« Oui, le post-partum peut aussi être positif », le cri du coeur qui divise

Non, le post-partum n'est pas forcément un chemin de croix - mais ça dépend de chaque grossesse (Getty Images)
Non, le post-partum n'est pas forcément un chemin de croix - mais ça dépend de chaque grossesse (Getty Images)
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Ces dernières années, la parole s’est libérée autour de la parentalité, maternité en tête, et certains des aspects désagréables de la grossesse, de l’accouchement ou encore de la période post-partum sont désormais discutés librement. Jusqu’à colorer le dialogue d’un vernis parfois trop négatif? Sur les réseaux, le débat fait rage – quitte à égratigner quelques jeunes mamans au passage.

La vidéo, forcément léchée, montre une image idyllique des premières semaines avec bébé. À l’écran, Claire Marnette Allegretti alias Milkywaysblueyes, l’influenceuse namuroise aux plus de 250.000 followers sur Instagram, déambule dans les rues de la capitale et chronique le déroulé d’une journée type de sa nouvelle vie. Devenue maman d’une petite Paola en mai dernier, la trentenaire commence par une mise en beauté (brushing maison inclus) avant le réveil de sa fille peu avant 10h. Une heure qui a déjà de quoi faire grincer des dents celles et ceux dont les bébés se lèvent plutôt avec les poules que façon grasse mat’, mais la comparaison ne s’arrête pas là.

Changement de couche, tétée, sieste et puis en route pour une promenade en poussette dans les rues de Bruxelles; la longue chevelure brune de Claire étant dissimulée sous un chapeau à bord large que ne renierait pas Carrie Bradshaw, pas plus, d’ailleurs, que sa robe noire vaporeuse ou son sac Chanel matelassé. Après un lunch entre copines en terrasse, cap sur les bureaux de l’Atelier Milky, son agence de création de contenus, où elle jongle entre tournage d’une campagne et sieste de Paola. C’est qu’elle a beau avoir accouché il y a moins de deux mois, en bonne indépendante, « Milky » comme ses fans la connaissent doit, ainsi qu’elle le souligne en légende de sa vidéo, concilier « boulot et vie de maman ».

Une jonglerie pas toujours aisée qu’elle accomplit à merveille, s’il faut en croire cette image d’Epinal de la maternité partagée sur son compte Instagram. De quoi inspirer celles qui ont peur de devoir tout sacrifier passée l’arrivée de bébé, peut-être?

Pas si vite, car s’il y a bien un adjectif qui caractérise l’époque (et les réseaux sociaux) c’est « clivé ».

Et en commentaires, on ne se prive pas pour faire remarquer à la jeune femme que cette vidéo, d’apparence tout ce qu’il y a de plus innocente, est susceptible d’avoir un impact délétère sur les jeunes mamans qui la verraient apparaître dans leur feed.

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« Très esthétique cette vidéo et je vous apprécie beaucoup » commence une Instagramemmeuse répondant au pseudo de @ellalyra.

« Mais la réalité c’est que ça fait mal aux nouvelles maman qui se comparent » dénonce-t-elle.

« Parce que souvent le post-partum c’est ne pas arriver à se doucher, ni même se coiffer et la douche est peut être le seul moment que la maman a, 5 minutes quand le papa prend le bébé. Vous devez être dans votre petite bulle d’amour et c’est merveilleux mais attention ce genre de vidéo ne reflète pas la réalité de beaucoup de mamans qui sont souvent très fragiles et qui se sentent souvent seules dans ces moments ». Et d’autres de renchérir, entre celle qui ponctue d’emojis hilares un aveu que son propre post-partum était « nettement moins glamour » et une autre qui remarque que la jeune maman de Paola a « tellement d’énergie! J’ai accouché il y a un mois et je galère encore ».

Ce à quoi Claire Marnette Allegretti a répondu, encourageante, que chacune devait y aller à son rythme, sans culpabilité, avant de se fendre d’un retour plus détaillé à la mini-polémique suscitée par ses quelques secondes de vidéo.

« Toutes les journées n’ont pas à être horribles et compliquées »

Notant que son vlog, jugé « trop esthétique » pour montrer la réalité du post-partum faisait débat, celle qui a fait ses débuts sur la toile via un blog mode souligne d’abord être une influenceuse « relativement authentique », qui montre un quotidien « certes esthétique et joli, parce que c’est dans ce cadre que j’aime évoluer, mais sans filtre ».

« Oui, ce vlog reflète une bonne journée de post-partum, mais non, ce n’est pas la réalité de toutes mes journées, ni celle de toutes les mamans » poursuit Claire.

Qui ajoute toutefois que « toutes les journées n’ont pas à être horribles et compliquées, cela peut aussi être de bons moments ». Et enjoint ses followers à « se prendre un peu moins la tête en analysant et comparant tout ce qu’on trouve sur Internet », notant que « ce n’est pas parce qu’une telle fait comme ça et que vous faites différemment que l’une ou l’autre fait mal ».

Un rappel nécessaire, mais potentiellement difficile à entendre dans une période qui s’avère souvent particulièrement périlleuse pour la santé (physique et mentale) des femmes.

Ce jeudi 26 juin, l’ONG internationale Make Mothers Matter a diffusé les résultats de son étude réalisée en collaboration avec Kantar auprès de 10.000 mères habitant 12 pays différents.

Les mères belges, « championnes » du burn-out maternel

Partant du constat que la maternité reste l’un des grands angles morts des politiques d’égalité et de santé mentale, l’ONG a voulu mesurer son impact, avec des résultats plus que préoccupants à la clef. Ainsi, une mère sur deux déclare souffrir de problèmes de santé mentale.

Et les mères belges arrivent en tête tous pays confondus en matière de dépression périnatale et de burn-out maternel.

En outre, 67% des mères interrogées se disent débordées, ce qui n’est pas étonnant puisque les répondantes estiment assumer plus de la moitié (63%) des tâches relatives à la parentalité et à la gestion du ménage seules, et que 41% d’entre elles considèrent en outre que leur rôle n’est pas reconnu par la société.

Dans les semaines qui suivent la naissance, quand l’adaptation à cette nouvelle situation familiale se fait en parallèle de la période de récupération d’un corps parfois malmené par la grossesse et la naissance, le tout saupoudré d’un cocktail hormonal qui ferait vaciller le mental le plus stable, la situation peut parfois s’avérer impossible à gérer.

Ce qui explique, peut-être, pourquoi la journée idyllique postée par Claire Marnette Allegretti suscite la polémique.

Chaque maman est différente (et chaque bébé l’est aussi)

Pourtant, ainsi qu’un bref sondage des mères de votre entourage le rappelle, il y a autant de manières de vivre la période post-partum que de femmes… Voire même, que de grossesses.

L’une va avoir la chance d’avoir un bébé qui fait ses nuits très rapidement, et de pouvoir allaiter sans le moindre désagrément, tandis que l’autre va mettre plus longtemps que prévu à cicatriser de sa césarienne ou souffrir d’une douloureuse mastite. Et parfois, ces deux expériences diamétralement opposées peuvent être vécues par la même femme.

« Chaque maman est différente et chaque bébé l’est aussi » note une commentatrice sous la vidéo de Milkywaysblueyes, tandis qu’une autre ajoute que « toutes les réalités peuvent cohabiter ensemble, un jour n’est pas un autre. J’ai eu deux post-partums très différents et ça fait du bien de voir qu’il y a d’autres réalités possibles ».

Car c’est là aussi un sentiment qui revient au moins autant que les critiques au coeur de cette tempête dans un verre d’eau (virtuel). Nombre de femmes remercient en effet la maman de Paola d’avoir montré une autre vision des premières semaines avec bébé que celle, parfois très anxiogène, que l’on peut retrouver en ligne.

D’ailleurs, Claire elle-même est la première à confier que « toutes mes journées ne ressemblent pas à ça, mais je pense qu’il faut aussi se rassurer en montrant qu’il peut y avoir aussi des jours comme ça, où bébé est chill, la maman reposée, que c’est possible de travailler quelques heures, d’être en forme et d’avoir le temps de se préparer ».

« Il faut arrêter de faire peur aux mamans et de faire croire que la réalité du post-partum est de ne plus arriver à se doucher, se coiffer… Le premier mois, le bébé dort entre 14 et 18h par jour, alors oui, dans ces 14h à 18h vous trouverez bien un moment pour vous chouchouter, si c’est ce que vous souhaitez. Et si vous voulez rester en pyjama c’est ok aussi » ajoute une commentatrice.

Pour une meilleure prise en charge de la grossesse et du post-partum

Nuance, quand tu nous tiens? Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas meilleur de donner une image idéalisée, et donc inatteignable, de la maternité, que de peindre un tableau trop uniformément noir.

La vérité, scientifiquement objectivée, c’est que donner la vie change la vie. En bien, oui, parfois en mal, aussi, et avec un impact non-négligeable sur la santé. En décembre 2023, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) réagissait à une étude consacrée aux effets de l’accouchement, alors tout juste publiée dans la revue médicale The Lancet.

Rebondissant sur le constat principal des chercheurs, soit la réalisation que chaque année, au moins 40 millions de femmes sont susceptibles de connaître un problème de santé à long terme (douleurs pendant les rapports sexuels, lombalgie, dépression, anxiété…) causé par leur accouchement, l’OMS se faisait l’écho de l’appel des scientifiques responsables de l’étude à un meilleur suivi des femmes pendant et après leur grossesse.

« De nombreuses affections du post-partum entraînent des souffrances considérables dans la vie quotidienne des femmes longtemps après la naissance, tant sur le plan émotionnel que physique, et pourtant elles sont largement sous-estimées, méconnues et non signalées » dénonçait le Dr Pascale Allotey, directrice du département Santé sexuelle et génésique et recherche à l’OMS.

Qui appelait à ce que « tout au long de leur vie, au-delà de la maternité, les femmes aient accès à une gamme de services fournis par des prestataires de soins de santé qui écoutent leurs préoccupations et répondent à leurs besoins, afin qu’elles puissent non seulement survivre à l’accouchement, mais aussi jouir d’une bonne santé et d’une bonne qualité de vie ».

Laquelle passe, donc, par un dialogue continu, qu’il est important de diriger vers les bonnes personnes, c’est-à-dire des professionnels de la santé aptes à réagir de manière adéquate, plutôt que de le déverser dans le vortex souvent fort peu bienveillant des réseaux sociaux.

Surtout quand il s’agit des effets parfois extrêmement dangereux de la période post-partum sur la santé mentale des mères.

Comparaison n’est pas raison

Dépression, psychose… Certaines des pathologies qui y sont associées sont à prendre très au sérieux. Et même quand « ça va », le chamboulement hormonal qui déferle sur les mères durant les premières semaines de la vie de leur(s) enfant(s) a de quoi sacrément impacter les émotions et l’humeur.

De quoi expliquer pourquoi le débat sous une vidéo finalement tout ce qu’il y a de plus anodine est rapidement devenu si houleux?

« J’ai décidé que le post-partum ne prendrait pas le dessus sur ma santé mentale, et prendre soin de moi tous les jours fait partie des choses qui me raccrochent à un semblent de vie normale » confie encore Claire Marnette Allegretti. « Beaucoup de post-partums sont difficiles, et heureusement que la parole s’est ouverte à ce propos. Mais je pense qu’il est nécessaire de ne pas oublier de parler du positif, de quand ça va » renchérit une de ses abonnées.

Dans un podcast consacré à la question, la psychologue new-yorkaise Sarah Bren rappelle que « le post-partum d’aujourd’hui n’a plus rien en commun avec celui des générations précédentes. Longtemps resté tabou, ce sujet est désormais discuté librement, ce qui est extrêmement important parce que c’est en en parlant qu’on peut créer le réseau de soutien dont ont besoin les jeunes parents ». Même si, ainsi qu’elle le souligne, ce dialogue, parfois très franc, peut également être une source d’anxiété anticipative, surtout chez les femmes enceintes.

Et de mettre en garde contre les réseaux sociaux et leur « épée à double tranchant. Cela peut être formidable d’avoir à portée de main toutes les ressources qu’on y trouve. Et puis on tombe dans le piège de la comparaison et on se dit ‘je suis en pyjama avec les cheveux gras en pompon sur la tête depuis trois jours, et cette autre jeune maman a une maison parfaitement décorée, et j’ai l’impression d’échouer' ».

S’il n’y a qu’une chose à retenir de la mini-polémique suscitée par la vidéo d’une jeune maman influenceuse, c’est peut-être ça. Comparaison n’est vraiment pas raison, surtout en période de post-partum, quand il y a autant de réalités que de mères, que de bébés, et même, que d’heures dans une journée.

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