Belle-mère, l’enfer? Pourquoi cette relation est si compliquée, et comment (enfin) l’apaiser
La plupart des clichés se basent sur un fond de vérité, et derrière celui de la « belle-doche » pénible au possible, on retrouve en réalité toute la complexité de la relation entre belle-mère et belle-fille. Mais au fond, pourquoi ça coince? Et surtout, comment arriver à des rapports plus apaisés?
La scène: un rassemblement de copines, autour d’une table ou d’un verre. Le scénario: toujours le même. Les répliques fusent, les éclats de rire aussi, les sujets s’enchaînent, ça trinque, ça parle fort, et puis entre deux anecdotes, il y en a toujours bien une pour partager « la dernière » de sa belle-mère. Et là, acte II, nos protagonistes se séparent en deux camps.
D’un côté, des belles-filles plus que partantes pour faire écho à cette complainte avec une litanie de plaintes au sujet de leur belle-mère. De l’autre, une ou deux bienheureuses, qui s’étonnent et l’assurent: elles adorent la leur, d’ailleurs elles s’entendent super bien et vont justement se faire une virée shopping la semaine prochaine. Silence étonné, voire même consterné: c’est qu’à l’heure de la sororité, non seulement il est toujours admis d’entretenir des relations ultra conflictuelles entre belle-mère et belle-fille, mais en prime, celles qui ont la chance de bien s’entendre seraient presque vues comme des traitresses. Ou du moins, de drôles de licornes, dont leurs proches ne savent pas trop s’il faut les envier ou questionner une relation qui semble trop belle pour être vraie.
Si certains reportages nécessitent des trésors de patience et de finesse pour récolter des témoignages, ici, il n’y a eu qu’à se baisser. Et Lena, qui témoigne sous un prénom d’emprunt pour la paix des ménages, enfin du moins le sien, incarne parfaitement le rapport paradoxal que les femmes ont avec celle qui a donné vie à leur tendre moitié.
« Je m’étais jurée que quoi qu’il arrive, je ne tomberais jamais dans le cliché de la belle-fille qui déteste » sa belle-mère, assure avec virulence cette maman de deux enfants qui, petite, a beaucoup souffert des disputes parentales liées à sa grand-mère, ainsi que des paroles parfois très dures que sa mère pouvait avoir envers cette dernière. Et pourtant, des années durant, ce conflit interne a été son quotidien.
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Loin des yeux, loin du coeur
« Ma belle-mère est une femme très complexe. Fondamentalement, c’est triste, parce qu’elle est du genre à être sa pire ennemie, et à se saboter en permanence, mais le problème, c’est que ça la rend très amère. Et qu’en prime, elle est plutôt prompte à aller chercher la paille dans l’oeil de l’autre malgré la poutre dans le sien » soupire encore Lena qui, après ce qu’elle décrit comme de vaillants efforts pour s’entendre, a longtemps opté pour une guerre de tranchées. Avec, ça va sans dire, force querelles conjugales, « parce que mon mec a beau avoir bien conscience du problème, forcément, ça passe assez mal quand je lui dis sans prendre de gants ce que je pense de sa maman ». Le plus injuste, dans tout ça? « Ma soeur, elle, a une belle-mère de rêve, attentionnée, complice, hyper bienveillante… Il leur est carrément déjà arrivé de se faire des petits week-ends rien qu’à elles deux, le truc totalement inimaginable pour moi ».
Même son de cloche pour Sophie, qui, si elle témoigne anonymement elle aussi (« Hors de question de rajouter de l’huile sur le feu ») a fait sien l’adage « loin des yeux, loin du coeur ».
« Ma belle-mère est une plaie, et sincèrement, c’est le dire poliment. Je la vois très exactement deux fois par an, à la Noël et à l’anniversaire de mon mari, et le reste du temps, je le laisse la voir en solo. Il peut manger tous les midis de la semaine avec elle si ça lui dit, ou l’emmener au théâtre en soirée: tant que je ne dois pas me la coller, ça m’est parfaitement égal ».
Mais au fait… pourquoi tant de haine?
Belle-mère et belle-fille, une relation non-choisie
Pour Véronique Cayado, responsable d’études au sein de l’alliance du bien vieillir Silver Alliance, cette inimitié trouve ses fondements dans le rapport historique des parents à leurs enfants.
Longtemps, avoir un fils était considéré comme étant plus désirable qu’avoir une fille, ce qui pouvait pousser leurs mères à plus investir ce lien, et donc, à compliquer d’emblée la relation avec une belle-fille qui leur « volerait » leur enfant. En outre, historiquement, « une nouvelle union signifiait pour la femme de devoir quitter le domicile de ses parents. Elle venait vivre dans la demeure familiale de son conjoint. Ce vivre-ensemble contraint a sûrement alimenté l’image conflictuelle qu’on peut avoir de la relation belle-mère/belle-fille, d’autant plus que la belle-fille constituait alors une main d’œuvre bienvenue ».
Bon, mais on n’est plus à l’époque de Cendrillon, si?
Alors comment expliquer que cette relation reste si complexe? Tout simplement parce que par définition, il s’agit d’une relation non-choisie. La belle-fille n’a pas plus de contrôle sur la belle-mère dont elle va hériter en tombant amoureuse de sa moitié que la mère de l’élu de son coeur ne peut influencer le choix de sa belle-fille. Parfois, par chance, la rencontre est harmonieuse, mais souvent, entre caractères différents, valeurs qui divergent et complexité d’aimer toutes les deux (bien que différemment) le même homme, ça fait des étincelles.
Et les (autres) principaux concernés, eux, qu’en pensent-ils?
Besoin de reconnaissance
Si Marin peut aujourd’hui compter sur une relation civile, voire même presque cordiale entre sa mère et sa copine, il n’en a pas toujours été ainsi. Piques aux repas de famille, crises de larmes sur le trajet du retour et disputes gratinées sur fond de « ta mère est une sorcière », le trentenaire est passé par plusieurs années émotionnellement drainantes.
« Avant de rencontrer la femme de ma vie, j’avais eu quelques amourettes, mais je n’avais pas ramené beaucoup de conquêtes dans le cercle familial, et je n’avais donc pas vraiment conscience des écueils potentiels de la relation entre belle-mère et belle-fille. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ça fasse des étincelles, mais avec le recul, je ne suis pas tout à fait surpris non plus: ma mère et ma femme ont toutes les deux des personnalités fortes, mais aussi des rapports au monde très différents, donc forcément, ça risquait de coincer. Surtout que se rajoute à ça le fait que leur rencontre correspond au divorce de mes parents, ce qui a amené une série de questions existentielles chez ma mère qui n’ont pas simplifié les choses ».
Euphémisme s’il en est: Marin l’avoue aujourd’hui, à plusieurs reprises, tant lui que sa femme ont été tentés de jeter l’éponge après une énième dispute à rallonge suite à l’un ou l’autre repas de famille.
« J’ai l’impression que quand on parle de la relation belle-mère et belle-fille, on ne prend pas assez souvent en compte la douleur que ça peut causer chez les hommes. C’est sûr que quand on rencontre quelqu’un et qu’on fonde une famille avec lui ou elle, ça implique de redéfinir les rapports avec sa famille « d’origine ». Dans la relation belle-mère/belle-fille, ce n’est jamais dual, il y a toujours un rapport triangulaire puisqu’entre les deux, il y a le fils de l’une et le compagnon de l’autre, et c’est important de le prendre en compte »
souligne Marin.
Le coeur des hommes
Qui conseille à tous ceux qui traversent une période de tensions de tenter de prendre du recul, même si « forcément, ce n’est pas facile quand il s’agit de personnes qu’on aime. Pour moi, c’est très important aussi de comprendre que ce n’est pas parce qu’on a toujours fonctionné d’une certaine manière au sein d’une famille que cela vaut pour tout le monde. Par exemple, ce n’est pas parce que vous avez toujours joué le rôle de pacificateur au sein de votre famille que votre conjoint doit forcément encaisser et endosser le même rôle ».
Le plus important, selon lui? « Parvenir à trouver de la place pour tout le monde, en ce compris pour soi ».
Si on veut s’affranchir du cliché et construire une relation apaisée, basée, si pas sur l’amour, à tout le moins sur le respect mutuel, la réponse est dans la question: il s’agit tout d’abord de faire preuve de respect. Mais aussi de compréhension: au coeur des tensions, il y a bien souvent un déni de l’évidence. Comprendre: tant la belle-mère que sa belle-fille ont un besoin de reconnaissance.
« Une belle-mère est souvent incapable de partager avec une autre personne le fils qu’elle a élevé pendant 20 ans, alors même qu’elle sent que quelqu’un essaie de prendre sa place. Ces peurs sont intrinsèques à la nature protectrice de la mère (…) D’autre part, les belles-filles sont conscientes de la force du lien entre mère et fils et craignent de ne pas être capables de maintenir une relation également solide. Elles savent que ce sera difficile et que la pression engendre inconsciemment le rejet, l’insécurité et la peur » pointent les professionnels de Psychologue.net.
Comparaison n’est pas raison
Qui rappellent que « tout n’est pas tout blanc ou tout noir, il faut donc apprendre à voir le bon côté de certaines personnes. Personne n’est réellement une peste, un monstre de méchanceté ou une sorcière. Réfléchissez d’abord sur vous-même, sur ce que vous avez pu faire, avant de tout mettre sur le dos de l’autre personne ».
Pour la psychologue Amy Keller, il est important de choisir de voir les choses de manière positive, parce que « votre belle-mère a peut-être toujours été la femme la plus importante dans la vie de son fils, et maintenant, vous avez pris sa place. Personne n’aime se sentir remplacé, exclu ou abandonné ».
On fait preuve d’empathie, donc. Et on évite la comparaison: mettre en miroir la relation qu’on a avec ses parents et celle qu’on a avec ses beaux-parents n’a pas de sens, car elles sont forcément très différentes, et les comparer n’amènera rien de bien – au contraire.
R-e-s-p-e-c-t
Autre réflexe important à adopter: le respect susmentionné.
Parce que peu importe à quel point votre belle-mère ou votre belle-fille vous insupporte, le fait est que même si vous ne l’avez pas choisi, vos vies sont intimement liées. Lena confie avoir longtemps choisi d’ignorer ce fait, et s’être permis d’en « lâcher quelques belles ».
Jusqu’au jour où… « Après une énième dispute, et en voyant à quel point cette situation faisait souffrir mon mari, j’ai compris que j’avais le pouvoir de changer, si pas le comportement de ma belle-mère, du moins la manière dont j’y réagissais. Maintenant, je choisis de la traiter comme j’aimerais qu’elle me traite: elle est compliquée, oui, mais on l’est tous à notre manière, et si elle dit un mot de travers, c’est peut-être juste parce qu’elle est fatiguée ou crampée, et pas foncièrement méchante. De changer de perspective, j’aborde les réunions de famille beaucoup plus détendue: et, surprise, la mère de mon mari semble l’être aussi et est beaucoup moins pénible à vivre ».
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde »? Gandhi ne croyait pas si bien dire, et ça s’applique aussi aux repas de famille.
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