Une thérapie qui marche: pourquoi se promener aide à parler ?

© Getty

Depuis Aristote, on n’a rien inventé de mieux que bouger les jambes pour délier les langues. Avec son psy, son partenaire ou ses collègues: les meilleures conversations sont celles qu’on a en se baladant. Et quand c’est en forêt, c’est encore mieux!

Selon Nietzsche, « les seules pensées valables viennent en marchant ». Et Jean Giono, auteur-randonneur, d’abonder en ce sens: « Si tu n’arrives pas à penser, marche ; si tu penses trop, marche ; si tu penses mal, marche encore. » S’il est avéré depuis de nombreuses années que l’art de la marche a des vertus thérapeutiques physiques et psychiques – maintien du poids, baisse de la tension et du taux de cholestérol, diminution du stress, amélioration des fonctions cognitives… -, il semble aussi que se promener aide à parler, libère les mots justes et les pensées profondes. Certains psys et coachs n’hésitent donc pas, depuis quelques années, à proposer des séances déambulatoires en pleine forêt. Des thérapies et ateliers qui ont pris encore davantage d’ampleur à cause des confinements à répétition dus au Covid, les Belges ayant (re)découvert les plaisirs de cette activité. Selon l’appli Strava, qui tracke les parcours et performances des marcheurs, joggeurs et autres sportifs, ses utilisateurs ont enregistré pas moins de deux fois plus de promenades en 2021 qu’en 2020.

Se parler côte à côte

Dimitri Haikin fait partie de ces spécialistes convaincus par les bienfaits psychologiques de la nature (1). C’est en 2013, alors qu’il était lui-même au bord du burn-out, qu’il a eu le déclic. « J’ai réfléchi à mes besoins: de l’espace et de l’air. C’est comme ça que tout a concrètement commencé », nous explique le psychothérapeute. Durant ses études à l’ULB, le Bruxellois avait déjà découvert, auprès du professeur Simon Mukuna, la puissance du groupe et de la nature dans le dévoilement des émotions et le dépassement d’un trauma. Sa première expérience de thérapeute « en mouvement » remonte à 2004, quand il organisa un stage dans le désert de Mauritanie avec un groupe d’une quinzaine de personnes. Chaque jour, une heure de balade ensemble et en silence, avec une question précise à investiguer, puis des marches solitaires accompagné d’un thérapeute pour revenir au groupe dans l’après-midi… « Depuis ce moment, j’y suis allé tous les ans. Quand je voyais les résultats sur tous, et sur moi, je me disais qu’il fallait que je propose la même chose en Belgique. Au moment où j’étais en baisse d’énergie, en 2013 donc, j’ai acheté des cartes de la forêt de Soignes et je l’ai parcourue longuement, pour trouver l’endroit idéal pour ce type de thérapie en plein air. Comme on cherche un lieu pour son cabinet. » Pour lui, ce sera finalement le Rouge-Cloître, à Auderghem. « Les consultations commencent toujours à la porte d’entrée. On s’y donne rendez-vous avec le patient ou la patiente, puis on commence le circuit, et on revient à cette porte. On a ainsi le temps de faire le tour de la question, comme dans une séance classique, mais de façon pro-active », souligne le praticien, qui n’est pas avare de bons mots sur sa pratique. « Cette façon de faire, ça marche! », s’amuse-t-il.

‘Les arbres, les animaux qu’on peut croiser, un rayon de soleil. Tout prend sens.’ Dimitri Haikin

Pour lui, la marche est « le dernier bastion de résistance et de préservation de l’intimité ». Dans cette prise en charge, on se retrouve face à soi, littéralement accompagné par son thérapeute, loin du concert bruyant du monde actuel. « Le face-à-face d’une psychothérapie habituelle, en cabinet, n’existe pas, puisqu’on chemine côte à côte. Ça rassure ceux qui sont frileux à l’idée d’une prise en charge classique. La proximité est très grande, on s’effleure parfois le coude… Ce qui fait que le patient se sent porté dans son chemin de guérison », décrit le spécialiste. C’est pour ça qu’il est essentiel de cadrer la séance. « Même s’il nous arrive de nous tutoyer, il ne faut jamais sortir de l’encadrement thérapeutique. Il arrive que des personnes me proposent de prolonger la séance par un café, ou un moment plus informel, ce que je refuse, insiste-t-il. Il est nécessaire de garder la distance soignant-soigné. » Et si ça fonctionne, c’est aussi parce que cette thérapie en marchant s’appuie sur le concret de la nature. « Les arbres, les animaux qu’on peut croiser, un rayon de soleil. Tout prend sens. » Au point que certains patients rendent concrètes leurs prises de décisions ou avancées dans la thérapie. « Certains viennent avec des pelles, pour enterrer des objets encombrants, qui représentent ce dont ils veulent se séparer. Cette prise en charge dans un cadre naturel entraîne de nombreux moments symboliques. »

Un objectif clair

Quelques jours après notre entretien avec Dimitri Haikin, nous cheminons en forêt de Soignes aux côtés d’Anne Body (2). La jeune femme, après un parcours en industrie pharmaceutique, s’est réorientée vers le coaching. Un changement qui s’est fait naturellement, nous explique-t-elle. « Je voulais devenir vétérinaire, puis j’ai finalement suivi un parcours scientifique plus généraliste, et je suis arrivée un peu malgré moi en entreprise. » De fil en aiguille, elle se retrouve à organiser du coaching dans les boîtes pour lesquelles elle travaille, formée à la discipline au sein même de ces firmes. Mais suite à un conflit de valeurs et une grande fatigue dans son dernier emploi, elle décide de changer de voie et choisit le coaching pur. Une évidence pour celle qui se passionnait avant tout pour l’étude du comportement animal… mais aussi la nature.

Travailler en forêt s’est donc imposé à elle, surtout durant cette période de Covid, et ce même si elle a un lieu de consultation « classique » au sein du cabinet pluridisciplinaire CentrEmergences, à Etterbeek. « Je ne vois pas de contre-indication à cette prise en charge. Il faut juste que le patient ou que la personne coachée se sente à l’aise avec cette façon de faire. Parfois, quelques séances classiques sont nécessaires avant de partir dans les bois. Et puis, il faut évidemment que la personne soit mobile. Au niveau du temps, seuls les vents très violents posent problème. Quand il pleut, je propose l’alternative du cabinet, mais il arrive que cette condition météo agisse comme une aide. Je me souviens d’une personne qui m’a dit s’être sentie lavée de ses émotions, parce qu’il avait plu pendant notre tour. » Il ne s’agit évidemment pas de savoir courir un marathon, ni même de marcher à vive allure, juste d’assurer une promenade calme pendant une heure ou une heure et demie. « Il arrive d’ailleurs qu’en cours de route, je force à ralentir le rythme », nous explique-t-elle. Pour autant, c’est le patient ou la personne coachée qui décide du chemin à prendre, orientée par les questions d’Anne, qui balise le parcours de sa voix calme, rassurante et de ses interrogations concrètes. « Je suis quelqu’un d’assez pragmatique. L’idée est d’aider la personne à choisir, en pleine conscience, le chemin de vie qui lui convient. La première séance sert à définir un objectif clair et atteignable, qui accompagnera la prise en charge. Celui-ci doit être sous le seul contrôle de la personne coachée, la solution doit être en elle, pas soumise à l’action d’un tiers. » Ainsi, si certaines personnes viennent avec le désir profond de changer de boulot ou de partenaire, il s’agira de faire le fameux « tour de la question », et de comprendre pourquoi elle est inconfortable dans la situation problématique. « Dans ce chemin, le professionnel et le personnel se mêlent. On ne peut pas mettre la vie intime de côté sous prétexte que la souffrance est au boulot. Il s’agit d’explorer en profondeur le rapport qu’a la personne à son travail, le temps qu’elle y consacre, comment elle remplit le temps hors de celui-ci, pourquoi elle s’investit – ou se désinvestit – de cette façon… » Il arrive que des gens venus en pensant changer de boulot changent simplement leur rapport à ce dernier.

Une thérapie qui marche: pourquoi se promener aide à parler ?
© unsplash / rinke dohmen

Un univers de symboles

Au cours de notre promenade, Anne attire notre attention sur l’un ou l’autre détail de la nature. Ici, un tas de bois qu’il semble difficile de franchir, ailleurs un point d’eau paisible. Nous croiserons des batraciens en plein accouplement, un rayon de soleil furtif, un arbre vert plein de vie. Autant de signes qui rythment un exercice de coaching en forêt, et permettent aux mots de sortir avec plus de facilité, aux concepts de se matérialiser… et à l’esprit et au corps de se régénérer.

Les défenseurs les plus connus de la forêt en tant que stimulant naturel sont peut-être les psychologues environnementaux américains Rachel et Stephen Kaplan. A deux, ils ont découvert que, par rapport à une promenade en ville, une balade dans la nature restaure davantage notre attention épuisée, ce qui se traduit par de meilleures performances dans les tâches difficiles par la suite. Des chercheurs de l’université de Stanford ont également constaté que la créativité augmentait en moyenne de 60% pendant une marche active. Des résultats encourageants que connaissait peut-être Heidi De Pauw, CEO de Child Focus, quand elle a proposé à ses employés de réaliser leurs évaluations de performance au grand air, au plus fort de la crise Covid. « Cela évite une relation hiérarchique, que l’on a tendance à avoir dans une salle de réunion, explique-t-elle. Vous marchez côte à côte, ces réunions sont dès lors moins formelles, tout en permettant d’entrer plus rapidement dans le vif du sujet. De plus, vous n’avez pas de quoi noter devant vous, ce qui fluidifie l’entretien. »

Les yeux du corps

Un pas plus loin, Dimitri Haikin – qui forme aussi d’autres thérapeutes et coachs aux sorties en forêt – compare l’impact de la balade thérapeutique ou de coaching à celui de la technique de l’EMDR – soit l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires -, très connue en psychologie. « La marche est un accélérateur d’émotions, d’autant plus quand on est dans la nature. Les yeux sont constamment stimulés. Et puis il y a l’aspect ludique. Etre dans un bois, c’est un peu jouer. On met physiquement en scène certaines problématiques, cela fait avancer les choses plus vite. J’ai eu une patiente qui souffrait de son éducation rigoriste. Dans une cabane en bois croisée au détour du chemin, elle s’est mise à pleurer, conscientisant brusquement ce que cette éducation stricte lui avait enlevé d’enfance… et de jeu. »

Un aspect ludique qu’apprécie vraiment le thérapeute, qui a choisi un environnement où il se sentait bien pour mieux prendre en charge ses patients. « Je n’aurais pas pu le faire devant la mer. J’ai besoin d’arbres, c’est mon élément. » Comme Anne Body, qui, au fil de la marche, a attiré notre attention sur les différentes espèces animales que nous avons croisées et nous a confié pratiquer ces balades avec son conjoint, histoire de faire avancer leur couple, partager le bon comme le moins bon, de façon fluide. Persuadée des bienfaits de cette nature qu’elle aime tant, elle organise aussi des ateliers en groupe, de trois heures, au cours desquels « on s’enfonce dans la forêt pour découvrir son moi profond. C’est un parcours jalonné d’exercices, de respiration, de reconnexion, de prise de parole ». Des ateliers qu’elle propose à chaque changement de saison, comme on abandonne une partie ancienne de soi, pour enfiler une autre combinaison et affronter demain, en mieux, en bien. Merci la nature.

  • (1) Walk your mind: accompagnement en forêt individuel, en entreprises, en groupe et voyages. www.walkyourmind.com
  • (2) Anne Body: consultations en forêt et ateliers de groupe (les 15 mai et 4 juin prochains entre autres). annebody.com

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