« Il y a des actions constructives à mener pour bâtir un espace public plus égalitaire et arrêter d’invisibiliser les femmes »
Les nouvelles Guérillères, c’est le premier documentaire d’Elisa VDK. Armée de sa caméra, la réalisatrice bruxelloise met en lumière les actions de militantes féministes à Bruxelles, telles que les collages féministes, les » rides » à vélo ou encore les journées du Matrimoine.
Les nouvelles Guérillères, d’où vient ce titre et pourquoi une telle orthographe ?
Pendant une interview dans un parc avec des membres du collectif La Fronde, j’ai commencé à parler de mes idées pour le titre du documentaire. L’une d’elles m’a évoqué Les Guérillères de Monique Wittig, en me disant que je pourrais m’en inspirer. C’est l’histoire d’une communauté de femmes qui veulent fuir les hommes pour pouvoir déconstruire des codes qui leur sont imposés. J’ai trouvé que c’était super intéressant, alors j’ai commencé à lire le roman. En ce qui concerne l’orthographe, je l’ai directement empruntée à l’auteure qui l’a écrit de cette manière-là, en rappelant le mot « guérilla ». J’aime l’idée de la rébellion dans laquelle on va taper du poing sur la table. Il y a des actions constructives à mener pour bâtir un espace public plus égalitaire et arrêter d’invisibiliser les femmes. Je ne voulais pas non plus faire une référence littéraire absolue. Les gens peuvent comprendre le titre sans connaitre le livre. Cela colle au sujet, et puis ça claque!
Et vous, êtes-vous vous-même une « guérillère » ?
Toutes les féministes le sont un peu. Pour être honnête, ce n’est pas un projet que j’avais en moi depuis des années. J’ai énormément appris pendant sa conception. Cela a sauvé mon année 2020. J’ai rencontré des femmes incroyables, cohérentes, qui proposent des idées construites et réfléchies. Elles travaillent au quotidien, elles ne s’arrêtent jamais. Le terme « guérillères » les définit parfaitement bien et finalement me définit aussi car elles m’ont donné de la force, de l’énergie.
Comment avez-vous eu cette envie de traiter l’angle des collectifs bruxellois ?
Je suis bruxelloise, donc c’était naturel de m’intéresser à ce qui se passe dans ma ville. Vu que le premier confinement m’a complètement bloquée professionnellement, je me suis dit que c’était le bon moment pour me lancer dans un projet personnel. Je l’ai autoproduit. Je l’ai vraiment fait pour moi, au départ. Ce qui est fou, c’est que je connaissais quelques collectifs mais c’est en parlant avec certaines que j’ai pu élargir mon spectre de femmes que j’avais envie d’interviewer et de sujets à aborder. Je suis partie avec une idée en tête mais je me suis vite rendu compte que les causes sont hyper nombreuses et que surtout toutes les soutiennent. Par exemple, elles se rejoignent toutes sur le sujet de l’intersectionnalité. Aucune d’entre elles n’avait un discours discordant par rapport à cela.
Comment le tournage s’est-il déroulé ?
Je les ai interviewées dans un spot à Bruxelles pour qu’elles puissent vraiment prendre place dans l’espace public, être présentes. Les entrevues sont filmées en contre-plongée pour leur donner un point de vue dominant et assertif dans la façon dont elles s’expriment. Je les également accompagnées dans leurs actions pour mettre en image ce qu’elles m’expliquaient. J’ai donc assisté aux collages en rue avec La Fronde, participé aux journées du Matrimoine avec Appoline Vrancken (L’architecture qui dégenre), marché avec Stéphanie Ngalula (Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations) lors de visites guidées décoloniales et enfourché mon vélo avec les Déchainé·es. Je les ai quasiment toutes suivies, sauf les Bledarte dont les événements ont été malheureusement annulés. Alors, j’ai repris pas mal de photos et de vidéos qu’elles avaient réalisées précédemment.
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Un moment du tournage vous a-t-il marqué ?
En tout, j’ai mené neuf interviews. Sur sept d’entre elles, nous avons été systématiquement importunées. La police est venue nous demander ce que l’on faisait. Des hommes nous ont insultées et certains voulaient absolument apparaitre à la caméra. Au départ, j’ai voulu garder ces passages en me disant que cela aurait pu être un fil conducteur du documentaire. Ce qui m’a frappé, c’est le fait que quand on occupe l’espace public, on a l’impression que l’on peut être uniquement de passage. Dès que l’on est posé plus d’une demi-heure et qu’il y a des gens autour de nous, ils doivent se manifester. C’est insupportable. Le film parle exactement de cet aspect-là, mais finalement je n’ai pas voulu leur laisser du temps de parole.
Y a-t-il un témoignage qui vous a particulièrement touché ?
Le témoignage de Fatima-Zohra Ait El Maâti (Imazi Reine) m’a beaucoup impacté. Elle m’a apporté énormément de réponses à des questions que je ne me posais même pas. Je buvais ses mots car elle était cohérente, claire, super engagée et très abordable aussi. C’était une belle rencontre. Elle a renforcé mon opinion sur le féminisme et sur toutes les femmes car il faut arrêter de penser qu’il n’y a qu’un seul modèle de femme libérée.
La convergence des luttes est-elle essentielle dans le monde d’aujourd’hui ?
Toutes les femmes des collectifs interrogés se sont rendu compte qu’elles ne pouvaient pas juste parler des femmes. Elles veulent défendre la cause des femmes mais aussi celles de toutes les minorités. Elles se battent pour beaucoup plus de choses qu’uniquement elles-mêmes. Moi, par exemple, je suis une femme blanche queer mais je ne subis pas les mêmes discriminations qu’une femme noire queer, une personne racisée ou en situation de handicap. Cette convergence des luttes, c’est toute une série de domaines de domination qu’il faut prendre en compte et ne pas laisser de côté.
Le documentaire sera diffusé le 9 mars sur Tipik, s’adresse-t-il à tous ?
J’espère que ma manière de présenter ces femmes et ces collectifs est abordable. J’ai moi-même beaucoup appris sur le chemin, notamment des termes que je ne connaissais pas. J’ai envie d’emmener le spectateur avec moi et avec elles. Le documentaire ne s’adresse pas uniquement à un public convaincu mais permet de démystifier ce qu’est le féminisme et de montrer ces femmes brillantes qui sont sur le terrain quotidiennement. Je veux que le public puisse le regarder, comprendre, découvrir et s’en faire sa propre opinion. Si cela peut titiller les esprits et conscientiser, ce n’est que du bonus.
Céline D’Hulst
Les nouvelles Guérillères, 9 mars, sur Tipik, à 20h35, d’Elisa VDK avec La Fronde, Laisse les Filles Tranquilles, les Déchainé·es, Noms Peut-être, les Bledarte, Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations, Imazi Reine, Appoline Vrancken de L’architecture qui dégenre et Manon Brulard de HackYourFuture.
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