Conseils d’experts pour garder le contact avec vos enfants en pleine crise d’adolescence
Ils vivent au jour le jour, de préférence claquemurés dans leur chambre, et se débattent avec un corps qui leur échappe. Mais la crise d’adolescence est-elle une fatalité pour autant? Notre panel d’experts apporte des solutions pour désamorcer la situation.
Spécialistes des troubles du comportement alimentaire, des addictions ou encore de l’étude du cerveau, nos experts répondent aux questions pressantes que se posent les parents pris en pleine crise d’adolescence de leurs têtes blondes hier encore si tendres.
1— Pourquoi mon ado est-il si inattentif, et parfois même carrément asocial?
«Pour mieux réagir à ces frustrations, c’est important de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau adolescent, conseille Ilse van de Groep, en charge d’études sur le cerveau des jeunes adultes à l’université de Leyde. Les parents ont souvent des attentes élevées à la puberté. Ils s’imaginent que leur enfant va devenir adulte progressivement, mais toutes les parties du cerveau ne se développent pas au même rythme. Notre cerveau comporte deux zones importantes qui permettent aux adultes d’adapter leur comportement à leur environnement. D’un côté, le cortex préfrontal, qui est impliqué dans les fonctions cognitives telles que la prise de décision, le comportement social et la planification. Cette région continue de se développer jusqu’au début de l’âge adulte. Le système limbique, lui, également appelé cerveau reptilien, est engagé dans la régulation de nos émotions, de notre motivation et de notre mémoire à long terme. Cette partie évolue super vite chez les adolescents, ce qui provoque un déséquilibre. Résultat: les jeunes sont très émotifs et sensibles aux récompenses à court terme, mais n’ont pas encore les compétences cognitives pour les gérer correctement. C’est pourquoi ils oublient constamment où sont leurs affaires ou ne planifient pas suffisamment leurs actions.» D’accord, mais le repli sur soi, alors? «Ce comportement asocial est dû en partie au fait qu’ils ont besoin de développer leur propre identité, ce qu’ils font souvent en se rebellant contre leurs parents. Même si c’est tentant, il faut résister à l’envie de les rabrouer: ils sont sensibles aux émotions positives et à la récompense, ils en apprennent plus que de la punition. Mettez l’accent sur les choses positives que fait votre enfant et découvrez ensemble comment vous pouvez les optimaliser pour améliorer les aspects qui laissent à désirer», suggère encore Ilse van de Groep.
2— Smartphone, console, ordinateur portable, télé… Comment puis-je détourner le regard de mon enfant des écrans?
Forte d’une maîtrise en intervention en toxicomanie, Carolanne Campeau a mis ses compétences au service de PAUSE, une association dont le but est de remédier à l’hyperconnectivité, où elle coordonne le volet jeunes. Pour elle, mettre un encadrement en place est primordial, ce qui implique «d’aider son jeune à réaliser l’influence que son utilisation des écrans peut avoir sur son bien-être. L’objectif est d’avoir un usage qui est à notre service et non l’inverse, ce qui implique de bien comprendre tous les mécanismes mis en place pour nous faire perdre la notion du temps lorsqu’on est derrière nos écrans».
Et cela passe par une analyse de sa propre utilisation, ainsi que de l’exemple qu’elle donne aux jeunes membres de la famille… Qui peuvent aussi être influencés par le temps passé par leurs amis sur leurs smartphones. «Les copains ont le cadre mis en place par leurs parents, mais cela ne doit pas avoir d’incidence sur votre décision, surtout si l’usage des écrans empiète sur d’autres aspects de la vie du jeune. Il faut oser prendre des positions fermes, mais en discuter avec lui aussi. Il ne sera pas forcément super heureux de devoir réduire son utilisation, mais il est parfaitement capable d’avoir une discussion constructive sur le sujet. C’est important de définir des moments sans écran, à l’école ou à table par exemple, et des moments où leur utilisation est permise.»
Et les réseaux sociaux alors? «Tout dépend du parent mais aussi de l’âge de l’enfant. Si vous le laissez avoir un compte, tenez-vous au courant de ce qui se passe sur les plates-formes où il est inscrit, et n’hésitez pas à parler avec lui de son utilisation de ces outils pour l’amener à nommer ses ressentis.»
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3— J’ai peur que mon ado soit en train de développer un trouble du comportement alimentaire. Que faire?
Auteur de Comment aider votre fille à sortir de l’anorexie (Odile Jacob) et fort de plus de trente ans d’expérience auprès de patients atteints de troubles du comportement alimentaire (TCA), le psychiatre bruxellois Yves Simon note que les ados sont plus à risque d’en développer que les adultes. «Ces troubles débutent en général à l’adolescence et au début de l’âge adulte, entre 12 et 22 ans, parce qu’ils sont en relation avec la représentation de soi que le jeune construit au cours de son développement corporel. La société met le contrôle du corps sur un piédestal, or les ados sont sensibles à ce genre d’injonctions, surtout si celles-ci sont renforcées par les pairs.» Et le Dr Simon de pointer la prolifération de messages promouvant régimes et autres restrictions sur TikTok. Mais comment protéger son ado alors? «L’erreur la plus répandue est de se concentrer sur les dangers de ces messages plutôt que d’être à l’écoute de leur adolescent, et s’intéresser à leur contexte de vie. Plutôt que de commenter le contenu des assiettes, veiller à avoir une bonne écoute de ce que le jeune peut en dire, instaurer un contexte de vie stable et sécurisant, avec des repas pris à heures régulières dans une ambiance conviviale et partager des activités.»
Et Yves Simon de mettre en garde contre le discours des parents sur l’apparence: «Si une maman critique constamment sa silhouette et son poids, sa fille fera pareil. Si un père émet des commentaires sur l’apparence, sa fille a de fortes chances de s’engager dans des conduites de régime. Le plus important, si un parent soupçonne l’apparition d’un trouble de l’alimentation, est de prendre l’avis d’un professionnel compétent dans le domaine de la santé mentale et de l’alimentation ou d’une association de parents comme MIATA (Maison d’information et d’accueil des troubles de l’alimentation). C’est normal en tant que parent de vouloir que son enfant mange sainement, mais des critiques ou des attitudes coercitives vont aggraver la situation. En effet, les parents prennent alors le risque que le jeune se focalise sur leur attitude plutôt que d’être aidé à comprendre ce qui se joue dans son rapport au corps et à l’alimentation.»
4— Comment aborder le sujet du sexe avec mon ado sans que ce soit gênant pour tout le monde?
Chantal Stheneur, pédiatre spécialiste de la médecine de l’adolescence, le concède, «si l’éducation sexuelle est une des tâches qui incombe aux parents, souvent implicitement à la mère, l’échange parents-enfants autour de la sexualité est pourtant souvent difficile à l’adolescence». Or en Belgique, selon les derniers chiffres disponibles, l’âge moyen du premier rapport sexuel est de 16 ans et demi. Et ce, dans un contexte où «les représentations médiatiques de l’acte sexuel, comme une performance ou une recherche de plaisir individuel, sont très loin des représentations romantiques et de la recherche de tendresse profondément ancrées dans les désirs adolescents. Les images à connotation sexuelle, au milieu desquelles ils vivent, diffusent des messages implicites, regrettait le Dr Stheneur dans un essai pour la revue scientifique Réalités Pédiatriques. Un enjeu essentiel de la démarche de prévention est d’aider les adolescents à sortir de cette image d’une sexualité morcelée, réduite à des images pornographiques, et de tenter de rétablir un lien entre le sexe et la personne, mais tout en se gardant de projeter notre vision d’adulte sur les adolescents». Et de conseiller une approche selon les genres: «Chez les garçons, la question centrale est comment exprimer les sentiments et vivre un investissement affectif sans s’éloigner pour autant des pulsions. Chez les filles, il s’agit plutôt de reconnaître et prendre à son compte les enjeux liés aux pulsions et la recherche du plaisir sexuel, tout en intégrant la recherche d’un épanouissement affectif et relationnel.» Et de rappeler aux parents déboussolés que «le pédiatre a une position privilégiée pour parler de sexualité avec l’adolescent car il est, du fait de sa fonction, celui qui parle du corps, de la santé».
5— Mon ado dit qu’il n’a plus goût à rien. Je prends rendez-vous chez le psy ou ma réaction est disproportionnée?
Psychologue, pédagogue, juriste et criminologue, Ingrid De Jonghe a choisi de dédier sa carrière à l’aide psychologique aux adolescents. Et met en garde: «Je ne saurais trop insister sur l’importance de la prévention. Si on le prend en charge à temps, un jeune en détresse peut être aidé en quelques séances seulement. Or ils ont tendance à attendre pour demander de l’aide, que ce soit par inquiétude, par honte ou encore par loyauté envers leurs parents. A ces derniers, donc, de faire preuve de vigilance.
«Comment remarquez-vous que votre ado va mal? En faisant vraiment attention à lui. Prenez 15 minutes chaque jour pour vous renseigner sur sa journée, en sachant qu’une conversation de qualité implique vraiment d’écouter et d’essayer de faire preuve d’empathie envers votre enfant. Soyez attentif aux signaux d’alarme comme un enfant qui se retire, verbalement et mentalement, qui n’est plus impliqué dans la vie de famille et qui se terre dans sa chambre. En tant que parent, vous devez parfois vous imposer, car les adolescents sont distants, mais ils ont besoin de cette connexion. Proposer de cuisiner ensemble un soir par semaine, d’organiser une soirée jeux, d’éteindre les téléphones pendant le dîner… Les parents laissent parfois les choses se détériorer, mais si un adolescent ne mange pas bien, dort peu et est toujours aux prises avec des pensées sombres, il peut être aspiré dans une spirale négative. Préférer la solitude, être léthargique, triste ou en colère de temps en temps, se disputer beaucoup… pour un jeune, c’est un comportement normal, mais si la situation dure des semaines, alors vous, en tant que parent, devez agir», affirme Ingrid De Jonghe. Pour qui il vaut mieux intervenir trop tôt que trop tard: «Si votre enfant verbalise juste un malaise passager, ça lui permettra de dire ce qu’il a sur le cœur. Et si c’est le signe de problèmes plus graves, l’aide rapide d’experts garantit que la situation ne dégénère pas.»
6— Je sens mon ado en décrochage scolaire. Comment puis-je l’aider à retrouver le goût de l’apprentissage?
Pour Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des Droits de l’Enfant, il s’agit d’abord de se demander pourquoi votre ado décroche. «C’est un phénomène extrêmement compliqué, qui ne commence pas le lundi matin où votre enfant vous dit qu’il ne veut plus aller à l’école. Il y a un faisceau de signaux, mais le problème, c’est que le plus souvent, les parents et les écoles ne le remarquent que quand c’est déjà trop tard.» A noter que suivre de (trop) près le parcours scolaire de son enfant peut contribuer à son rejet de l’éducation: «Si les parents sont tout le temps sur son dos et le réprimandent à la moindre mauvaise note, l’enfant finit par se dire qu’ils ont raison, qu’il est mauvais élève, et c’est très difficile d’inverser la tendance ensuite.» La marche à suivre, selon celui qui a lui-même exercé le métier d’enseignant plusieurs décennies durant? «Il faut déculpabiliser l’enfant et renouer un lien de confiance en lui disant que ce n’est pas de sa faute, que c’est le système de cotation qui est mal fait. Tous les enfants sont capables d’apprendre ce qu’on leur enseigne à l’école, donc si ça dysfonctionne quelque part, la responsabilité n’est pas à chercher de leur côté. Même si ce n’est pas simple, en cas de mauvais bulletin ou de mauvaise passe, il faut positiver, rappeler à son enfant que ça arrive à tout le monde, et que ce qui importe, c’est lui. Or l’école est une étape obligée de la construction de son avenir, et c’est important qu’il s’accroche.» Et Jean-Pierre Coenen de marteler l’importance de répéter à son enfant qu’il est capable d’y arriver. «Si ses parents le soutiennent et que ses enseignants font bien leur job, l’enfant va évoluer sans problème parce que l’être humain n’a qu’une envie: apprendre. Un enfant qui n’a plus ce désir est un enfant qu’on a mis en échec et qu’on a découragé, et il faut raviver sa confiance en lui.»
7— Au mieux, mon ado me répond par une grimace, au pire, il me saute à la gorge. Comment retrouver une communication apaisée?
Psychologue clinicienne et autrice d’un livre dédié à la compréhension (et au déminage) des familles explosives, Lee-Ann d’Alexandry remarque que «beaucoup de parents abordent le cap de l’adolescence avec appréhension, alors même que c’est un passage qui peut se faire de manière très fluide dès l’instant où la communication n’est pas rompue et est de bonne qualité». Plus simple à dire qu’à faire? «L’enfant a beaucoup de mal à se représenter ses parents comme des hommes et des femmes qui ont vécu aussi ce qu’il traverse, donc toute la délicatesse est de le lui rappeler et de lui faire comprendre qu’il peut se confier sans être jugé.» Le conseil de Lee-Ann pour rétablir la communication avec un ado qui n’interagit plus que par grommellements? «La communication verbale n’est pas la seule qui soit. On commence par faire à nouveau des choses ensemble, même s’il s’agit d’aller au ciné, où on ne parle pas. Cette activité partagée va être le socle sur lequel reconstruire le lien. C’est important de s’affranchir des accusations et des «tu dois». En tant que parent, il faut soigner sa manière de communiquer et réapprendre à voir son ado de manière positive, ce qui implique de revoir ses priorités. Si sa chambre est bordélique, mais que du reste, il gère, on va se demander ce qui compte vraiment, et apprendre à lâcher du lest pour sortir de la spirale de reproches envers son ado.» Surtout, on garde en tête les spécificités liées à l’adolescence: «C’est l’âge auquel l’enfant prend son indépendance psychologique, ce qui passe par une certaine individualisation qui est saine et normale.»
8— J’ai trouvé de l’herbe dans son sac. Comment puis-je m’assurer qu’il ne consomme pas de drogues?
Parce que «le métier de parent n’est pas le plus facile qui puisse exister», l’équipe de la plate-forme Le Mag des Enfants a à cœur de répondre à toutes les questions que ces derniers peuvent se poser, de la naissance de leur bébé jusqu’à sa majorité. Et se veut (quelque peu) rassurante au sujet de la consommation de drogues. Ou du moins, plus nuancée que le parent paniqué qui voit son bébé passer directement du joint à la seringue. «L’adolescence est l’âge de la découverte, des défis, des premières expérimentations dont la drogue et l’alcool font partie. Une consommation occasionnelle de ces produits ne veut pas dire obligatoirement dépendance et pratiques à risques. Mais le rôle des parents est essentiel pour prévenir ces expériences qui, pour certaines, peuvent conduire à des consommations de long terme de ces produits nocifs pour la santé. Dialoguer avec l’adolescent et l’informer objectivement sur les risques de la drogue et de l’alcool est indispensable.» Mais comment?
«Il est important de ne pas mettre uniquement l’accent sur les risques et les dangers liés à la drogue et à l’alcool. Aborder ces sujets avec votre adolescent seulement sur un angle négatif peut constituer un obstacle et fermer le dialogue. Les parents doivent cependant être fermes sur leur position par rapport aux risques liés à cette consommation. Pour dialoguer avec assurance avec vos adolescents, informez-vous au mieux au préalable sur ces produits pour, par exemple, contrer de fausses informations que le jeune pourrait évoquer lors de ces conversations. Lister avec l’adolescent les raisons de ne pas tomber dans la drogue ou l’alcool (tenir à sa santé, continuer à pratiquer du sport, ne pas être puni d’un emprisonnement notamment pour détention et consommation de drogue, etc.) est aussi une bonne manière de lui faire prendre conscience des dangers. Surtout, il est important de s’intéresser à ce que pense et vit concrètement votre adolescent par rapport à cela. Tout en soulignant votre avis critique, montrez-lui que vous lui faites confiance pour se forger sa propre opinion et vivre ses propres expériences. Mais aussi que vous vous souciez énormément de sa santé et que vous voulez le protéger contre ces addictions.»
Besoin d’aide pour faire passer le message? La plate-forme Infor Drogues propose une permanence téléphonique (tél.: 02 227 52 52).
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