Quel est ce « brat summer » qui s’invite jusqu’à la présidentielle américaine
Hier encore terme dérogatoire réservé aux sales gosses, « brat » est désormais, si pas vraiment un compliment, du moins, un état d’esprit dont se revendiquent la jeunesse ainsi que toutes celles et ceux qui s’y accrochent. Et il pourrait bien aider Kamala Harris à devenir la première Présidente des Etats-Unis.
Combien de mots faut-il pour renverser le cours d’une campagne présidentielle? Outre-Atlantique, le verdict reçu par Donald Trump, reconnu coupable par un jury des 34 actes d’accusation relatifs à sa tentative d’influencer le cours de la présidentielle de 2016 en payant une pornstar, n’a pas semblé endiguer sa course folle vers la Maison Blanche. Au contraire, même, ses supporters redoublant d’ardeur pour soutenir leur candidat. Mais en tweetant « Kamala IS brat » après l’annonce de la candidature de l’actuelle vice-présidente des Etats-Unis à la présidentielle, la pop star britannique Charli XCX a réussi à raviver l’espoir dans le camp démocrate – et à faire vaciller le candidat républicain, dont la victoire semblait jusqu’ici presque assurée.
Quel peut bien être le lien entre un scrutin dont les ramifications sont susceptibles d’influencer le monde entier et une chanteuse jusqu’ici surtout connue du grand public pour Boom Clap, bande-son du mélo Nos étoiles contraires ainsi que de l’adolescence de la Gen Z ? Et surtout, en quoi serait-ce un compliment de qualifier quelqu’un de « brat », terme dérogatoire jusqu’ici réservé en anglais aux morveux et autres enfants mal élevés ?
Si la question vous taraude à chaque fois que vous apercevez le vert vif qui a supplanté le rose Barbie au poste de couleur officieuse de l’été, ou bien dès que vous entendez ce dernier qualifié de « brat summer », c’est normal. Décryptage d’un de ces épiphénomènes ultra viraux dont l’époque a le secret.
Du briquet Bic à Kamala Harris
Au commencement, donc, était Charli XCX. Oui, celle-là même qui a affirmé que Kamala Harris était brat. Mais qui a aussi et surtout sorti l’album à l’origine de l’engouement en juin 2024. Un opus titré, vous l’aviez deviné, Brat, et réussissant le pari de sonner tout à la fois comme un périple nostalgique pour les Millenials et un cri de ralliement pour Zoomers en quête de sens. Lesquels, armés de vidéos TikTok et autres galeries de photos Instagram, ont achevé de codifier une esthétique désormais indissociable de l’été 2024, à mi-chemin entre la promesse et le joyeux aveu de faiblesse.
C’est qu’ainsi que l’explique Charlotte Emma Aitchison, alias Charli XCX, l’archétype de la brat est « cette fille un peu brouillonne, qui aime faire la fête et dit parfois des choses stupides, qui est à l’aise avec qui elle est mais qui traverse aussi des crises, auxquelles elle fait face en continuant à faire la fête ».
Son uniforme? « Un paquet de cigarettes, un briquet Bic et un top spaghetti blanc porté sans soutien-gorge » a affirmé la native de Cambridge dans un entretien accordé à la BBC.
Ce qui n’a pas empêché ses adeptes de quelque peu étoffer l’esthétique, entre casquettes Von Dutch (la marque est le titre d’une des chansons de l’album) rescapées du tournant du millénaire en même temps que les couches de lip gloss brillant également estampillées « brat », le tout nimbé de vert fluo et d’un certain je-m’en-foutisme réel ou affecté, nombre de marques et de communicants ayant répliqué le look faussement artisanal de l’album à des fins commerciales.
Tou·te·s demo(b)rats?
Ainsi que de gain politique? Il n’aura pas fallu longtemps à l’équipe de campagne de Kamala Harris pour rebondir sur l’adoubement de Charli XCX, en changeant l’arrière-plan Twitter de la candidate pour un vert immédiatement reconnaissable, mais aussi en optant pour une des chansons de l’album, 365, comme fond de sonore d’une vidéo TikTok.
Et si, de prime abord, l’association entre une candidate quinquagénaire à la présidentielle américaine et des paroles louant un hédonisme saupoudré de drogues illégales peut sembler aussi forcé et inconfortable que quand Hilary Clinton avait tenté de surfer sur la vague Pokémon Go (ou bien aussi cringe qu’un lipdub UMP, à chacun ses références) cela matche d’autant mieux qu’ici, Kamala Harris ne fait qu’enchaîner sur le tweet de l’artiste, plutôt que de tenter maladroitement de coller au zeitgeist dans une tentative forcément ratée de séduire le jeune électorat.
Lequel ne se prive ni d’applaudir la démarche, ni de continuer à se revendiquer brat, la tendance ayant connu un nouveau souffle grâce à cette incursion inattendue à Washington.
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Adieu clean girl, bonjour brat summer
Autres brats célèbres? Charli XCX, donc, on l’aura compris, mais aussi la it-girl Julia Fox, la mannequin Gabbriette (toutes deux citées dans les paroles de 365) ou encore, s’il faut en croire la pléthore de posts dédiés à la question, Nicolette Sheridan alias Edie, inoubliable pimbêche de Desperate Housewives, mais aussi George Sand et Cléopâtre, assure le National Geographic. Il n’y aurait donc ni âge ni époque pour correspondre à la définition moderne de cette insulte réappropriée ?
C’est que contrairement à l’esthétique quiet luxury, par définition ruineuse, ou à sa variation old money, encore plus inaccessible pour celles et ceux qui n’ont pas grandi enveloppés d’un cocon de richesse générationnelle, il suffit de décider qu’on est brat pour l’être.
Et à l’inverse de l’étiquette clean girl, ultra désirable il y a quelques semaines encore, et de tout ce qu’elle implique d’efforts pour avoir l’air « naturellement belle » et belle au naturel, ici, plus il y a d’imperfections, mieux c’est. Quand on vous dit que tout le monde peut être brat.
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Du côté du géant de l’e-commerce Zalando, on n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que « le plus grand ennemi de la clean girl est arrivé. C’est audacieux, c’est insolent, et c’est vert vif », coloris qui, depuis la sortie de l’album néon de Charli XCX, a bénéficié d’une augmentation de 61% des recherches sur Zalando rien que pour le mois de juillet.
Autre grand gagnant de l’esthétique brat? « Le single phare de l’album, Von Dutch, a conduit à une augmentation massive de 900% des recherches sur la marque des années 2000″ pointe-t-on encore du côté de la plateforme allemande.
Quant à savoir si ce qualificatif de « sale gosse » suffira à installer leur candidate pour 4 ans à la Maison Blanche, en attendant, aux Etats-Unis, les démocrates se revendiquent dores et déjà demo(b)rat et l’affirment à grand coup de merchandising. Vert de rave, ça va de soi.
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