Vanina Ickx: «J’aime passer l’été en Belgique, parce que c’est la saison des longues journées, des apéros, des barbecues, des amis.»

Au départ du rallye Paris-Dakar avec son père, en 2000. © Getty Images

Elle porte un nom mythique, qu’elle a su faire sien. Vanina Ickx parcourt la vie avec un amour de la vitesse, une détermination sans faille et une douceur extrême. Voici à quoi ressemble l’été d’une femme, d’une maman, d’une ex-pilote qui a remis le casque en répétant sa devise «Why not».

Quand vous avez l’impression d’«être en vacances toute l’année» parce que vous faites un métier que vous aimez et que l’été pour vous est synonyme de mer du Nord avec vos deux petits, de barbecue entre amis et de training camp avec trente autres sportives de haut niveau, vous voilà comblée. Vanina Ickx ne dira pas le contraire, elle a cette belle faculté de prendre ce qui vient «comme un cadeau du ciel». Est-ce parce qu’elle a toujours été partante pour tous les défis? Sa détermination est sans faille, sa douceur, extrême. Elle vous l’accorde, humblement, et elle précise dans la foulée: «Cette douceur m’a desservi dans le sport auto parce qu’on ne s’imagine pas que je puisse piloter des bolides agressifs, bruyants et puissants.» A 50 ans, après avoir mis un terme à sa carrière il y a quatorze ans déjà, elle a remis le casque avec les Iron Dames, elle fait désormais partie de ce projet d’empouvoirement au féminin. Mi-juin, elle devait participer à Road to Le Mans, le lever de rideau des 24 Heures du Mans, sur ce circuit qu’elle adore, «parce qu’il est long, fluide, rapide». Mais elle a dû déclarer forfait, son cœur lui a joué des tours, heureusement, sans gravité – il lui a fallu faire «ajuster» son propre moteur. «Et c’est reparti de plus belle.»

Pour l’enfant que vous étiez, que signifiaient l’été et les vacances?

La liberté! Chaque année, on allait à la mer, dans la maison de mon grand-père maternel, à Knokke. C’était vraiment la liberté: avec mes cousins, on allait et on venait comme on voulait, on faisait tout à vélo, on rentrait pour manger, on repartait sur la plage, on allait chez Siska, au bowling, au tennis, à la Poste manger des glaces. Et je montais à cheval. A ce moment-là, ma passion, c’était l’équitation – tout mon temps, je le passais à cheval ou à ses côtés, à le brosser, à m’en occuper, à préparer les compétitions. Dans cette maison donc, on pouvait faire tout ce qu’on désirait, on était juste obligés de se lever le matin pour aller jouer au tennis ou nager à La Réserve. Après on avait quartier libre. C’est à la mer que j’ai pris ma première cuite, je crois que c’était au Pisang Orange. Je trouvais ça très rigolo, mes parents un peu moins, j’ai été punie…

Et ça ressemblait à quoi, une punition dans la famille Ickx dans les années 1980?

Je ne sais plus quelle fut la punition… Ne plus voir mes copains pendant un certain temps, sans doute. Par contre, je me rappelle vraiment ce moment où Papa est venu me parler très froidement, on avait quand même un peu peur de lui, il représentait une belle autorité. Son sermon fut glaçant…

Vous vous êtes construite en étant «la fille de» et en partageant forcément votre père avec des milliers d’inconnus… Est-ce compliqué quand on est enfant?

Non, c’est plutôt une fierté. Ce qui est compliqué par contre, c’est de le voir peu. Mais il a toujours réussi à partager avec nous des moments de qualité. Il n’était pas souvent là mais il l’était toujours pour les rendez-vous importants, les bulletins, les concours à cheval, les expositions de ma sœur, Larissa. Et il organisait souvent des voyages où il était présent à 100%. J’ai eu la chance d’aller en Afrique, un continent cher à Papa. Il nous a offert des cadeaux qui n’ont pas de prix, comme une expérience inouïe dans le désert du Ténéré, au Niger. Je devais avoir 8 ans, avec un guide, à travers les dunes, il ouvrait des routes qui n’existaient pas. On était en autonomie complète, on dormait à la belle étoile, on mangeait la chèvre qu’on avait tuée le matin, on puisait l’eau dans les puits des villages, de l’eau brune qu’on filtrait à travers un tee-shirt où l’on mettait une pastille de désinfection… Tout cela nous a permis de voir le monde autrement. On a aussi été quelques années de suite à Saint-Tropez avec Papa. C’était les premières sorties en boîte de nuit mais là aussi, on était obligés de se lever le matin pour faire du sport… Et quand la mer était plate, on pouvait aller faire du ski nautique ou partir en bateau jusqu’à la plage pour le déjeuner. C’était la belle vie.

Vous offrez ce genre de vacances à vos enfants?

Pas tout à fait. On va à la mer du Nord et je leur offre cette liberté-là que j’ai connue enfant, parce que je les encourage à être autonomes. Mais je ne peux leur offrir tout ce que j’ai reçu, je n’en ai pas les moyens…. Cela dit, on est partis à Noël au Cambodge, dix jours, c’était l’un des plus beaux voyages de ma vie. On a été subjugués par la beauté des paysages, par la gentillesse des gens, par leur accueil tellement sincère. Tout était incroyable – les temples, la nourriture, c’était charmant et touchant. J’aimerais beaucoup y retourner bien que je trouve que le monde est tellement riche qu’il ne faudrait pas aller deux fois au même endroit.

Vanina Ickx et ses deux enfants, Ado et Khadija. © SDP

Et pour cet été-ci, quels sont vos plans?

En réalité, j’aime passer l’été en Belgique parce que c’est notre plus belle saison, c’est la période des longues journées, des apéros, des barbecues, des amis. En général, depuis que je suis adulte, je reste ici. Je passerai donc mon temps entre Genval où j’habite et la mer, le tout rythmé par les entraînements pour les Iron Dames car on a un training camp prévu à Evian fin juillet.

Concrètement, à quoi ressemble un «training camp»? Vous vous levez aux aurores et vous enchaînez les pompes?

Non! En réalité, c’est surtout l’occasion de se voir, de faire connaissance, de faire du sport ensemble, de travailler l’esprit d’équipe et le message qu’on veut faire passer. On sera 30, plus le staff, je suis la doyenne et la plus jeune doit avoir 13 ans… On a déjà eu un training camp au mois de janvier à la montagne, on commençait par une séance de yoga avant le petit déjeuner puis on mangeait toutes ensemble et ensuite, on avait du cardio, de la raquette, du ski de fond ou du vélo. Et puis on a toujours droit à une petite activité divertissante, comme le patin à glace ou se tremper dans un lac gelé. Le staff nous sort un peu de notre zone de confort, ça fait partie du jeu! Par contre, à Evian, je ne connais pas le programme. J’ai entendu parler de nuit sous tente, c’est la surprise…

Vous qui étiez à la retraite, comment vous êtes-vous inscrite dans ce projet des Iron Dames?

Elles sont venues me chercher l’année dernière parce que je représente un autre angle du sport féminin: je suis retraitée, maman et c’est pour moi un passage de flambeau. Ce projet des Iron Dames est né dans la tête de Deborah Mayer, qui met à la disposition de femmes pilotes talentueuses une équipe performante. C’est ça la nouveauté: on a déjà vu des initiatives d’équipages féminins, même à mon époque, mais c’était plutôt comme des apparitions, aux 24 Heures de Francorchamps, au Mans, dans l’un ou l’autre championnat, avec un côté surtout médiatique, qui insistait plus sur la rareté des femmes au volant que sur la performance. Deborah Mayer, elle, a souhaité prouver que les femmes pouvaient concourir à égalité contre les hommes et être aussi performantes qu’eux. Pour la première fois dans le sport automobile sur circuit, on a vu se constituer une équipe féminine avec des ingénieurs de pointe, des voitures de pointe et l’encadrement nécessaire. Et en effet, elles font des podiums, elles gagnent des courses. Aujourd’hui, Deborah a trouvé un équipage féminin de rallye. Et elle s’adresse déjà aux jeunes pilotes de karting parce que c’est la pouponnière, les champions de Formule 1 se détectent à ce niveau-là.

Souvenir de vacances en bateau avec son père et sa sœur Larissa. © SDP

Le sexisme ordinaire, voire le machisme triomphant, vous y êtes confrontée?

On y a toutes été confrontées à un moment ou l’autre. La pilote belge Sarah Bovy raconte que l’année dernière, leur voiture était rose, qu’elles en devenaient carrément une cible sur la piste, les hommes se permettaient envers elles des manœuvres qu’ils ne tenteraient pas si c’était un mec au volant. Depuis, la déco de la voiture a été un peu changée, pour que dans le rétro, ils ne se disent pas: «Tiens, voilà les filles…» Donc oui, nous sommes toutes confrontées au sexisme, mais de moins en moins cependant. Ça l’était davantage à mon époque, Papa lui-même le soulignait: il n’y avait alors rien de pire pour un pilote que de se faire dépasser par une femme. Aujourd’hui, il faut encore faire plus et mieux pour être considérée à égalité – sans parler des salaires, qui restent un sujet tabou.

Vous auriez rêvé d’avoir ainsi une Iron Dame qui vous prenne sous son aile quand vous débutiez?

Je ne me suis jamais posé la question… J’ai eu la chance de grandir dans une famille très ouverte d’esprit, je n’ai pas dû me battre pour faire ma place ni des «choses de garçons», on m’a laissé le choix en me disant que tout était possible. Je me rends compte que ce n’est pas le cas partout et que beaucoup de jeunes filles grandissent avec une éducation et des croyances sur le rôle et la place de la femme. Il faut aussi dire que l’époque était très différente. J’ai l’impression d’être un spécimen hybride dans le décor des pilotes automobiles. Parce que j’ai commencé à 21 ans, donc super tard, et que j’ai débuté par un championnat de voitures de tourisme. Je n’avais jamais pensé un jour être pilote, encore moins en vivre, devenir professionnelle… Tout ce que j’ai pu accomplir, ce n’est pas le résultat du hasard mais c’est quand même un concours de circonstances. A partir du moment où je me suis embarquée là-dedans, j’ai fait beaucoup de sacrifices, je me suis entraînée, beaucoup, pour relever ces défis du mieux possible, ce que j’ai réussi à faire, parfois.

Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez mis un casque et pris le volant en vous disant «c’est ça que je veux faire»?

Oui, j’avais 17 ans et j’ai eu l’occasion de faire les 24 Heures de karting sur circuit – ce n’était pas encore la mode et je ne sais plus comment j’étais arrivée là, j’avais dû remplacer ma sœur. Il s’agissait de faire des équipages de six ou sept pilotes pour des petites courses de 24 heures, on avait vraiment des tondeuses à gazon, il n’était pas du tout question de performance! J’avais vraiment beaucoup aimé. Puis, quelques années plus tard, dans une salle de sport, j’ai croisé Isabelle Van de Velde, qui était pilote à l’époque, et elle me dit: «Ça te dirait de faire une saison en sport auto? Je suis enceinte, j’ai une voiture, j’ai les sponsors, tout est prêt, il n’y a plus qu’à monter dedans… Tu veux me remplacer?» Elle avait besoin de quelqu’un qui soit intéressant médiatiquement pour ses partenaires. Je lui ai répondu oui mais je n’avais encore jamais mis mes fesses dans une voiture de course et encore moins sur un circuit. Je n’avais pas de licence, rien du tout. J’ai appelé Papa, je lui ai annoncé que j’allais commencer la course auto.

La 77e édition des 24 Heures du Mans, en juin 2009. © Getty Images

Et comment a-t-il réagi?

Il est tombé de sa chaise parce que personne ne l’avait vu venir, ni moi, ni lui. Il m’a toujours laissée faire ce que je voulais faire… Il a toujours eu un regard bienveillant, mais ce n’est pas lui qui m’a poussée, ce n’est pas lui qui m’a coachée, ce n’est pas lui qui m’a entraînée. Il m’a quand même envoyée faire un petit stage de pilotage au Castellet, dans le sud de la France, durant un week-end. Il s’agissait de faire un peu de glisse, de comprendre ce que fait la voiture quand elle décroche, d’apprendre à freiner parce que, à l’époque, il y avait encore la boîte manuelle et l’embrayage, il fallait faire le talon-pointe, c’était un peu technique. Evidemment, un week-end de stage, ce n’est pas assez pour commencer la compétition, mais c’est tout ce que j’avais comme temps. Et puis on est allés faire un essai sur le circuit de Zolder. Papa a demandé d’essayer la voiture pour voir si elle était bien, si elle était safe, surtout. J’avais emprunté sa combi pour faire mes premiers tours… Puis j’ai mis mon casque. Et c’est parti comme ça. C’est incroyable mais une fois au volant, on n’a plus envie de s’arrêter, on roule, on roule, on roule…

C’est donc complètement addictif?

Oui, parce que, à chaque virage, il y a moyen de faire mieux. Il y a moyen de freiner un peu plus tard, de le prendre un peu plus vite… C’est aussi physique que mental. Il faut une grande concentration, une grande coordination parce que tout va très vite.

‘Le pilotage, c’est un exercice sans fin. A chaque tour, on peut faire mieux que le précédent. On recommence chaque fois qu’on met le casque.’

Et il faut réfléchir vite, parfois dans des conditions extrêmes de chaleur, de contraintes, de fatigue, de douleur parce qu’on n’est pas toujours bien installée, on a des crampes, on a les «G» longitudinaux et latéraux car dans certaines voitures, les forces de gravitation sont si grandes que la vision est altérée par un voile. Le pilotage, c’est un exercice sans fin. A chaque tour, on peut faire mieux que le précédent, chaque course aussi, puisqu’on recommence chaque fois qu’on met le casque.

Le sport automobile est à la mode, on ne compte plus les séries ni les films dont les pilotes sont les héros…

C’est vrai que c’est devenu un objet de culte. Avant, la Formule 1 était un peu en chute libre, avec moins de spectateurs, moins de passion, moins de charisme aussi, mais la série Netflix Drive to Survive a insufflé de nouvelles perspectives: on la voit vraiment de l’intérieur, on voit les pilotes dans leur désarroi, leurs frustrations, leurs efforts… On y trouve des héros comme les gens aiment en avoir. Mais moi, ce qui me plaît vraiment, c’est la conduite. Je ne suis pas assez passionnée par cet univers pour suivre toutes les fictions qui sortent. Ça ne me procure pas l’émotion que je peux avoir quand je conduis une voiture ou quand j’entends le moteur vrombir. Dès qu’il démarre, ça commence à vibrer. Et le cœur s’emballe. C’est comme ça, notre cœur démarre au même moment que le moteur…

En juillet 1998, aux côtés de son père, lors de la présentation des équipes des 24 Heures de Spa-Francorchamps. © BELGA

Mais alors, quand le moteur s’arrête, la vie est moins passionnante?

Pas moins passionnante: elle se transforme, elle laisse la place à autre chose. Et quand on a des enfants, ça ne s’arrête jamais. J’en ai deux, Ado, qui a 12 ans, et Khadija, qui va avoir 8 ans. Elle s’appelle désormais de Broqueville, comme son frère – on a prévu de fêter ça cet été, on va la mettre à l’honneur! C’est une petite fille d’accueil qui est arrivée chez nous quand elle avait 1 an. On a décidé de l’adopter dans la foulée parce qu’elle n’avait plus aucun contact avec ses parents biologiques. On a pensé que c’était un juste retour des choses, on a tellement de chance de vivre dans des conditions privilégiées, on voulait qu’un petit être puisse aussi en profiter, même si ce n’est qu’une petite contribution, il reste encore tant d’enfants en demande de famille. J’ai couru les 20 km de Bruxelles cette année au profit de l’association Famille d’accueil… Un joli concours de circonstances: j’ai entendu à la radio un spot de l’association annonçant qu’elle cherchait 600 coureurs pour 600 enfants en attente d’une famille. Depuis des années je me disais qu’il fallait que je fasse un jour les 20 km, mais je n’aime pas du tout courir! Mais en tant que famille d’accueil et à l’approche des Iron Dames, je me suis dit que c’était évident, je devais les faire. Et puis je veux trouver des façons d’en parler, on ne sait jamais comment germe une graine dans la tête de quelqu’un…

Vous venez d’inaugurer l’Espace Ickx au Musée du circuit de Spa-Francorchamps. Que ressentez-vous à voir ainsi exposés ces trésors, quelque 100 pièces parfois très intimes, tel le casque calciné de votre père qui a réussi à s’extirper de l’habitacle de sa Ferrari en flammes lors du Grand Prix d’Espagne en 1970?

Effectivement, ce sont des pièces intimes parce qu’elles lui ont toujours tenu à cœur. Et elles me sont très familières parce que je les ai côtoyées toute mon enfance. Elles étaient bien rangées dans le garage mais c’était quand même à l’écart de tout. Ce n’est que lorsqu’on devait aller chercher quelque chose dans ce garage qu’on entrait dans l’univers de Jacky Ickx… Il n’y avait que là qu’on pouvait se rendre compte de qui était Papa. Nulle part ailleurs. Il n’y avait aucun trophée, aucune photo ou quoi que ce soit dans la maison qui rappelle son métier. Donc oui, cette collection représente beaucoup pour moi. Et elle comporte un peu de ce mystère… Je me souviens très bien de l’odeur qu’il y avait dans ce garage, une odeur de mécanique et forcément aussi un peu de renfermé… Je trouve cela vraiment sympa que ces pièces soient accessibles aujourd’hui aux gens qui sont passionnés par la course, par la carrière de Papa. C’est très personnel, je trouve, mais en même temps, ça n’avait rien à faire dans un garage…

@vaninaickx, irondames.ch, musee-circuit.be

© SDP Iron Dames

En bref Vanina Ickx
Elle naît à Bruxelles le 18 février 1975.
Dans les années 1990, elle étudie la biologie au Vesalius College (Bruxelles), puis elle débute sa carrière de pilote dans la Procar BMW Compact Cup.
En 2000, elle participe au Paris-Dakar avec son père Jacky Ickx.
En 2008, elle remporte la victoire aux 12 Heures BTCS de Spa-Francorchamps.
En 2011, elle dispute pour la dernière fois les 24 Heures du Mans.
En 2013, elle donne naissance à son fils Ado et, cinq ans plus tard, accueille la petite Khadija, 1 an.
En 2025, elle rejoint le programme GT des Iron Dames.
En juin 2025, elle inaugure l’Espace Ickx au Musée du circuit de Spa-Francorchamps.

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