Comment parler de la mort à un enfant?
A l’approche de la Toussaint, il n’est pas rare de devoir aborder la question de la mort avec les enfants. Mais comment leur en parler et comment les accompagner sur le chemin du deuil?
» Est-ce que maman est morte parce que je l’avais fâchée? » La question peut sembler absurde mais pour les plus jeunes, le rapport à la mort et leur responsabilité dans celle-ci sont parfois très flous. Pourtant, de multiples causes peuvent nous amener à aborder ce thème avec un enfant : la perte d’un proche, d’un animal de compagnie ou encore la Toussaint. Le sujet est abstrait – même pour les adultes -, sensible… mais pourtant inévitable et nécessaire. Il est dès lors important de savoir comment le traiter avec les plus petits et quels sont les mots à mettre sur cette étape inévitable de la vie.
Deux psychologues nous donnent des pistes : Nora Marino et Delphine Bauloye. La première, psychologue de formation et spécialisée dans le deuil, travaille au centre de psychologie médicale Psy Pluriel. Suite à un parcours de douze ans dans le secteur des soins palliatifs, elle a développé une approche autour de la mort et du suivi des familles. La seconde est psychologue pour enfants et enseignante à la Haute Ecole ISFSC. Elle a créé l’Espace-Papillon qui permet aux enfants en deuil de se retrouver.
À partir de quel âge faut-il parler de la mort aux enfants?
Nora Marino : » Il est important de leur en parler dès la naissance. Bien que les bébés n’aient pas la capacité à comprendre ni à se souvenir, ils sont sensibles à nos réactions corporelles, aux changements, au manque et à l’absence. Ainsi, leur parler permet de leur faire ressentir, voir et entendre ce qui leur est destiné. Exprimer son propre chagrin peut également s’avérer libérateur pour les enfants puisqu’ils sentent toutes les émotions qui traversent les adultes. «
Comment formuler cette discussion?
Nora Marino : » Les enfants vivent cruellement le silence et le tabou et ils manquent fréquemment d’interlocuteurs pour pouvoir parler de la perte d’un parent défunt. Il n’est pas chose aisée de trouver un adulte qui se sente suffisamment à l’aise avec toutes ces questions autour de la mort et en qui l’enfant a confiance. Au-delà du malaise de l’adulte, il est conseillé de répondre aux questions le plus simplement et franchement possible. Pour un enfant, un mot est un mot et les métaphores comme » papa est parti » ou » maman s’est endormie » ne doivent pas être utilisées. «
Delphine Bauloye: » S’endormir est sans doute le pire des mots à utiliser car il peut provoquer des troubles de l’endormissement chez l’enfant. Si la personne décédée était malade, il faut expliquer à l’enfant qu’elle souffrait d’une maladie grave sinon il pourrait penser qu’il est susceptible de mourir s’il attrape un rhume. «
Les étapes que l’enfant doit franchir
Nora Marino explique que la mort repose sur des principes fondamentaux: » Elle est inévitable et universelle, non fonctionnelle, permanente et irréversible et elle relève d’un certain nombre de causes réalistes. » Selon son âge, l’enfant aura acquis (ou non) ces principes et sera capable de les utiliser dans sa vie personnelle. » L’universalité et la non-fonctionnalité s’acquièrent progressivement entre 4 et 6 ans, poursuit la spécialiste. Lorsque le pilier de l’universalité n’est pas acquis, l’enfant peut penser que seules les vieilles personnes sont susceptibles de mourir. Pour la non-fonctionnalité, le petit qui n’aurait pas encore appréhendé le fait que les fonctions vitales du défunt se soient arrêtées peut se poser la question: » Papa est mort, mais il peut toujours faire du vélo? » »
A partir de 6-7 ans, l’enfant va commencer à concevoir la perception » des causes réalistes » et cet apprentissage se poursuivra jusqu’à ses 11 ans. Avant l’acquisition de cette perception, le môme ignore que la mort relève d’un certain nombre de causes réalistes et c’est ainsi que peut arriver la question » Est-ce que maman est morte parce que je l’avais fâchée? «
La dernière étape s’observe à l’âge de 12 ans, lorsque les plus jeunes se font une représentation du caractère inexorable, irréversible et définitif de la mort. Ils deviennent capables d’associer cela à la perte des fonctions vitales. Et la psychologue de Psy Pluriel d’ajouter : » Il n’est pas rare que les enfants un peu plus grands passent rapidement d’une chose à une autre, d’une émotion à une autre. Ils peuvent connaître l’idée de la mort tout en ne l’acceptant pas et en disant » Quand papa va rentrer on pourra … « , ce qui peut paraître déroutant pour le parent mais qui est tout à fait normal. «
Les réactions possibles
Selon Delphine Bauloye, l’enfant n’est pas dans une tristesse ou colère profonde comme l’adulte. Il va passer très vite d’une émotion à l’autre. Nora Marino confirme : » Ils semblent naturellement plus résilients : ils paraissent souffrir beaucoup moins que les adultes. En revanche, cette souffrance peut durer plus longtemps. «
L’enfant peut également souvent poser des questions lorsque l’adulte ne s’y attend pas comme » Est-ce qu’on a mal quand on est mort? « . La réponse qui nous paraît évidente ne l’est pas forcément pour lui et avant de répondre simplement » Non, on n’a pas mal « , il est intéressant de savoir d’où vient la question et des liens qu’il a pu imaginer.
Une autre réaction possible de l’enfant est de penser que la mort est contagieuse. Il peut se dire que l’autre parent va disparaître à son tour. » Si l’enfant est confronté à cette peur-là, il pourrait perdre de son autonomie, s’accrocher à la personne qui reste ou la surveiller. Aller à l’école, par exemple, deviendra difficile car il ne pourra pas vérifier que tout se passe bien pour son papa ou sa maman, développe Delphine Bauloye. Il peut aussi être confronté à la question de la culpabilité et penser que la personne est décédée car il n’avait pas été assez gentil avec elle. Ce sont des liens logiques pour lui mais pas pour les adultes et il est intéressant d’arriver à voir de quelle manière l’enfant réfléchit et comment il arrive à de tels questionnements. «
Enfin, l’enfant peut présenter des troubles de l’endormissement car pour lui, dormir, c’est lâcher toute une série de choses, on ne sait pas trop ce qu’il se passe. » Ils ont besoin de bouger pour s’assurer qu’ils ne sont pas morts « , résume Delphine Bauloye.
Comment l’accompagner dans le deuil?
Nora Marino nous éclaire: » La disparition d’un proche remet en cause l’équilibre émotionnel de l’enfant mais aussi son développement physique et psychique. La capacité de l’enfant d’entamer et de mener harmonieusement le processus du deuil est donc intimement liée à l’aptitude de l’adulte de référence à l’accompagner sur ce chemin. L’essentiel de cette prise en charge repose sur le parent survivant qui doit lui apporter protection, moyen de subsistance et nourriture affective. Il est évident que l’enfant aura plus de difficultés si son parent est effondré de chagrin ou s’il rumine sa propre incapacité à réagir à la perte. »
» L’important dans ce cas présent est de rassurer l’enfant, ne pas lui affirmer que » non, il ne m’arrivera rien » car l’enfant n’est pas dupe, il n’y croira pas, mais plutôt lui prouver qu’il y aura toujours un adulte de confiance qui sera là pour s’occuper de lui, complète Delphine Bauloye. Il faut laisser du temps à l’enfant pour faire son deuil et se reconstruire. L’enfant rencontrera des moments de tristesse, de colère, qui sont des émotions tout à fait normales dans le deuil. Il ne faut pas vouloir à tout prix que la personne soit rapidement joyeuse. Si la tristesse est là, elle l’est pour une bonne raison, il faut apprendre à l’accueillir, cela permettra à l’enfant d’avancer dans son processus. » Cependant, il n’est pas évident de capter l’émotion des plus jeunes : elle peut venir lorsqu’on leur demande de raconter des souvenirs ou lorsqu’on leur propose de regarder des photos. » Parler de la personne décédée peut faire beaucoup de bien à l’enfant. » certifie notre spécialiste.
Et de revenir aux problèmes de sommeil qui eux aussi peuvent être progressivement supprimés : » Pour lutter contre les troubles de l’endormissement, il n’est pas forcément nécessaire d’avoir recours à un suivi psychologique mais il faut accepter que durant un certain temps il sera plus difficile de trouver le sommeil. Des petites séquences de méditation, de relaxation ou choisir un » objet protecteur » à mettre à côté de son lit peuvent être des solutions. «
Faut-il emmener l’enfant aux obsèques?
» Cette question soulève une contradiction. D’une part, il faut aider l’enfant à accepter la réalité de la mort et ce qu’elle signifie. D’autre part, il ne faut pas soumettre l’enfant à des images qui peuvent parfois être insoutenables et trop angoissantes. Pour répondre à cette question, trois facteurs sont donc à analyser », explique Nora Marino. Le premier : l’âge. Il est inutile de soumettre un enfant, surtout en bas âge, à des images d’une violence difficile à supporter même pour un adulte. » Ou bien il ne les comprendra pas car il est trop petit et percevra seulement l’angoisse ambiante ; ou bien il les saisira au risque d’ajouter de la peur à l’angoisse « , signale la psychologue. Ensuite, il est nécessaire que l’adulte prévoie la scène et anticipe les éventuelles difficultés : » Qui pourra s’occuper de l’enfant si celui-ci exprime une détresse, une peur, une panique ou une tristesse importante ? « . Les adultes de confiance du petit seront-ils disponibles à la fois émotionnellement et sur la plan pratique ? Auront-ils confiance en leur capacité d’être pertinent pour l’enfant dans ces instants ? Finalement, il faut aussi se demander ce qu’en pense l’enfant lui-même. Veut-il participer à ces moments intenses ? Pour quelles raisons ? Est-ce parce que, s’il ne vient pas, il a peur d’être seul ? Ou bien veut-il accompagner sa maman ou son papa, son papi ou sa mamie ? » Dans ce cas, on peut alors lui décrire les différentes séquences des obsèques et lui demander d’imaginer ce qu’il ressentira, ce qu’il voudrait faire à cet instant et s’il a finalement envie d’y assister. On peut lui proposer de faire un dessin, de mettre un mot dans le cercueil par exemple, il peut aussi se sentir plus valorisé d’être présent, se sentir plus adulte. C’est d’autant plus important que l’enfant peut ne pas avoir eu la possibilité d’avoir dit adieu « , termine l’experte.
Justine Gabrielli
psypluriel-liege.be et espace-papillon.org
À lire
L’incontournable : VARLEY Susan, Au revoir Blaireau, Gallimard jeunesse, réédition en 2010.
Pour les plus petits: JADOUL Emile, L’ours qui chante, Ecole des Loisirs, 2020.
Pour favoriser l’acceptation: LIES Brian, Le jardin d’Evan, Albin Michel Jeunesse, 2019.
Pour sensibiliser les adultes au vécu des enfants: MOUNDLIC Charlotte et TALLEC Olivier, La croute, Père Castor, 2009.
Pour parler des émotions: Llenas Anna, Le vide, Les 400 coups, 2016.
Pour expliquer et illustrer les différentes étapes vécues par l’enfant, élaboré avec les conseils d’un pédiatre: DUVAL Stéphanie, VAN HOVE Pierre, La mort, Collection mes p’tits pourquoi, Editions Milan, 2018.
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