Des cercueils totems aux bijoux funéraires, les nouveaux codes du deuil rendent la mort plus vivante
Personne n’échappe à la mort, mais envisager celle-ci de manière triste et morne n’est pas une fatalité. Au contraire, même, ainsi que commence à le comprendre l’industrie funéraire, qui s’enrichit d’acteurs extérieurs ayant pour objectif de rendre le deuil plus vivant.
« On entre on crie et c’est la vie, on crie on sort et c’est la mort ». Aperçue (en français alstublieft) sur une stèle d’un cimetière frison, cette épitaphe aux rimes philosophiques renvoie à l’universalité d’une expérience qui nous attend toutes et tous. Et qui, sous nos latitudes, est relativement formatée: riche ou pauvre, érudit ou inculte, gros ou mince, blanc ou noir, l’écrasante majorité d’entre nous finira entre quatre planches.
Et si le matériau dont elles sont faites diffèrera selon le budget alloué à cette dernière demeure, la distinction s’arrête-là. Une conformité aseptisée à laquelle l’artiste hutois Serge Nokin, alias Totems Tikis, a décidé de remédier. Inspiré des nuances et symboles des univers africains, amérindiens et océaniens, il s’est associé au Centre Funéraire Dubois-Tanier, partenaire du spécialiste funéraire DELA, pour personnaliser cercueils et urnes funéraires, et offrir aux morts un passage vers l’au-delà haut en couleurs.
« Je customise beaucoup d’objets. Cela va de la paire de chaussures aux tables de bistrot en passant par les objets décoratifs ou d’autres plus usuels… Un jour, je me suis dit : pourquoi ne pas customiser un cercueil ? Lors d’une rencontre fortuite, j’ai exposé mon projet à Eric Schellebroodt, entrepreneur de pompes funèbres au Centre funéraire Dubois-Tanier, à Wanze. Il a été séduit, tout comme le responsable régional de DELA, Patrick Neys, et ils m’ont alors confié la customisation d’un prototype »
confie l’artiste.
Qui répond ainsi à une demande croissante de nos compatriotes, lesquels, d’après les experts du secteur funéraire, sont toujours plus à vouloir des funérailles qui « réconfortent plutôt qu’accentuent le chagrin causé par la perte d’un être cher ». Célébrer la vie de la personne plutôt que pleurer son décès, la nouvelle manière d’honorer nos morts?
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Une question de vie et de morts
Une chose est certaine: le protocole centenaire consistant à enchaîner visites, crémation et/ou enterrement puis recueillement ritualisé à la Toussaint ne suffit plus. Un constat qui pousse les entrepreneurs du secteur à le réinventer, un service à la fois. Connue pour ses cérémonies de mariage ultra personnalisées, Elodie Love & Tralala étudie ainsi la possibilité de proposer des accompagnements similaires pour dire au revoir comme il se doit à un être aimé. Et si on n’est pas prêt·e à lui dire adieu? La Pierre d’éternité imaginée par Kewin Godeby garde leur mémoire vivante.
En combinant tradition (avec la porcelaine de Limoges) et technologie (grâce à une puce NFC) cette Pierre permet de revivre les plus beaux souvenirs partagés avec l’être disparu. Conçue pour être fixée sur tout monument commémoratif (pierre tombale, columbarium), elle s’adapte également à tout autre édifice qui aura été choisi à la mémoire du défunt, dont elle permet de « stocker, consulter et conserver un nombre illimité de souvenirs photos et vidéos. La voix, le visage et tous ces petits détails propres à chacun sont alors immortalisés » explique son concepteur.
Qui a pensé ce néo-objet funéraire également comme un « espace d’hommage, qui permet à chacun de déposer messages de sympathie et souvenirs, pour apporter un peu de douceur à la famille en deuil ».
Mieux que le médaillon en émail, cet artefact à la fois futuriste et nostalgique permet de garder une partie des personnes disparues en vie – et ouvre la porte, évolutions de la technologie AI obligent, à un futur pas si lointain où on pourra rendre visite à Mamie Micheline au cimetière et en profiter pour papoter « avec elle ».
De quoi donner une nouveau sens à la qualification « d’outre-tombe ».
Précieux souvenirs
Et si la technologie évolue suffisamment pour donner l’illusion de garder les morts en partie en vie, nulle avancée n’a encore permis de pallier à leur absence physique. L’odeur d’une nuque, la chaleur d’une étreinte, la douceur d’une caresse… Quand une personne chère disparaît, elle laisse un vide qui n’est pas seulement émotionnel mais bien aussi charnel.
On laissera à la littérature fantastique et aux oeuvres de science-fiction clonage et autres rafistolages à la Frankenstein, mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de sentir encore (une version symbolique de) ses proches.
Qu’il s’agisse de se faire tatouer à l’aide de leurs cendres, ou bien, de manière plus consensuelle, de les intégrer à un bijou, comme un talisman d’amour. Or jaune, rose ou blanc: les bijoux funéraires de la créatrice belge Elisabeth Leenknegt, alias Elisa Lee, peuvent être ornés d’une gravure, mais aussi d’une urne miniature, dans laquelle glisser un peu de l’être aimé, qu’il s’agisse de cendres ou de quelques brins de sa chevelure – ou de son pelage, si c’est à un animal chéri que vous voulez ainsi rendre hommage…
À l’été 2024, Elisabeth Leenknegt a élargi sa collection en proposant également une série de bijoux talimans parmi lesquels The Arcana, orné d’un cœur évidé dans lequel il est possible de glisser un message secret. Une fois le bijou refermé, le secret y reste à jamais, déclaration d’amour à même la peau et à l’épreuve du temps qui passe et qui efface certains souvenirs. « Que l’on y croie ou pas, une amulette portée comme bijou peut déclencher toutes sortes de choses. On la porte près du cœur et, chaque fois qu’on la touche, on repense à l’effet qu’on veut obtenir. Avec les bijoux talismans, on donne aux gens quelque chose de tangible qui leur offre de la sécurité et un point repère ».
Parce que chaque personne est unique, chaque mort, mais aussi chaque deuil l’est aussi, et l’industrie funéraire commence enfin à le comprendre.
Voire même, à devoir faire de la place à des acteurs qui ne sont pas du tout du secteur, mais qui voient dans ces nouvelles manière d’honorer les morts une continuité de leur travail autour de la célébration du vivant. De quoi adoucir le passage dans l’au-delà? Si la finalité du trépas reste la dernière frontière, rien ne dit qu’il est obligé de la franchir dans une ambiance morbide.
Lire aussi:
– Au Mexique, on nettoie les os des morts pour la Toussaint
– Psycho: Comment parler de la mort à un enfant?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici