« Le problème ce n’est pas la ménopause, mais bien souvent nos modes de vie »

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Aurélie Wehrlin Journaliste

Autrefois quasiment absente des médias, on constate depuis quelques (petites) années que la ménopause sort du bois et de l’obscurantisme où elle a longtemps été plongée. Cette transition -, parfois sereine, le plus souvent véritable bouleversement chez la femme qui la vit – est de moins en moins tabou. On y travaille du reste. Changement de mentalités, évolution des traitements, pistes pour la vivre au mieux: on a interrogé le Professeur Serge Rozenberg, gynécologue et chef de service de la Clinique de la Ménopause du CHU Saint Pierre à Bruxelles pour nous éclairer sur ces questions.

Le traitement hormonal (ou THS pour traitement hormonal de substitution) est-il actuellement le plus efficace pour traverser cette période ?

Aujourd’hui oui. Mais demain probablement plus. Il y a actuellement des études en cours, mais les molécules ne sont pas encore sur le marché, pas encore validées par la FDA aux USA ou l’agence du médicament en Europe. Elles sont actuellement en phase 3, c’est-à-dire en phase d’essais cliniques. Cela signifie que ce sont des médicaments que l’on connait, on sait qu’ils sont efficaces, on a évalué leur toxicité, qui elle est plutôt rassurante. On peut imaginer que ces molécules seront sur le marché dans deux ou trois ans au mieux.

Si ces traitements ne sont plus hormonaux, sur quoi reposent-ils ?

Ce sont des neurokinin receptor antagonists, des molécules qui agissent au niveau hypophysaire et hypothalamique, qui modulent la thermorégulation à ce niveau-là. C’est une nouvelle classe de médicaments qui est en train d’être inventée et qui va apparaitre probablement dans quelques années.
Aujourd’hui, la tendance est plutôt au traitement sur mesure pour la patiente, et non plus au « traitons tout le monde, systématiquement ». C’est important de le rappeler.

Rappelons qu’aujourd’hui, plus qu’il y a 20 ans, les molécules utilisées dans les traitements hormonaux sont des molécules plus safe, avec une innocuité bien meilleure, déjà parce qu’on a diminué les dosages des oestrogènes. Auparavant, on prescrivait d’office des doses élevées, en se disant que de cette manière, tout le monde irait mieux. Maintenant on commence par des doses plus faibles. Et on se rend compte qu’elles suffisent chez 80% des patientes. Peut-être que la patiente gardera une petite bouffée de chaleur par-ci par-là. Mais des doses plus faibles sont beaucoup plus sécurisantes. Et on peut tout à fait augmenter les doses si on constate que ce n’est pas suffisant.

D’autre part, on choisit des progestatifs beaucoup plus sécurisés, qui présentent moins de risques tant au niveau cardiovasculaire, qu’au niveau cancer du sein. Ça a été démontré aussi. On est donc aujourd’hui beaucoup plus à l’aise dans le choix des médicaments et dans le traitement des patientes.


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Existent-ils aussi des traitements naturels qui peuvent aider à diminuer les symptômes et conséquences de la ménopause ?

Oui et non. En effet, le premier traitement est un traitement naturel. Et il faut commencer par le préconiser.

Quel est ce traitement?

Tout simplement une hygiène de vie correcte. Elle peut influencer de manière très très importante ce moment-clef pour les femmes – et pour les hommes aussi du reste. Une hygiène de vie correcte signifie qu’on ne fume pas, qu’on ne boit pas trop, qu’on se nourrit décemment, et surtout surtout surtout qu’on fait de l »exercice régulièrement, quotidiennement. Il existe d’ailleurs énormément de littérature qui démontre que ce dernier point est sous évalué, mais crucial.

Quand on atteint l’âge de 50 – 60 ans, ce mode de vie sain permet de diminuer les symptômes de la ménopause, mais aussi le risque oncologique – notamment du cancer du sein – de façon drastique. Et enfin celui de faire un accident cardio-vasculaire. Ce premier traitement, qui est naturel, est crucial. À mon sens, on ne tape pas assez sur le clou, il n’y a pas assez de lobbying derrière, mais c’est fondamental. Notamment l’exercice physique diminue le risque de cancer du sein, non seulement en prévention primaire, mais également en prévention secondaire. Même chez les patientes qui ont eu un cancer, ça diminue le risque de rechute. Donc ce traitement, naturel, est crucial.

« Est-il fatal de grossir pendant cette période? Non ! »


Le premier traitement est un traitement naturel. Et il faut commencer par le préconiser. Quel est ce traitement ? Tout simplement une hygiène de vie correcte.
En revanche, les traitements de suppléments, de compléments alimentaires, qui constituent un marché énorme, qui représentent des millions de dollars, n’ont pas prouvé leur efficacité. Je ne pense donc pas qu’il faut aller vers la supplémentation – sauf calcium et vitamine D. Il faut se nourrir convenablement et pas aller dépenser des fortunes dans des compléments alimentaires inopérants.

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Est-il fatal de grossir pendant cette période?

Non. Certaines femmes gardent leur poids. Tout comme il y a des hommes qui gardent leur poids aussi. Alors que beaucoup d’hommes qui ne traversent pas la ménopause prennent 20 kg entre leurs 20 ans et leurs 50 ans. C’est plus lié au mode de vie. On mange différemment, on boit différemment quand on avance dans l’âge. Et surtout, on ne fait plus le même exercice. Il y a des gens qui restent très minces tout au long la vie, des femmes qui conservent leur taille de guêpe. Ce sont des femmes qui font très attention a ce qu’elles mangent, et surtout qui bougent énormément. En fait on devrait tous continuer à faire de l’exercice.

Selon moi, les ministères de la Santé et de l’Éducation devraient prévoir des crédits à l’université pour des cours de gymnastique et de sport, à l’instar des universités anglo-saxonnes. On fait de l’exercice physique quand on est à l’école, et puis on quitte l’école et qu’on commence à travailler et on arrête de faire du sport. Parce qu’on a moins le temps. Qu’on est pris dans l’engrenage du quotidien. Or on devrait encourager les gens à faire de l’exercice, comme le font un peu comme font les mutualités qui remboursent une partie des abonnements en club de sport. On devrait faire beaucoup plus. On devrait faire 15.000 pas minimum chaque jour ou 2 h de sport quotidiennement. Il y aurait ainsi moins d’obésité.

En 20 ans, les portions des fast food ont doublé. Mais c’est littéralement une incitation à l’obésité et au diabète. On vit une vraie épidémie d’obésité, que l’on doit vraiment et socialement freiner. La ménopause fait qu’on se sent un peu moins bien dans sa peau et qu’on a un dérèglement hormonal, le métabolisme change un peu. Mais ce n’est pas la ménopause le problème : ce qui pose problème souvent, ce sont surtout nos modes de vie !

Faire de l’exercice tout au long de sa vie est crucial pour rester en bonne santé© Getty Images

Les symptômes de la ménopause sont-ils plus importants chez les femmes en surpoids quand elle débute?

Oui, c’est un cercle vicieux, car évidemment si vous avez un surpoids, vous allez avoir plus de symptômes, mais aussi plus de douleurs articulaires, donc vous serez moins enclin à faire du sport…
On constate d’autre part que les femmes qui ne prennent pas de THS à la ménopause, et celles qui prennent un traitement hormonal ont à peu près la même prise de poids. Elle est même un peu moins importante chez celles qui prennent un THS, mais ce n’est pas grand-chose. Globalement, il y a une prise de poids qui est plus lié au mode de vie.

L’andropause que traversent les hommes est-elle un phénomène comparable à la ménopause?

Ce que traverse les hommes n’est pas tout à fait similaire, dans la mesure où s’il y a une diminution des androgènes chez l’homme aussi, elle est moins brutale, plus graduée que ce que traversent les femmes. Ils peuvent alors rencontrer des troubles érectiles, des problèmes liés à la libido. Si on prend les femmes au-delà de 55 ans, elles sont toutes ménopausées. Tandis que chez les hommes, ce n’est pas le cas. Certains hommes de 70-75 ans ont des taux d’androgènes suffisants. C’est rare, mais ça arrive. Chez les femmes, ça n’arrive jamais. Mais on peut quand même faire un certain parallélisme, en tout cas sur la vie sexuelle.

Ce qu’on remarque surtout c’est que la femme « prend sur elle » comme on dit. Quand dans un couple hétéro, la sexualité n’est plus la même qu’avant, souvent les deux partenaires sont impliqués. Mais la femme aura plus tendance à reconnaître un problème que l’homme. Alors ce qu’on voit souvent en consultation, ce sont des femmes qui nous disent : « Ma sexualité n’est plus la même », « ma libido baisse » ou « J’ai mal pendant les rapports » (à cause des sècheresses vaginales). Nous rencontrons souvent des femmes dont les partenaires ne reconnaissent pas leurs problèmes.

Enfin, une question basique, mais essentielle pour conclure : comment doit-on choisir son gynécologue si on veut bien prendre en charge sa ménopause?

Se sentir écouté est fondamental. Le concept anglo-saxon de « shared decison making » (décision participante) est au coeur des prises en charge médicales aujourd’hui. Ça implique une prise de décision par le ou la patient·e, informé·e par le médecin. La décision finale appartient toujours au patient. Et le médecin est là pour informer et conseiller au mieux le patient ou la patiente. Et dans le cas de la ménopause il faut aussi et bien sûr de l’écoute. Sans écoute ça n’a pas de sens.

Le regard sur le traitement de la ménopause

Remarquez-vous un changement de rapport ou de regard sur la ménopause chez vos patientes ou dans le monde médical, depuis quelques années ?

Le sujet de la ménopause a changé de multiple fois au cours de ces soixante dernières années. Les périodes où l’on mettait en garde, déclarant qu’il est dangereux de traiter la ménopause alternant avec des moments où au contraire, on encourageait le traitement de la ménopause. Avec des excès dans chacune des positions.

Comment expliquer ces revirements?

Ça s’explique en partie par la lecture d’études. Aujourd’hui, on est dans un mouvement de balancier, dont il est difficile de savoir quelle direction il va prendre. On n’est ni dans une situation qui préconiserait de traiter tout le monde, ni à l’inverse, dans une dans un mouvement qui répèterait : « attention, il est dangereux de traiter la ménopause ».
Le discours scientifique est plus nuancé actuellement. Mais il y a un retard dans la population ou même dans le corps médical. Car il y a toujours un décalage entre la littérature scientifique et la prescription sur le terrain, puis la prise de médicaments par les patient·e·s. Il y a toujours un temps de latence.
Dans les années 80, on s’est rendu compte que le THS (traitement hormonal de substitution) était utile non seulement pour traiter les symptômes de la ménopause, mais aussi qu’il prévenait les effets de la ménopause.

À l’époque, il s’agissait du seul traitement accessible pour traiter l’ostéoporose, tous les traitements actuels de l’ostéoporose étaient encore inexistants. Et de ce fait, on le prescrivait pendant très longtemps. Du début de la ménopause, donc autour de 50 ans en moyenne. Et même si les symptômes se manifestent selon les femmes, entre 2 et 10 ans voire un peu au-delà. Une perte osseuse peut survenir plus tard induisant l’ostéoporose. Donc dans les années 80, on a dit : « il faut donner le traitement de la ménopause très longtemps pour contrer l’ostéoporose, au-delà de 65, 75 ou 80 ans. C’est-à-dire en fait, ad vitam.
Dans les années 90, on a ensuite pensé que ce traitement hormonal prévenait l’artériosclérose. Ce qui est vrai pour une tranche d’âge de femmes relativement jeunes et qui ont des artères en bonne santé. Dans cette mouvance, des études à la fin des années 90, début 2000, ont évaluées, la prise du traitement hormonal au-delà de 65 ans, chez les femmes qui ne prenaient pas de traitement hormonal jusqu’alors. Elles n’étaient pas symptomatiques. Le traitement n’était pas étudié pour les effets de la ménopause, mais bien en prévention de maladies chroniques. Or les premiers résultats de ces études ont été dramatiques, montrant qu’il n’y avait pas de bénéfices dans une population qui est plus âgée (65 ans – 70 ans), qui n’a pas de symptômes de la ménopause, qui a commencé un traitement hormonal, a fortiori à haute dose, à cet âge-là.
Commencer un traitement à cet âge, quand on n’est pas symptomatique, n’a pas beaucoup de sens, et au contraire, cela se révèle plutôt moins bon en termes de risques. Ces résultats réfutaient les côtés bénéfiques du traitement hormonal. Il y avait aussi une petite augmentation des risques de cancer du sein, une petite augmentation du risque cardio-vasculaire dans cette population-là. Et on a mis 10-15 ans pour se rendre compte qu’en fait, si on regarde les mêmes études dans la tranche d’âge 50-60 ans, les bénéfices étaient quand même là. Et si on regarde ces mêmes études, on se rend compte que le manque d’efficacité était sans doute lié au choix des molécules – les progestatifs n’étaient pas les bons – et des doses, certainement trop élevée.

Quelles ont été les conséquences?

Cela a eu pour conséquence que pendant 10 – 15 ans, les médecins n’ont pas été formés. On a en fait sacrifié une génération de médecins dans le traitement de la ménopause. Ceci expliquant ce décalage vis-à-vis du public.
Aujourd’hui, le balancier est plus nuancé et les médecins auraient plutôt tendance à dire: traitons les femmes qui en ont besoin, mais ne traitons pas tout le monde, systématiquement. Évaluons le rapport risque/bénéfice individuellement, en fonction du profil de la patiente. Concrètement, ça signifie que si vous avez une patiente de 55 ans qui a des plaintes et un risque d’ostéoporose et pas de risque majeur, elle aura un bénéfice à prendre un traitement pendant 5 à 10 ans par exemple
Si à l’inverse vous avez une patiente qui n’a aucun risque d’ostéoporose et qui va bien sans traitement hormonal, évidemment qu’il ne faut pas la traiter. Si on est face à une patiente qui a un risque de cancer du sein assez élevé, aucune plainte quant aux symptômes de la ménopause, pas d’ostéoporose, c’est mieux de ne pas la traiter. Aujourd’hui, la tendance est plutôt au traitement sur mesure pour la patiente, et non plus au « traitons tout le monde, systématiquement ». C’est important de le rappeler.

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