FOMO, syndrôme de l’époque 2.0
Cet acronyme de Fear of missing out, la peur de louper quelque chose, est un corollaire de l’addiction aux réseaux sociaux.
Scène vécue dans un de ces restaurants parisiens ultracotés dont le carnet de réservations est plein des semaines à l’avance. Le plat arrive. Illico, votre codîneur dégaine l’iPhone qui était déjà à portée de fourchette pour immortaliser le dîner tant attendu, organise la scénographie de la table, prend sa photo et, bam !, la poste presto sur Instagram. En profite pour » checker » au passage les » like » de son post précédent.
Pendant ce temps, l’assiette refroidit tranquillement. Pas grave, puisque l’instant est vécu – voire jalousé – par procuration par des dizaines, ou des centaines de followers, qui savent ainsi que son auteur est au bon endroit au bon moment.
Le reste du dîner se passera au rythme des SMS et WhatsApp, jauges indispensables de ce qui se déroule ailleurs.
Cas typique de Fomo, cette hantise de louper ce qui pourrait se jouer là où l’on n’est pas – et son corollaire : l’obligation compulsive d’être le documentariste de sa propre existence, pour convaincre la communauté (et se rassurer soi-même) qu’on vit des choses formidables.
Pour certains, le Fomo serait la simple conséquence d’une addiction à Internet, et aux réseaux sociaux en particulier, rejeton inévitable de l' » infobésité « . Pour d’autres, ce serait un trouble d’ordre compulsif, plus structurel. Parmi les défenseurs de cette seconde théorie, le psychologue Jean-Charles Nayebi, auteur de La Cyberdépendance en 60 questions (Retz), traduit, lui, l’expression par » anxiété de ratage » et estime que » certaines personnes plus vulnérables peuvent souffrir et faire souffrir leur entourage du fait de ce syndrome « .
Une psychopathologie qui mérite d’être soignée, car elle concerne autant la sphère professionnelle – le phénomène est connu depuis longtemps en psychologie boursière, et il affecte désormais tous les employés hyperconnectés – que la vie privée. Notamment parmi la » gén Y » et les trentenaires dont on dit que la » fomoïte » les empêche de fixer leur attention sur l’instant vécu. Les jeunes adultes passeraient en moyenne seulement nonante-sept minutes dans une soirée, selon une étude de l’université britannique de l’Essex. Et le surbooking devient plus qu’une expression : accepter deux dîners le même soir relèverait d’une pratique courante. Sophie, 33 ans : » Ça ne veut pas dire que je vais annuler, au contraire, je vais à un premier dîner à l’heure dite et je préviens mes amis du dîner suivant que j’arriverai pour le dessert. » Du surbooking à l’impolitesse, une frontière ténue ? » Pas du tout : je préviens à l’avance, mes amis comprennent très bien. » D’autant mieux d’ailleurs que ce type de comportement est plus souvent le fait de trentenaires célibataires que de ceux qui vivent en couple.
Comme le justifie la psychanalyste Sophie Cadalen, qui signe Tout pour plaire… et toujours célibataire (Albin Michel) : » Aujourd’hui, dans les grandes villes, les célibataires sont de plus en plus nombreux et, dans le même temps, de plus en plus stigmatisés dans une société où même le couple est soumis à l’obligation de la performance. D’où le nombre croissant d’outils et de comportements que cette situation provoque. L’obligation de se démultiplier, sous peine de ne jamais rencontrer quelqu’un – qui est l’un des enjeux de cette anxiété du ratage -, procède d’un cercle vicieux : plus on se soucie de ce qui se passe ailleurs, plus on culpabilise de ne pas » en » être, plus on est dépendant de ces sources d’information. »
Le surbooking sévit aussi dans le boulot : la multiplication d’engagements et de tâches plus ou moins utiles, la réunionite, la participation à une foule de rendez-vous et autres conférences loin d’être indispensables, par crainte de manquer l’info qui compte, le bon tuyau, le contact en or…
On entre là dans ce que les psys anglo-saxons appellent le » Fonk » (fear of not knowing). Toujours selon une étude de l’université de l’Essex, le phénomène affecterait en priorité les moins de 30 ans en quête de reconnaissance sociale et de valorisation, privée ou professionnelle. Un problème exacerbé par l’environnement particulièrement anxiogène dans lequel nous évoluons. Que certaines marques mettent à profit. Ainsi la vodka Smirnoff a organisé en Afrique du Sud un » No Fomo Tour » avec concerts, DJ et animateur radio, promettant aux participants des soirées si réjouissantes qu’ils ne seraient pas tentés d’aller voir ailleurs. Pour enrayer l’épidémie, les médias anglo-saxons multiplient les propositions et méthodes de » désintoxication « .
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Première étape : comprendre que le postulat est mensonger, car, non, le monde n’est pas peuplé de personnes qui mènent des vies tellement plus excitantes que la nôtre. Ce que l’on poste de soi sur Facebook ou Instagram n’est qu’une projection du meilleur de ce que l’on vit. Comme le résume avec humour Martha Beck, auteur dans le Huffington Post américain d’un article dans lequel elle donne ses conseils pour s’en sortir : » La plupart des gens, comme vous, passent une grande partie de leur temps à chercher leurs clés, une activité chronophage qui ne donne lieu à aucune photo ou commentaire sur les réseaux sociaux. «
Ensuite, il convient de réinventer le Fomo. Martha Beck propose, dès que l’anxiété pointe le bout de son clavier, de contrer l’ennemi à coups de pensées positives. Elle suggère ainsi de se convaincre que Fomo pourrait vouloir dire » find one magnificent object » ou » feel okay more often « . A vous de trouver en français, mais ça ressemble bien à des petits exercices de méditation, non ?
Méditer pour guérir
Enfin, on est mûr pour passer au Jomo. La tendance de fond que des observateurs voient se profiler pour 2014. Cette » joy of missing out » consiste à débrancher, à se laisser le temps de penser et de vivre sans paniquer à l’idée de ce que l’on devrait être en train de » faire « . L’agence de communication JWT a inscrit, dans ses dix prédictions pour 2014, le mindful living. Il s’agit d’adopter un mode de vie plus serein, intimement lié au Jomo, fondé sur des principes de méditation.
Un choix de vie que les entreprises intègrent de plus en plus dans leur fonctionnement. Ainsi Google a-t-il mis en place pour ses employés des déjeuners méditatifs silencieux (silent mindful lunches) où, bien évidemment, les téléphones portables sont proscrits. En Grande-Bretagne, les membres du Parlement prennent des cours de mindfulness (autre nom pour » méditation « ) et la Bank of England propose des leçons de méditation à ses employés.
Ridicule, voire hypocrite ? Un peu, mais c’est le signe que la direction de ces entreprises a pris la mesure de l’importance du bien-être de ses salariés, et cherche ainsi sans doute à se prémunir contre les risques de burn-out, autre grande pathologie de l’époque, conséquence la plus grave du Fomo. Moins caricaturale, la méthode qui consiste à abandonner les comportements grégaires est la première étape vers le Jomo. Arrêter de regarder dans l’assiette du voisin, cesser de se comparer à autrui et tenter de se rapprocher progressivement de ce qu’écrivait la grande poétesse Emily Dickinson, agoraphobe notoire qui a passé la majeure partie de sa vie chez elle : » Vivre est une expérience si étonnante qu’elle laisse très peu de temps pour le reste.
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PAR ELVIRA MASSON
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