Papa bosse et maman soigne: le sacrifice des mères d’enfants en situation de handicap

Amélie Micoud Journaliste

Ça n’est pas un scoop, en matière de parentalité, la charge – mentale et logistique – est encore essentiellement maternelle, même si la société évolue. Alors quand les choses se compliquent avec une maladie ou un handicap de l’enfant, visible ou non, les mères semblent, encore davantage, au front. Impression ou réalité?

On les a vues dans les pages faits divers, ces femmes qui, à bout, commettent l’irréparable. En 2022, l’infanticide à Marseille d’un petit garçon autiste par sa mère avait ravivé le débat des parents en burn-out, lorsqu’ils sont confrontés au handicap de leur enfant. Dans l’émission radio de la rtbf C’est vous qui le dites, à la question « Des parents d’enfants autistes pensent parfois au pire: comprenez-vous ces idées noires? », trois mamans auditrices avaient répondu… pas de papa.

Cela veut-il dire que seules les mères auraient des idées noires, lorsque la famille rencontre de sévères difficultés avec un enfant? « Je ne pense pas », assure Myriam, 43 ans, maman de deux petits garçons dont un avec un tdah (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité). « Mon compagnon a les mêmes difficultés émotionnelles que moi face à notre situation. Ça, on le partage complètement. Le comportement de notre enfant a un impact autant sur lui que sur moi, on peut donc se comprendre et se serrer les coudes même si, bien évidemment, ça amène parfois des tensions. Mais j’ai beaucoup de chance, je suis en couple et non maman solo. On partage à peu près tout aujourd’hui concernant notre fils, que la charge soit mentale ou logistique. »

Le rôle des femmes

Dahlia, @meextraordinaire sur Instagram, a 44 ans et est maman d’un petit garçon de 11 ans autiste. Elle constate de son côté que « les papas veulent être impliqués, mais ceux de notre génération ont été éduqués à l’ancienne, et nous pareil. On nous a élevées avec l’idée que, comme c’est nous qui allions nous occuper des enfants pour l’hygiène, les vêtements, l’alimentation… Les hommes n’étaient là que pour jouer avec eux, les faire sortir… Ceci dit, dans notre foyer, c’est plus souvent le papa de mon fils qui fait à manger. Chez nous il y a quand même une répartition qui s’équilibre, année après année ».

Les hommes n’ont pas l’habitude de soigner. Le rôle du « care » est traditionnellement dévolu aux femmes

Julie, maman d’un garçon avec un tdah comme Myriam fait le même constat: « Une amie maman d’un enfant autiste m’a un jour dit en riant: « Le père, c’est le directeur artistique. Il vient, il a des supers idées et toi, après, tu mets en oeuvre. » Et de fait, le volet logistique/psycho/médical touche aussi à quelque chose de fondamentalement moins familier pour les hommes: ils n’ont pas l’habitude de soigner. Le rôle du « care » est traditionnellement dévolu aux femmes. Ce sont elles qui, bien souvent, prennent les rendez-vous médicaux de toute la famille et restent à la maison quand l’enfant est malade. Tout ça est encore plus prégnant lorsque vous rencontrez des difficultés avec votre enfant. »

Les femmes sont, plus souvent que les hommes, les infirmières, les soignantes, les aidantes, de façon générale, pas seulement avec les enfants.

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Un miroir grossissant

Julie et Myriam ont toutes les deux participé en présentiel à un groupe de guidance parentale appelée méthode Barkley, dont le suivi s’est étalé sur presque trois mois, à raison de deux heures minimum par semaine. Si l’implication des deux parents était expressément demandée, dans les faits, les mères étaient en majorité présentes, et pas seulement dans les cas de famille monoparentale.

Pour Julie, le groupe Barkley était finalement assez représentatif de ce qu’elle observe dans les groupes de parents en général. « Dans les groupes WhatsApp de parents, on est à bien 80% de mères. Le groupe WhatsApp de l’école de mes enfants reflète le groupe WhatsApp des parents constitué après Barkley, dans lequel ce sont d’ailleurs la plupart du temps les mères qui interviennent. Et, si j’ai bien compté, dans notre groupe en présentiel il y avait 7 femmes pour 3 hommes. C’est juste un miroir grossissant de problèmes de répartition des rôles homme-femme et de statistiques qu’on connait déjà. »

Où sont les pères?

Même impression pour Myriam « Je me suis rendu compte à quel point j’étais chanceuse de venir à ces séances avec mon compagnon. Certaines mamans étaient seules ou presque, alors qu’elles n’étaient pas, pour la majorité d’entre elles, séparées du papa. Devant pareil constat, je n’ai pu m’empêcher de me demander « Mais où sont les pères? Ne se sentent-ils pas concernés par le sort de leur enfant? »

« Evidemment, je sais que c’est bien plus complexe que ça… N’empêche qu’en attendant les mères, elles, étaient là chaque semaine. Ça leur a coûté du temps et de l’argent, une implication physique et psychologique. On dit que les femmes sont plus bavardes et plus enclines à se confier. Je ne sais pas si c’est vrai mais ce dont je suis sûre, c’est que ça n’est pas plus facile pour nous parce qu’on est des femmes! La guidance demandait un engagement important. Il nous a fallu prendre une demi-journée au boulot pendant trois mois. Comme je suis indépendante, ça a directement impliqué une perte de revenus de mon côté. Mais ce que je trouve le plus regrettable, c’est pour l’enfant. Venir à deux – quand c’est évidemment possible – conditionne une bonne partie des résultats de la guidance. Une maman peut s’acharner à mettre des choses en place, si le papa ne suit pas voire pire, ne reconnaît pas le handicap de son enfant, ça risque de compromettre tout le travail mis en place. »

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De l’intuition que quelque chose cloche à la prise en charge du handicap

Lorsque des difficultés semblent intervenir dans le développement de l’enfant, les mères sont souvent celles qui les remarquent en premier et prennent l’initiative de consulter. « Je suis déjà à l’origine de la prise en charge. Je savais depuis ses trois mois que ma fille avait un problème. Tous les médecins m’ont prise pour une andouille et ont mis ça sur ma dépression post-partum », se souvient Céline, maman d’une petite fille souffrant de malformations cérébrales dont l’origine reste à déterminer.

« Mon mari se terre dans le boulot », continue Céline. « Je ne travaille plus pour m’occuper de notre fille alors, tacitement, c’est à moi que revient la charge de l’aidant. Je lui ai demandé de faire quelques séances de kiné mais il n’a pas le temps… Le pré diagnostic posé par le neuro en mars disant qu’il s’agissait probablement d’une maladie génétique lui a fait prendre conscience que notre enfant aurait un développement différent. Mais il ne se rend pas compte à quel point. Il ne vit pas le quotidien avec elle ou très peu. Je lui dis que j’ai besoin qu’il soit plus présent mais c’est difficile à réaliser pour lui, visiblement. Alors je pallie son absence et je fais à 100%. Et quand il est là, je fais quand même, parce que maintenant, on a des habitudes bien ancrées avec ma fille. À force, elle-même refuse généralement que son père s’occupe d’elle. »

Le lien mère-enfant dans les premières années de vie facilite très probablement cette intuition, qui devient, de fait, maternelle. « Je me souviens de mes recherches sur Internet quand mon fils était tout petit », raconte encore Myriam, « de mes questionnements, de mon besoin d’en parler avec mon compagnon, et j’avais fait part de mes intuitions aux deux psys que mon fils avait vues. Et si j’ai été incitée par l’école, c’est moi qui ai en quelque sorte donné l’impulsion en enclenchant la démarche diagnostique: trouver le bon spécialiste, prendre rendez-vous… Heureusement, le papa s’est très vite impliqué autant que moi. »

Et de fait, la société évolue et les mentalités changent, avec des papas aujourd’hui plus présents dans les soins à leurs enfants que leurs propres pères. Mais quand les choses ne tournent pas comme prévu, ce sont encore les mères qui s’y collent.

Valentine Anciaux, psychologue spécialisée en psychoéducation basée à Bruxelles, observe elle-même cette tendance: « Aujourd’hui, je vois de plus en plus de papas en consultation, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Mais les mamans restent majoritaires lors de l’accompagnement de leurs enfants, et certains handicaps nécessitent qu’un parent arrête de travailler. Je ne connais pas les statistiques mais en pratique, je ne connais que des femmes qui font ce choix. »

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« Il faut que l’un de vous deux arrête de travailler »

Les inégalités homme-femme sont en effet plus présentes que jamais dans le cas d’enfants malades ou avec des troubles, quel que soit le retentissement de ces derniers sur la vie de famille. Evidemment, la situation ne sera pas la même dans un foyer qui accueille un enfant lourdement handicapé que dans celui où un enfant souffre de dyslexie, par exemple. Dans le premier cas, la question d’adapter, de réduire ou d’arrêter son temps de travail va forcément se poser.

Moi et le papa de mon fils avons tous les deux de la charge mentale, mais elle n’est pas située au même endroit.

Dans son rapport de 2019 Pauvreté et handicap en Belgique, le SPF Sécurité Sociale soulignait que: “Bien que des progrès aient été réalisés dans de nombreux pays dans le domaine de l’égalité des genres, ce sont principalement les mères qui réduisent leur travail rémunéré pour s’occuper de leurs enfants, ce qui indique des inégalités fortes et persistantes entre les genres dans la répartition des soins et du travail.”

Dahlia s’est retrouvée dans cette situation, elle qui a dû arrêter son activité pour s’occuper de son petit garçon. « Moi et le papa de mon fils avons tous les deux de la charge mentale, mais elle n’est pas située au même endroit. Moi, je suis censée me battre pour la condition de mon fils, et mon compagnon, pour le foyer. Lorsque vous apprenez que votre enfant est autiste, ça peut difficilement être équitable. Au moment du diagnostic, la spécialiste nous a annoncé, désolée mais fataliste, comme une ordonnance: « Il faut que l’un de vous deux arrête de travailler, et en général c’est la femme ». Pourquoi? Parce que c’est l’homme qui, à poste égal, aura un salaire plus important, et davantage de chances de se faire embaucher s’il perd son travail à 50 ans. Le patriarcat intervient directement ici, au moment où se pose la question de qui va arrêter de travailler. Mais dans le cas du handicap, on ne peut plus se permettre de militer, parce qu’on a besoin d’argent. C’est le nerf de la guerre, l’argent, plus que jamais. On a besoin de manger, on a besoin de vivre, et surtout on a besoin d’argent pour la prise en charge de notre fils. »

La charge paternelle semble donc se situer davantage sur l’aspect matériel et financier. Le père devant, traditionnellement, répondre aux besoins vitaux de son foyer. « Celui qui est en charge de ça, souvent l’homme donc, se concentre à 100% pour emmagasiner des heures incroyables pendant la semaine pour pouvoir générer du cash flow, uniquement pour l’accompagnement de l’enfant. Et ça c’est sans avoir besoin de matériel médical! », ajoute Dahlia, qui met ainsi l’accent sur le rôle quelque part tout autant conditionné des pères. Et d’ajouter: « On s’est répartis les tâches, mais on a tous les deux une charge mentale très lourde au final. J’ai d’autres cas de figure où les deux parents continuent de travailler, et dans ces cas-là, on revient à un système similaire à la famille lambda, avec une charge mentale standard. »

Cette situation particulière pose directement une question générale: comment la société peut et se doit de soutenir ces familles – fratries incluses – pour éviter que des parents, en l’occurrence des mères, ne craquent.

Comme le revendique Dahlia, « les écoles devraient toutes, sans condition, être calibrées pour accueillir des enfants en situation de handicap. Quand tu as un enfant comme le nôtre, cela implique une scolarisation à mi-temps, il y a tout l’administratif à gérer, une charge parfois énorme, et puis les rendez-vous: chez la psy, chez l’ergo, chez la psychomot’, la logopède… Et c’est toi, la mère, qui fais le taxi, pendant que quelqu’un d’autre s’occupe de ramener l’argent à la maison. »

On n’est pas des éducateurs

Et c’est là que le bât blesse, la raison pour laquelle ce sont surtout les mères qui flanchent. L’animatrice française Eglantine Eméyé, elle-même maman d’un enfant autiste sévère (décédé l’an dernier) avait réagi au drame de Marseille évoqué au début de cet article dans l’émission C à vous: « C’est très fréquent qu’une maman se retrouve à élever seule un enfant autiste. D’abord parce que le couple n’y résiste pas, et ensuite parce qu’on manque de prise en charge, or il faut bien que quelqu’un s’occupe de l’enfant. Donc en général, les mères arrêtent de travailler, souvent volontairement entre guillemets, pour subvenir à la charge éducative de leur enfant. Sauf qu’on n’est pas des éducateurs, des éducateurs spécialisés, formés pour ce type de troubles sévères: il y a des enfants qui ne parlent pas, qui crient beaucoup, qui s’automutilent, et cela jour et nuit. »

Pour Myriam, si l’argent est en effet le nerf de la guerre, il y a de toute façon un fort aspect culturel: « Partout il est communément admis que l’enfant doit rester avec sa mère. C’est en majorité à elle qu’on confie l’enfant en cas de séparation du couple, et dans certains pays comme en Allemagne, l’enfant reste avec sa mère les premières années de sa vie, et la femme arrête de travailler pour s’occuper de sa progéniture. Donc forcément, quand ça se complique, c’est nous qui devons arrêter de travailler, c’est comme ça… »

Double peine

La situation en Belgique n’est pas plus brillante qu’en France, comme l’explique encore la psychologue Valentine Anciaux: « Le nombre de mamans épuisées est interpellant, la Belgique est numéro 3 mondial en matière de burn-out parental. Déjà avec un enfant sans besoin spécifique, une mère ne sait plus où donner de la tête, entre le cododo, le portage, les salles de jeux Montessori, le zéro écran, la diversification alimentaire, le no sugar… Le tout en plus d’un job, d’un couple et d’une maison à tenir… Ajoutez à cela un trouble d’apprentissage ou un handicap qui nécessitent des rendez-vous divers, il y a moyen de craquer. Car il n’est pas tout d’aller en rendez-vous. La logopède, la kiné, la psy vont souvent demander d’assurer un suivi, sans parler des devoirs qui se transforment souvent en galère. La charge mentale est lourde chez les parents, et souvent ce sont les mamans qui trinquent. »

Non seulement les mères ne sont pas ou peu soutenues, mais pire, elles sont encore trop souvent stigmatisées, culpabilisées d’être à l’origine des troubles de leur enfant.

Myriam, qui s’estime décidément chanceuse d’avoir le « papa avec elle », parle d’une double peine pour ces mamans trop seules. « Non seulement les mères ne sont pas ou peu soutenues, mais elles sont encore trop souvent stigmatisées, culpabilisées d’être à l’origine des troubles de leur enfant par l’entourage ou certains pros de la santé mentale, voire, dans le pire des cas, en première ligne lorsque les services sociaux interviennent. J’ai parfois moi-même pu entrevoir cette suspicion, alors je n’ose imaginer ce que ça doit être lorsqu’une maman est seule avec ses enfants. Non seulement vous frôlez le burn-out, sans pouvoir vraiment vous arrêter, mais en plus, vous êtes encore trop souvent accusée d’être la cause de tous vos problèmes. »

Cette situation de mère solo, Caroline, maman d’une jeune ado dyspraxique et dyslexique, l’a vécue. Et si elle pense aujourd’hui avoir passé le plus dur, elle se souvient: « En étant femme active, j’étais confrontée à une surcharge mentale lorsque, séparée du père de mes filles, j’ai dû gérer seule le diagnostic et les prises en charge de ma fille ayant des troubles dys. Mes semaines étaient rythmées par mon travail, la gestion des rendez-vous médicaux, les tâches ménagères… La charge mentale joue sur l’émotionnel, et peut se terminer en dépression et/ou en burn-out si on n’a pas de soutien et si on ne se dégage pas du temps pour s’occuper de soi. Heureusement, je me suis accrochée et j’ai réussi à passer cette étape grâce à la force et l’amour de mes enfants. » C’est peut-être là, dans leurs enfants finalement, que se situe le salut de ces mamans.

Sources et ressources:
burnoutparental.com
Les mères, victimes collatérales du handicap, gamp.be
Parentalité et handicap, x-fragile.be
Fabuleuses aidantes
psychoeducation.be
Impact de l’autisme sur la vie des parents
Le syndrome de burnout ou d’épuisement maternel: une revue critique de la question

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