Pourquoi la journée des droits des femmes reste nécessaire

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En ce 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, force est de constater que les inégalités de genre restent prégnantes dans la société suite à des résistances cachées, comme l’intériorisation des genres.

L’écart salarial annuel reste de 22% au détriment des femmes, les femmes salariées travaillent davantage à temps partiel, touchent des pensions plus faibles, assument la majorité des tâches domestiques… L’évolution vers plus d’égalité est lente et se heurte à des « mécanismes de résistance assez subtils », liés à l’intériorisation des rôles de genre, explique Nathalie Frogneux, professeure à l’Institut supérieur de philosophie à l’UCLouvain.

« Il y a une volonté, réelle et affichée, de changer les choses » mais elle se heurte à des « résistances cachées », ce qui fait que les écarts entre les hommes et les femmes « persistent, de manière assez stable. C’est assez difficile de faire bouger les choses », souligne la professeure.

Les femmes ne fonctionnent pas en classe

Le combat pour les droits des femmes se heurte notamment à la difficulté des femmes de se constituer en tant que classe. « Comme le disait Simone de Beauvoir, les femmes ne fonctionnent pas en classe. Elles ne sont pas contre les hommes et choisir l’égalité des femmes, ce n’est pas s’opposer » à eux, avance Nathalie Frogneux. La lutte ne peut s’organiser comme les travailleurs et travailleuses qui se rassemblent pour faire entendre leurs revendications au patronat. Elle est plus compliquée. Les inégalités de genre sont structurelles, liées au système et à l’intériorisation par chacun et chacune des rôles dévolus à son genre, notamment au sein de la famille. « On voit que la famille est un lieu de résistances, où les valeurs changent très lentement, même pour la question écologique par exemple », illustre la professeure en philosophie.

On transmet à nos enfants des valeurs intérorisées

« Nous avons tendance à transmettre à nos enfants les valeurs que nous avons nous-mêmes intériorisées lors de notre éducation. Il y a une intériorisation (par les femmes) d’une charge familiale et domestique qui fait que les chiffres bougent assez peu », explique Mme Frogneux. Ce n’est pas la volonté de changement qui joue ici mais bien les modèles, qui ont été « presque métabolisés, qui sont dans le corps » des femmes. « On trouvera ça normal qu’une femme se lève cinq fois pendant les repas alors qu’une fois que les hommes sont à table, ils restent assis », illustre-t-elle. Même si les choses évoluent, la transformation est lente et le travail des femmes dans la famille reste invisibilisé, tandis qu’un homme qui prend en charge des tâches parentales ou ménagères sera mis à l’honneur. L’arrivée d’un enfant en particulier tend à graver dans le marbre des rôles parentaux inégalitaires. « On a constaté dans des études que les jeunes couples sont assez égalitaires jusqu’à l’arrivée du premier enfant. Au moment du congé de maternité, se remettent en place des prises en charge inégalitaires de la maison, de la famille… », expose Nathalie Frogneux.

Aussi dans la sphère professionnelle

Les résistances ne sont pas cantonnées à la famille mais se font aussi ressentir dans la sphère professionnelle. Ces inégalités sont d’ailleurs liées. « Une fois qu’on a plus de charge mentale, de travail effectif à la maison, on a évidemment moins de liberté pour faire carrière », pointe la professeure de l’UCLouvain. Dans le monde du travail, les femmes sont en outre exposées à des violences – sexistes, sexuelles, institutionnelles… « Pour que les choses bougent, il faut une ouverture », avance Mme Frogneux. Face à un « système enfermant, de préjugés, de discrimination, de harcèlement… », le coût de la sortie sera primordial pour évaluer si s’en libérer est possible ou si la femme reste piégée. « Par exemple, il y a de la violence intrafamiliale dans tous les milieux. Par contre, les milieux aisés pourront plus facilement y mettre fin, si les femmes ont les moyens de sortir de la famille, du couple violent. Les femmes qui ne disposent pas des moyens financiers, professionnels, sociaux… pour en sortir resteront piégées par la violence. »

Les effets pervers d’une « politique délibérée de genre pour faire de la place aux femmes »

Nathalie Frogneux pointe enfin certains effets pervers qui peuvent découler d’une « politique délibérée de genre pour faire de la place aux femmes ». C’est ce que la professeure appelle « le paradoxe de l’affiche ». Il s’agit de faire en sorte que des femmes soient à chaque fois présente dans des comités, des jurys… « Ce qui est intéressant si l’on a beaucoup de femmes qui peuvent se répartir la charge », souligne-t-elle. « Bien souvent, on surcharge ces femmes puisqu’elles sont moins nombreuses. » Régulièrement sollicitées, ces porte-drapeau assumeront une plus lourde charge, à nouveau invisibilisée.

Dans le monde académique, cela s’accompagne d’un autre effet pervers: les femmes « apparaissent comme des généralistes. On les appelle parce qu’elles sont des femmes et non parce qu’elles sont spécialistes d’un sujet », expose Nathalie Frogneux. « Elles se retrouvent alors face à des hommes qui, eux, sont là en tant que spécialistes et les femmes ne se sentent pas à la hauteur ». Pour assurer une politique de mise en valeur des femmes, « il faut avoir une politique très volontariste d’engagement de femmes », conclut-elle.

Une quatrième grève féministe pour rendre visible la charge assumée par les femmes

« Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête. » Pour la quatrième année consécutive, les femmes et minorités de genre sont appelées à se croiser les bras ce 8 mars afin d’attirer l’attention sur la place qu’elles occupent, leur importance pour faire fonctionner la société et dénoncer les inégalités, discriminations et violences qu’elles subissent. Arrêt de travail partiel ou total, grève du travail domestique, grève de la consommation, grève du soin aux autres, grève étudiante… Tous les moyens sont bons pour mettre en lumière le rôle crucial des femmes dans la société. « Le message, c’est: arrête-toi avec nous de faire ce que tu fais d’habitude gratuitement ou de manière peu rémunérée », explique Aurore Kesch, présidente de Vie féminine. « On veut montrer, en s’arrêtant, tout ce que les femmes pallient, font à la place de l’État » de manière invisible. « Une inégalité structurelle est ancrée dans notre société », enchérit le Collecti.e.f 8 maars. « En 2022, on constate tous les jours sur le terrain le poids des assignations et tout ce qui est entrepris pour faire rentrer dans le rang » une femme qui ne correspond pas à la norme, ajoute la présidente de Vie féminine. « Partout dans le monde, les droits des femmes et minorités de genre sont en péril et en train de reculer », avertit le collectif. Mais la lutte s’organise. Pour Aurore Kesch, « il faut permettre aux femmes d’avoir une autre grille de lecture » car elles sont socialisées avec une vision patriarcale. « Les femmes doivent pouvoir choisir la vie qu’elles souhaitent mener et pour pouvoir faire un vrai choix, il faut disposer d’un panel. Or, il est souvent rétréci pour les femmes. Tout un arsenal est là pour couper les ailes » des femmes tout au long de leur vie. Une Marche mondiale des femmes s’élancera également mardi à 17h30 depuis la gare de Bruxelles-Central.

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