comme une fragilité. Ce sont des fausses pistes. Evidemment qu’il y a une part d’hyperémotivité chez les hypersensibles, mais tous ne le sont pas. Moi par exemple, je ne le suis pas. Les gens pensent que quand on est hypersensible, on se met à fondre en larmes pour un oui ou pour un non, ou alors on a des sautes d’humeur, ce sont des clichés. Quand les éditions Michel Lafon m’ont proposé de témoigner en tant qu’homme, j’ai dit oui. Le titre m’est venu à ce moment-là, parce que je voulais parler des atouts de l’hypersensibilité et pas de ses défauts.

« On a une grande créativité, une perception du monde qui est très puissante, mais aussi ce besoin d’aider les autres à travers l’art »

Vous expliquez que pour se protéger, l’hypersensible met en place des parades, notamment la technique du « faux self ». Mais ce n’est pas forcément une bonne idée…

Le principe du faux self, c’est qu’on se crée une sorte de personnage pour se protéger, c’est un personnage de caméléon, pour que les gens nous perçoivent comme les autres. Ce faux self permet de nous cacher derrière cet autre qui n’est pas vraiment nous-même, un personnage social. Tout le principe quand on découvre son hypersensibilité, c’est justement de casser ce faux self. Apprendre à laisser les émotions nous parvenir même si elles sont fortes, et de pouvoir vivre les choses telles qu’elles sont, de ne plus en avoir peur. Ne plus avoir peur d’avoir mal, ne plus avoir peur d’avoir peur.

Cette peur d’avoir peur, elle vient aussi d’un manque de confiance en soi. Pour vous protéger, vous dites avoir eu recours à l’auto-sabotage, c’est toujours le cas?

Oui toujours, mais avoir découvert mon hypersensibilité me permet de le repérer. Avant, c’était inconscient. Quand je pense que mes projets ne vont jamais marcher, que ça ne va intéresser personne, maintenant, j’identifie l’auto-sabotage. J’essaie de l’éliminer, mais ma nature profonde fait que je vais toujours mettre en place ce type de processus et il faut que je lutte au quotidien, que je sois vigilant pour essayer de l’évacuer. A partir du moment où l’on a conscience qu’on met en place ce genre de système, on a déjà commencé à le combattre à plus de 50%. C’est comme si un aspirateur avait un détecteur de poussière qui vous avertit quand le sac est trop plein. Moi c’est pareil, j’ai un détecteur de pensées négatives.

Et comment vide-t-on le sac?

Plus on travaille sur son hypersensibilité, plus ce détecteur est sensible. Quand on se pollue l’esprit de pensées négatives ou dévalorisantes, on vide le sac. Il faut prendre le large, aller dans un endroit calme, s’isoler, trouver des moments de repli sur soi, même au milieu des autres. Ce sont ces systèmes de régulation qui font qu’on retrouve de l’énergie, du calme, au sein d’un monde bruyant et surinformé.

A travers ce livre, aviez-vous une volonté d’aider d’autres hypersensibles, de transmettre votre expérience?

J’ai reçu de nombreux messages sur Instagram, je n’avais pas anticipé d’avoir des gens qui se retrouvent dans mon histoire. Je suis sur le cul de voir comment il peut résonner autant alors qu’au départ, j’avais vraiment le sentiment de ne parler que de moi et de ma petite personne. Ça a été une vraie surprise, j’en suis hypercontent parce que ça répond à ce besoin qu’ont les hypersensibles d’aider les autres, donc c’est génial.

Sorti aux éditions Michel Lafon l'hiver dernier, le livre de Maurice Barthélemy Fort comme un hypersensible sera disponible au format Pocket ce 20 janvier.
Sorti aux éditions Michel Lafon l’hiver dernier, le livre de Maurice Barthélemy Fort comme un hypersensible sera disponible au format Pocket ce 20 janvier.

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