L’IA et les chatbots vont-ils remplacer la thérapie de couple?

L'IA va-t-elle remplacer la thérapie de couple ? Getty Images
L'IA va-t-elle remplacer la thérapie de couple ? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

L’intelligence artificielle peut-elle vous aider à surmonter une mauvaise passe avec votre partenaire? Toujours plus de couples en sont persuadés. Mais n’est pas thérapeute qui veut, et les pros de la santé mentale soulignent les dangers de cette approche désincarnée.

«Mon mari me rendait dingue, et puis ChatGPT a sauvé notre mariage.» «J’ai survécu à ma rupture grâce à l’IA.» «Comment l’intelligence artificielle est en train de transformer les relations.» Mais aussi «ChatGPT lui annonce sans preuve que son mari la trompe (et elle demande le divorce)». Un rapide tour d’horizon des gros titres consacrés à la place toujours plus grande prise par l’intelligence artificielle dans nos vies affectives permet de réaliser que celle-ci se substitue parfois à une thérapie de couple traditionnelle – et que ce n’est pas toujours désirable.

Sur papier, pourtant, cette alternative moderne au passage en cabinet a (presque) tout pour plaire. A commencer par son coût: comparé au budget moyen d’une séance de thérapie de couple, qui varie entre 55 et 90 euros, l’abonnement mensuel à ChatGPT-4, proposé au prix de 20 dollars (ou 17,65 euros) est une affaire. D’autant qu’il est également possible d’avoir recours aux services de la plateforme, ainsi que de certaines de ses concurrentes, gratuitement.

Autre avantage: à l’accessibilité financière s’ajoute un accès permanent, où que vous soyez.

Nul besoin d’attendre votre prochain rendez-vous pour vous épancher, vous pouvez bénéficier des lumières de l’intelligence artificielle à tout moment, même en pleine dispute carabinée à 2 heures du matin au beau milieu de nulle part – enfin, tant que vous avez accès à une connexion Internet du moins.

Et puis il ne s’agirait pas d’oublier les barrières à l’accès. Outre le budget et la disponibilité, pour certaines personnes, franchir le pas de consulter relève presque du domaine de l’impossible, en raison de préjugés ancrés, de la honte suscitée par les sujets que l’on voudrait aborder ou encore d’une timidité qui peut devenir paralysante à l’idée de se confier à un·e inconnu·e, quelles que soient ses qualifications professionnelles.

Bon marché, toujours disponible et confidentielle, l’IA pourrait-elle représenter l’avenir de la thérapie? Pas si vite.

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L’attrait de l’accessibilité

D’abord parce que dans le cadre d’un suivi thérapeutique, la temporalité est tout sauf anodine. Qui a déjà entamé la démarche de se faire accompagner en solo ou en couple sait qu’il faut attendre en moyenne deux semaines, si pas plus, avant le premier rendez-vous. La faute à un système de santé mentale saturé, certes, mais pas uniquement.

Comme le rappelle la thérapeute de couple Natasha Gritten, établie à Bruxelles et elle-même «en couple heureux durant plus de 35 ans» jusqu’au décès de son mari, le travail thérapeutique prend du temps. De son propre aveu «parfaitement consciente» de l’importance de proposer un premier rendez-vous le plus rapidement possible aux personnes qui trouvent le courage d’entamer un suivi, elle souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’être trop pressé (et encore moins de vouloir des solutions là, maintenant, tout de suite) quand on se lance dans cette démarche.

«La thérapie de couple, ce n’est pas amusant, pointe-t-elle. On se confronte à nos zones d’ombres, nos luttes internes, et pour pouvoir y faire face et laisser s’ancrer les idées développées en consultation, il faut du temps.

L’IA apporte un mécanisme ludique très rapide, mais ce qu’elle offre, ce sont des solutions ponctuelles à des problèmes relationnels.

Elle ne va pas apprendre aux personnes à avancer. Selon les experts, 70% des conflits de couple sont insolubles, donc pour bien fonctionner en couple, il faut travailler sur l’acceptation de la différence plutôt que sur l’arbitrage des disputes, et c’est un travail de longue haleine.»

En outre, complète sa consœur Valérie L’Heureux, sexologue clinicienne établie elle aussi en région bruxelloise, «cette immédiateté est le reflet d’un monde où l’on attend de la relation à l’autre qu’il ou elle réponde immédiatement à nos besoins, sans période de maturation émotionnelle ni digestion des émotions». Or la personne avec laquelle vous partagez votre vie n’est pas un robot. Et quand ces derniers s’improvisent conseillers en relations humaines, la gratification immédiate est le moindre des dangers auxquels s’exposent les patients 2.0.

Les dangers du digital

Pour rappel, quel que soit le lien que vous ayez pu tisser avec votre chatbot préféré, «c’est, par définition, un robot. Qui va donc avoir recours à des réponses type, le plus souvent basées sur des données généralisées, quitte à nourrir des idées reçues», met en garde Margaux Terrou. Sexologue en région parisienne, elle vient de publier aux éditions Payot La Malbaise, afin de tenter d’expliquer «pourquoi nous faisons moins l’amour et comment réenchanter nos ébats».

«En tant que sexologue, je ne suis pas qu’une pourvoyeuse de conseils. Je vais analyser le discours de la personne que j’ai en face de moi, ses doutes, son histoire, mais aussi ses mouvements et ses temps de réponse», précise-t-elle.

Autant de comportements dont les machines sont (pour le moment?) incapables et qui font pourtant partie intégrante du suivi.

En consultation, Natasha Gritten est non seulement bien placée pour voir si la personne en face d’elle rougit, s’agite, marque un temps d’arrêt avant de répondre, mais aussi, pour interpréter le sens de ces réactions non verbales et adapter son propre comportement en fonction. Par exemple, en mettant momentanément de côté un sujet trop douloureux à explorer.

Dans son cabinet, cette maman de quatre enfants âgés de 26 à 34 ans a une boîte à mouchoirs offerte par ces derniers, et sur laquelle est gravée la phrase «Ce n’est pas en disant aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre qu’on les aide à avancer». Et si Natasha Gritten note que l’IA, elle, confirme toujours le ressenti de la personne qui s’adresse à elle, là où le rôle du thérapeute est justement parfois de confronter ou de cadrer ses patients, elle n’encourage pas cette évolution pour autant. En effet, ainsi que le précise Valérie L’Heureux, «la machine s’en fout si vous êtes au bord du suicide après avoir lu l’analyse qu’elle fait de votre relation. Les thérapeutes sont des personnes humaines, qui adaptent leurs propos à la réaction de leur interlocuteur.»

Et même si elle concède qu’en thérapie de couple, il est plutôt rare qu’une personne s’effondre complètement au cours d’une séance, elle voit un autre danger à ce simulacre de thérapie par écran interposé. En l’occurrence, l’écran en lui-même, en opposition complète avec la démarche.

Par définition, quand on rencontre un problème dans sa vie amoureuse, c’est un problème relationnel, or en se repliant derrière son clavier, on n’est en relation avec personne.

Consciente, elle aussi, des freins au suivi thérapeutique, Valérie L’Heureux conseille aux personnes qui seraient tentées de faire part de leurs problèmes à l’intelligence artificielle de toujours débriefer ses conseils par la suite, que ce soit avec un spécialiste de la santé mentale ou un proche.

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L’illusion d’intimité

Certes, certaines situations sont peut-être délicates à aborder avec un parent ou un ami, surtout quand ça touche à l’intimité. Mais là où nos trois expertes s’accordent, c’est que l’anonymat et le secret que semble garantir le fait de se confier à un conseiller désincarné ne sont qu’une illusion.

Comme le rappelle Valérie L’Heureux, si c’est gratuit, c’est vous le produit.

Or les plateformes qui proposent chatbots et autres services de thérapie par IA interposée peuvent monétiser les informations parfois très sensibles que vous partagez, par exemple, en vendant les données d’une personne victime de l’infidélité de son partenaire et au bord du divorce à un site de médiation.

«Tout le monde n’a pas conscience des risques éthiques et du problème de confidentialité posé par le recours à l’intelligence artificielle comme une forme de thérapie», appuie Natasha Gritten. Qui épingle d’autres illusions dangereuses entretenues par le système, à commencer par celle de la compétence.

Pour rappel, à l’heure d’écrire ces lignes, les chatbots existants fonctionnent comme des super moteurs de recherche extrêmement rapides. Quelle que soit la question posée, la réponse fournie se base sur une digestion des données disponibles sur le sujet en ligne, la différence avec Google et consorts étant que l’explication est fournie sur un ton conversationnel plutôt que via une liste de sites pertinents. Pourtant, cette approche «permet à la personne qui lit ces réponses de croire qu’elle a une entité compétente en face d’elle, alors que non, l’IA n’est pas vraiment compétente, rappelle Natasha Gritten. Elle fonctionne avec des statistiques et elle modélise ses réponses à partir de probabilités, mais elle ne comprend pas ce que le patient vit.»

Pire: elle a réponse à tout, quitte à répondre faux. Celle qui est aussi juriste en parallèle de ses activités de thérapeute en a fait les frais lorsque ChatGPT lui a tiré une réponse du «code des assurances», un texte de loi… qui n’existe pas dans le droit belge. «L’IA est capable d’affirmer avec un aplomb extraordinaire des choses tout à fait fausses, met-elle encore en garde. On est face à une illusion de connaissance absolue, de toute-puissance, qui est très dangereuse.»

Avant de conclure, pince-sans-rire, que cela vaut peut-être aussi pour certains thérapeutes humains, «mais pas les bons».

Son conseil? Si votre situation porte sur un problème de communication digitale, n’hésitez pas à le soumettre à l’IA, puisqu’elle est elle-même digitale. Du reste, la thérapie par écran interposé n’est qu’une «imitation d’empathie à l’aide de certaines tournures de phrase bien senties».

Et Margaux Terrou d’utiliser une analogie limpide pour illustrer pourquoi l’IA peut venir compléter mais pas remplacer un suivi traditionnel, en prenant l’exemple des sextoys. «Certes, ils procurent du plaisir, mais on continue quand même à avoir des rapports intimes, parce qu’en tant qu’humains, nous avons besoin de ressentir le regard de l’autre, sa présence.» Et de pointer que la sexualité est une rencontre, et qu’il en va de même pour la thérapie.

Sans rancune, ChatGPT. 

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