Témoignage: « Il m’a fallu 20 ans de thérapie pour surmonter mon harcèlement scolaire »

Comment guérir les blessures du harcèlement scolaire - Getty Images (Montage Vif Weekend)
Comment guérir les blessures du harcèlement scolaire - Getty Images (Montage Vif Weekend)
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

En Belgique, environ 100 000 jeunes seraient victimes chaque année du harcèlement scolaire. Une cohorte à laquelle a malheureusement appartenu Sophie durant des années. Aujourd’hui quadragénaire, cette Bruxelloise d’adoption raconte sa descente aux enfers – et le long cheminement pour retrouver la lumière.

C’est que le harcèlement scolaire cause des blessures profondes, dont la guérison prend parfois de longues années après la fin de l’école. Pour Sophie, c’est bien simple, il aura fallu deux décennies de suivi avant de ne plus souffrir.

« J’ai été harcelée de ma cinquième primaire à ma deuxième secondaire. Je ne sais absolument pas pourquoi ça a commencé, ni ce qui leur a donné envie de me transformer en cible, mais j’ai réagi comme une bonne cible: je ne me suis pas rebellée et je suis devenue ce qu’ils – mais surtout elles – voulaient que je sois, docile et craintive.

J’étais bonne élève, plutôt gentille, sans une once de méchanceté. Le genre à défendre la veuve et l’orphelin et à donner mon goûter. A l’époque où il était essentiel de porter du Chipie et du Chevignon, j’étais habillée chez C&A. J’étais très enfant, et je le suis restée longtemps. J’avais une tête, un look et des occupations de petite fille quand elles étaient déjà entrées dans l’adolescence. Il n’y avait aucune résistance en moi, aucun effort à déployer pour me briser et elles l’ont sans doute senti.

Je n’ai rien dit, je me suis repliée sur moi et j’ai souffert en silence. Les profs voyaient bien la dynamique de cette petite bande, mais ils n’ont pas géré. Du style « allez on se fait un bisou et c’est fini. » L’une de mes anciennes profs me dira plus tard que c’est l’échec de sa carrière. Et moi c’est le drame de ma vie, dans le sens où, à l’âge auquel on construit ses fondations, les miennes ont été systématiquement démolies.

Sur le moment je n’ai rien dit à mes parents, peut-être pour les protéger. Mais j’ai souffert le martyre. Mes journaux intimes de l’époque étaient tellement douloureux à relire que je les ai brûlés. Je voulais mourir, je voulais les tuer. J’avais constamment peur, j’étais en hyper vigilance. Et j’ai forcément grandi avec une image déplorable de moi-même ».

« Mes harceleuses, je les craignais autant que je les admirais. J’étais le paillasson, elles étaient celles qui décidaient – pouce en haut ou pouce en bas – comment j’allais vivre ma journée scolaire.  Aujourd’hui je leur en veux encore terriblement. D’ailleurs, je ne supporte pas les pensées magiques à la sauce vaguement neo libérable style « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Personne n’a besoin de se construire dans le mépris de soi et ça n’apporte rien, à part 20 ans de thérapie. Peut-être que je me suis aussi endurcie, mais est-ce que c’était nécessaire? Quel genre de monde, quel genre de société estime qu’il faut être dur? Et que pour ça il faut avoir souffert? Cet épisode ne m’a pas littéralement tuée, mais il m’a durablement abîmée, au point que je me débats toujours aujourd’hui avec ses conséquences.

Ce qui m’a aidée c’est l’EMDR. Revivre, en semi conscience, les  scènes les plus violentes et me voir, petite. Comprendre que j’ai fait ce que j’ai pu avec mes petits moyens. Me pardonner de ne pas avoir réagi avec ce qui me semble aujourd’hui une réaction adéquate. Même si, qui sait comment je réagirais, parce que je crains encore très fort de les recroiser un jour. J’ai l’impression que j’aurais à nouveau 12 ans. Si je pouvais leur dire un truc ça ne serait sûrement pas « je te pardonne ». Ça aussi ça me saoule, cette idée que pardonner les bourreaux va vous délivrer des stigmates qu’ils vous ont infligés. Aujourd’hui j’ai le sentiment d’être toujours en train de panser mes plaies et de bétonner mes fondations. Je ne suis pas malheureuse, mais je fais avec ».

Victime de harcèlement scolaire? La plateforme Parents connectés rassemble plusieurs initiatives belges de soutien aux victimes et à leurs proches. Enseignement.be compile aussi les mécanismes à mettre en place en cas de harcèlement scolaire.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content