Séropositif et heureux: que signifie avoir le VIH aujourd’hui, Stéphanie et Hany témoignent

Hany, 24 ans, etudiant
Hany, 24 ans, étudiant © DR

Le VIH est devenu une maladie qui se traite, mais le tabou et les préjugés qui l’entourent demeurent. À l’occasion de la Journée mondiale de Lutte contre le sida, Stéphanie (32 ans), enceinte, et Hany (24 ans) font le point.

Stéphanie, 32 ans, séropositive et enceinte de 7 mois: »Le VIH ne prend pas toute la place dans ma vie »

Stéphanie (32 ans) vit à Ostende et travaille dans le secteur des soins de santé. Elle a commencé à travailler comme bénévole au sein du groupe d’entraide Sensoa Positief après avoir été diagnostiquée séropositive. Elle est actuellement enceinte de presque sept mois de son premier enfant.

Stephanie 32 ans seropositivedepuis 5 ans et enceinte de 7 mois
Stephanie 32 ans seropositive depuis 5 ans et enceinte de 7 mois © DR

« La date de mon diagnostic de VIH est gravée dans ma mémoire : le 17 novembre 2017. J’avais fait ce test après m’être piquée par accident au travail, avec l’aiguille à insuline d’un patient. Mais il s’est avéré que ma séropositivité n’avait rien à voir avec ce geste malheureux. Cela ne laissait qu’une seule cause possible : je n’avais eu qu’un seul partenaire au cours de ma vie et il m’avait déjà avoué au cours de notre relation, m’avoir trompée. Je n’ai donc pas eu à chercher longtemps.

À ce moment précis, mon monde s’est effondré. Connaissant peu la maladie, je pensais qu’il me restait maximum quelques années à vivre, que mon état allait rapidement se détériorer et que je finirais par mourir d’une mort longue et douloureuse. Heureusement, en insistant, j’ai pu me rendre le même jour à l’AZ Sint-Jan Brugge-Oostende AV, le Centre de Référence SIDA (ARC, ndlr) pour la province de Flandre occidentale. Là, un médecin m’a – plus ou moins – rassurée: grâce aux traitements désormais disponibles, le VIH était devenu une maladie chronique parfaitement gérable et non transmissible, j’avais une espérance de vie normale et je pouvais même tomber enceinte sans transmettre le virus à mon enfant. Il n’y avait donc pas lieu de paniquer.

Selon moi, finalement, les personnes séropositives aujourd’hui sont mieux loties que les personnes atteintes de cancer ou de diabète

Cinq ans plus tard, je ne peux que constater que le VIH ne prend pas toute la place dans ma vie. J’avais l’habitude de prendre une pilule par jour et de faire contrôler mes taux sanguins tous les six mois. Maintenant, avec ma grossesse, trois pilules par jour et une prise de sang tous les trois mois sont devenues mes nouvelles habitudes, mais c’est tout. En dehors de cela, je vais où je veux et je ne dois rien mettre de côté. Donc, selon moi, finalement, les personnes séropositives sont mieux loties que les personnes atteintes de cancer ou de diabète. Des effets secondaires gênants, un régime strict, de lourdes conséquences financières : tout cela nous est épargné. »

Je reste Stéphanie

« Je n’ai jamais été quelqu’un qui laisse traîner les choses, alors je ne voulais pas non plus le faire après mon diagnostic de VIH. Deux semaines plus tard, j’étais déjà à un brunch pour les personnes séropositives et leur entourage organisé par Sensoa. Et, quelque temps plus tard, à un week-end entre « compagnons d’infortunes ».

Cela m’a beaucoup aidée, ne serait-ce que parce que j’étais entourée de personnes séropositives, mais qui auraient pu être mon père, ma sœur ou mes voisins. Cela m’a fait prendre conscience que le virus ne connaît pas de couleur ou d’orientation, mais qu’il peut littéralement toucher n’importe qui – même une femme blanche, hétérosexuelle et éduquée comme moi.

Ce qui m’a également aidée à donner une place au VIH, c’est le fait d’avoir partagé mon diagnostic presque immédiatement avec mon entourage. Ma famille l’a su dès les premières heures, et dans les jours et les semaines qui ont suivi, je l’ai également dit à mon travail et à mes amis. Psychologiquement, cela a fait une énorme différence : parce que je n’ai pas eu à supporter seule mon malheur, mais aussi parce que les gens m’ont fait comprendre que pour eux, je restais simplement Stéphanie.

Pour la confiance en soi, c’était très important. Après le diagnostic du VIH, j’ai craint pendant un certain temps d’avoir moins de valeur qu’avant. Heureusement, je me suis vite débarrassé de cette peur. Qu’il soit séropositif ou non, chacun a le droit d’être là et mérite l’amour et le bonheur. »

Des questions bizarres

« Les seules réactions négatives sont venues de collègues de mon ancien lieu de travail. Là-bas, certains ne voulaient plus s’asseoir à la même table que moi ou utiliser les mêmes toilettes – comme si cela représentait un quelconque risque. Leur ignorance m’a mise en colère et de telles réactions le feraient encore aujourd’hui, mais cela ne me rend plus vraiment triste. L’expérience m’a appris qu’il y a beaucoup plus de personnes qui veulent apprendre ce que signifie réellement le VIH aujourd’hui que de personnes qui se détournent de vous – en contrepartie d’un commentaire désagréable, il y a littéralement des centaines d’autres positifsl.

Quand je parle avec des personnes vivant avec le VIH, je leur conseille souvent de ne pas se rendre les choses plus difficiles que nécessaire, et de ne pas penser à la place des autres

Comme je suis moi-même très ouverte sur ce sujet, je suis peu affectée par la stigmatisation du VIH qui peut perdurer dans notre société. Personnellement, je trouve donc regrettable que tant de personnes vivant avec le VIH aient si peur du rejet et de la condamnation, qu’elles gardent le secret sur leur état. . Aucune obligation, évidemment: certaines personnes viennent de temps en temps à un week-end d’entraide et ça leur suffit. Mais pour beaucoup, le secret pèse encore lourd.

Alors, quand je parle avec des personnes vivant avec le VIH, je leur conseille souvent de ne pas se rendre les choses plus difficiles que nécessaire et de ne pas penser à la place des autres. Oui, les proches seront parfois choqués et poseront des questions bizarres – vous l’avez peut-être fait vous-même, au moment où vous avez reçu votre diagnostic – mais cela ne veut pas dire qu’ils ne le gèrent pas bien. En général, ils ne sont tout simplement pas bien informés. Et ça, vous pouvez y remédier. »

Retrouver l’insouciance

« Peu de temps après mon diagnostic, je ne pouvais pas imaginer que quelqu’un puisse m’aimer à nouveau, et encore moins accepter mon sida. En réalité, il y a beaucoup de couples comme moi et mon petit ami, qui lui est séronégatif. Il a dû se défendre les premiers mois – « sais-tu dans quoi tu t’embarques », lui ont demandé certaines personnes autour de lui – mais il n’a jamais eu de problème avec ça. Et surtout pas après notre visite à mon médecin au ARC. Ce dernier lui a réexpliqué longuement tout ce que je lui avais dit, ça lui a suffi. Faire l’amour sans préservatif n’a jamais été un sujet d’inquiétude pour nous. Sinon je ne serais pas enceinte actuellement (rires).

Si je veux insister sur une chose concernant la vie avec le sida, c’est que tout ne devrait pas être aussi problématique et difficile. Après des films comme Philadelphia et Dallas Buyers Club, il n’y a guère eu de films ou de séries qui ont montré le peu d’impact que pouvait avoir le sida dans la vie quotidienne aujourd’hui. Mais rassurez-vous : j’ai une vie très normale et heureuse, et je ne suis pas une exception. »

Hany, 24 ans, étudiant: « Je n’ai donc aucune raison de faire de mon VIH un problème »

Hany, 24 ans, etudiant
Hany, 24 ans, étudiant © DR

Hany (24 ans) étudie les sciences morales à Anvers et est séropositif depuis l’âge de 19 ans. Pour la première fois de sa vie, aujourd’hui, il témoigne de son quotidien avec le VIH.

« Je ne me suis jamais inquiété de ma santé après mon diagnostic. Le VIH est aujourd’hui quelque chose de très différent de ce qu’il était au début des années 1980, lorsque les gens développaient le sida et mouraient au bout de quelques années. Beaucoup se souviennent des images glaçantes de cette époque et de la peur qu’elles suscitaient, mais nous parlons aujourd’hui d’une situation très différente. Tomber malade, mourir prématurément: je ne devais pas craindre tout ça. Je me suis dit des centaines de fois que j’avais de la chance : j’ai attrapé le virus à une époque où la science le maîtrise et je vis en Belgique, l’un des pays les plus performants au monde en termes de soins de santé. »

Confiance excessive

« Psychologiquement, mon diagnostic a été un coup dur cependant. Les premiers mois, par exemple, je me sentais terriblement coupable de mon infection. Je n’avais pas systématiquement utilisé de préservatif au cours de mes rapports sexuels . Alors n’était-ce pas ma faute finalement? D’autant qu’à la maison, nous parlions très ouvertement de sexe et ma mère m’a toujours fourni des tas de préservatifs. Je connaissais même des personnes séropositives. Je me suis donc senti complètement stupide. La réaction indignée d’un ami a fini d’alimenter ce sentiment : ne m’avait-il pas suffisamment répété que je devais être prudent? J’ai vraiment eu l’impression de décevoir tout le monde.

Je pensais que le VIH ne touchait pas les jeunes. À l’époque, je me faisais aussi dépister tous les trois mois, ce qui me faisait me sentir presque invincible

D’autres m’ont dit que la fréquence des rapports sexuels n’était pas importante, qu’un seul rapport non protégé était suffisant et que j’étais simplement malchanceux. Mais je n’y croyais pas vraiment. Entre temps, je comprends mieux mon comportement de l’époque en analysant le contexte. Je prenais plaisir à prendre des risques, par exemple, et, dans toute ma naïveté, je pensais que le VIH ne touchait pas les jeunes. À l’époque, je me faisais aussi dépister tous les trois mois, ce qui me faisait me sentir presque invincible. Comme je n’avais jamais rien contracté, je me suis dit que les risques d’être infecté ne devaient pas être si élevés.

Aujourd’hui, je comprends que j’étais juste jeune et trop confiant. Mais je sais aussi que pour beaucoup de gens, la façon dont on a attrapé le virus a de l’importance. La première question qu’ils vous posent lorsque vous leur dites que vous avez le VIH est rarement « comment allez-vous ? », mais plutôt « comment l’avez-vous contracté ? ». Comme si certaines personnes méritaient plus de compréhension et de chaleur que d’autres. »

Pas de problème

« Le plus grand défi était de savoir comment gérer mon état vis-à-vis des autres. J’ai toujours été très ouvert sur tout, mais en ce qui concerne ma séropositivité, j’étais beaucoup plus prudent au début. D’autant plus que l’une des premières personnes à qui je l’ai dit, ma meilleure amie, a paniqué parce qu’elle avait bu dans mon verre une semaine auparavant: aurait-elle pu le contracter aussi ? Sa réaction a été un choc pour moi : Est-ce que ma vie se résumerait à ça désormais: devoir constamment me justifier, éduquer sexuellement et rassurer les autres ?

Heureusement, j’ai pu rapidement commencer un traitement – d’abord une pilule par jour, maintenant une injection tous les deux mois – qui m’a permis de rester indétectable depuis quatre ans maintenant. Je suis en bonne santé et je ne peux infecter les autres de quelque manière que ce soit. Je n’ai donc aucune raison d’en faire un problème. Garder le silence sur le VIH aurait rendu le virus plus important que nécessaire pour moi, alors que je pouvais aussi expliquer à mon entourage que ce n’est que cela. »

Est-ce que ma vie se résumerait à ça désormais: devoir constamment me justifier, éduquer sexuellement et rassurer les autres ?

Attraper la peur

« Pourtant, ce n’est pas toujours évident je trouve. Par exemple, je comprends que les gens soient choqués lorsqu’ils apprennent que vous êtes séropositif, mais parfois, je n’ai pas envie de tout raconter encore une fois et, au même temps, absorber leurs émotions et leurs craintes. Se mettre à leur place alors que pour moi le VIH est depuis longtemps une réalité, rien de plus, c’est parfois difficile.

Même avec des partenaires sexuels, je ne sais pas toujours quelle est la meilleure approche, surtout si notre lien pourrait devenir quelque chose de plus que ça. En soi, il n’y a aucune raison de le dire tout de suite: l’autre personne n’est pas en danger, alors pourquoi discuter du VIH si on ne fait pas de même avec d’autres maladies non infectieuses ? D’un autre côté, vous ne voulez pas attendre jusqu’à ce que vous soyez bel et bien dans une relation, parce que l’autre pourrait alors penser que tu n’étais pas complètement transparent. »

Ignorance

« Je fais partie d’une famille et d’un monde universitaire où tout est discutable, je vis dans une grande ville, et dans ma vie, le VIH n’est pas un sujet tabou. Mais je vois aussi combien l’ignorance et la peur sont encore présentes. Par exemple, je me suis une fois coupé la main avec du verre brisé alors que je travaillais dans un magasin d’alimentation. La collègue qui s’est occuper de moi à l’époque savait que ma charge virale était indétectable, mais elle a quand même réagi avec nervosité et une peur énorme. Elle a enfilé des gants pour désinfecter la plaie, et j’ai du appliquer les pansements moi-même.

En outre, mes pairs ne sont pas toujours bien renseignés non plus, et en tant que bisexuel, je trouve ça plus difficile de parler du VIH aux femmes. D’après mon expérience, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes savent souvent qu’une personne sous traitement anti-VIH ne transmet pas le virus et a une espérance de vie normale. Mais au-delà, c’est moins évident.

Le changement devra également venir des personnes vivant avec le VIH elles-mêmes. Je comprends que dans certains milieux, raconter son histoire peut avoir des conséquences graves, mais une plus grande ouverture contribuerait énormément à la sensibilisation au VIH et à sa normalisation. Le plus gros problème est rarement un manque de bonne volonté, mais de connaissance. »

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