La reine des trad wives dévoile l’envers du décor et rappelle la réalité des femmes au foyer

Les trad wifes ou le rêve faussé de la femme au foyer - Montage Vif Weekend (Getty Images)
Les trad wifes ou le rêve faussé de la femme au foyer - Montage Vif Weekend (Getty Images)
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Si, de prime abord, le statut de femme au foyer n’était pas vraiment aspirationnel pour les jeunes femmes modernes, celui de « trad wife », lui, faisait rêver toujours plus de Millenials et de Gen Z. La promesse: prendre le temps de prendre soin de soi et de ses proches, une recette alambiquée (réalisée en tenue soignée) à la fois. Sauf que forcément, l’envers du décor est tout autre.

Dans une société qui célèbre la performance et les accomplissements, le statut de femme au foyer a peu à peu été relégué au rang, peu désirable, de renoncement. Alors que les médias et réseaux sociaux débordent d’images d’Epinal de femmes accomplies jonglant maternité multiple et carrière prenante, l’idée de mettre celle-ci de côté pour se consacrer entièrement à sa progéniture ainsi qu’à la tenue du foyer en venait presque à prendre des airs de solution de facilité. Ce qui, ainsi que chaque femme au foyer le sait, est à mille lieues de la réalité. Cuisine, ménage, lessive, repassage, le tout sans quitter des yeux des bambins qui demandent une attention de chaque instant : pas de repos pour les braves. Et pourtant, ces derniers mois, une toute autre image de ce quotidien souvent éreintant a été mise en avant sur les réseaux sociaux.

Avec une nouvelle appellation ad hoc, histoire de bien marquer la différence dans les esprits : bye-bye « femme au foyer », ou « housewife » en anglais, bonjour « trad wife », soit « épouse traditionnelle », s’il fallait traduire littéralement un phénomène qui a rapidement séduit nombre de femmes, jeunes et moins jeunes, en quête de sens mais aussi et surtout, d’une issue de secours.

C’est que dans un monde au rythme toujours plus effréné, où l’on attend des femmes qu’elles fassent carrière, soient de bonnes mères, aient un intérieur Pinterest et le tout, avec une silhouette de jeune fille s’il vous plaît, la perspective de ralentir, ou du moins, de pouvoir se concentrer uniquement sur les tâches domestiques, a de quoi séduire.

Voire même, entretient l’illusion que celles-ci (oui, même vider le lave-vaisselle) se transforment alors en plaisir.

De parfaites femmes au foyer 2.0

Prendre soin de soi en prenant soin des autres, et atteindre enfin cet équilibre après lequel on n’a de cesse de courir? À entendre le ton apaisé (d’aucuns diront monocorde) avec lequel les trad wives narrent les nombreuses vidéos de leur supposée idylle domestique, il y a de quoi y croire.

Parmi les trad wives les plus emblématiques, il y a Nara Aziza, 22 ans épouse d’un mannequin mormon et mère de trois adorables petits métisses, qui accompagne d’une voix quasi robotique les vidéos de ses exploits, entre confection de chewing-gum fait maison, préparation entièrement artisanale de repas extrêmement élaborés quelques jours après avoir accouché et autres pirouettes domestiques réalisées en déshabillé de soie orné de plumes, parce que pourquoi pas.

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Avec son halo de boucles blondes, ses formes voluptueuses et ses yeux de biche impeccablement maquillés, Estee Williams, pour sa part, ne se contente pas d’incarner l’archétype de la parfaite femme au foyer des 50s, mais bien aussi celui de la pinup alors en vogue.

Même si, ainsi qu’elle l’affirme, la séduction est accessoire puisque les priorités principales de toute femme devraient être ses rôles d’épouse et de mère. 50s jusqu’au bout des convictions, donc.

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Et puis il y a la reine des abeilles, ou plutôt, des trad wives. Hannah Neeleman, alias Ballerina Farm, passée d’une carrière prometteuse de danseuse à une ferme de l’Utah, où elle élève ses huit enfants et s’occupe d’une véritable ménagerie tout en trouvant le temps de préparer du pain de seigle parfait, de gérer un fructueux business de vente de produits de la ferme, et même de gagner quelques concours de beauté au passage. Parce qu’encore une fois, pourquoi pas.

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Car, cela va sans dire, Hannah a beau être à un enfant près de l’équipe de baseball, sa silhouette n’a rien à envier à celle des mannequins à peine pubères qui trottinent sur les podiums. De quoi susciter, si pas l’émulation, du moins l’adulation de millions de followers qui rêvent tantôt d’être elle, tantôt d’être avec elle, voire même les deux ensemble.

Ou plutôt, rêvaient? C’est que récemment, l’illusion savamment construite de la vie rêvée de la trad wife a été quelque peu écornée – mais on y reviendra.

En accordant un entretien à un média de référence sur son quotidien rural, Hannah Neeleman a en effet bien malgré elle dévoilé l’envers pas toujours désirable du décor (ultra aspirationnel) partagé sur les réseaux sociaux. Et si cela semble avoir ramené à la réalité nombre de ses followers, qui réalisent soudain que les trad wives d’aujourd’hui n’ont pas une routine plus agréable que les femmes au foyer d’hier, cela fait déjà belle lurette que cette version 2.0 de la poupée domestiquée était critiquée.

Le double standard des trad wives

Rétrograde, chimère chrétienne conservatrice saupoudrée de misogynie, exemple criant de l’inégalité des sexes… Si sur les réseaux, les trad wives cumulent des dizaines de millions de followers, leur quotidien en apparence parfait, ou du moins, parfaitement géré, n’est pas du goût de tout le monde.

Outre les critiques relatives à l’image ultra rétro (pour ne pas dire carrément sexiste) ainsi véhiculée de la féminité, ces femmes au foyer revisitées sont également accusées d’être doublement privilégiées. D’abord parce qu’exception faite de certaines d’entre elles, Nara Aziza Smith en tête, elles sont majoritairement blanches. Elles sont aussi toutes jeunes, valides mais aussi et surtout, elles correspondent parfaitement à l’archétype de beauté en vogue. Préparer des repas ultra élaborés, d’accord, mais pour ce qui est de les savourer, rien n’est moins certain, car il s’agit de rentrer dans une taille 36.

Une mère de famille multiple échevelée, qui gère lessives, repas et trajets avec les cheveux gras faute d’avoir le temps de les laver, et un bouton de fièvre en prime, pics de stress obligent? Pas de ça chez les trad wives!

Lesquelles sont doublement privilégiées, donc, car outre leur apparence physique pas très inclusive, elles bénéficient pour la plupart d’un certain confort matériel. Disons que quand on est contrainte de rester à la maison parce que le salaire qu’on pourrait toucher ne suffirait pas à couvrir les frais de garde d’enfant, de ménage et autres, on n’a pas forcément le temps ni l’envie de chroniquer le tout par vidéos TikTok interposées.

@tyler.benderr

Who thinks i am better than them? Tell me below 🥰 #tradwife #tradwifetok #tradwives #iscanner

♬ original sound – TYLER
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Lesquelles, outre les critiques de fond, ont également donné lieu à un sous-genre plutôt hilarant, soit des capsules parodiques d’utilisateurs riant tantôt du ton monocorde qui accompagne les vidéos originales, tantôt de la complexité presqu’ubuesque de certaines recettes. Dont le chewing-gum fait maison de Nara Smith, ça va sans dire.

L’envers (ou peut-être l’enfer?) du décor

Et puis comme ça ne suffisait pas, la reine des abeilles a (à l’insu de son plein gré, jure-t-elle) donné un grand coup de botte dans la ruche. Et fait vaciller au passage l’illusion patiemment construite de la vie rêvée de la trad wife.

La multiplication des vidéos dans votre feed en venait presque à vous persuader que faire carrière était une poursuite futile, et que ce qui vous rendrait vraiment heureuse, ce serait de prendre soin de votre tendre moitié, de vos chères têtes blondes et de votre foyer? Quelque part, c’est probablement aussi ce que pensait Hannah Neeleman, alias Ballerina Farm: promise à un bel avenir dans le monde très fermé de la danse classique après avoir été acceptée au sein de la prestigieuse école Julliard, elle a tout plaqué pour vivre à la ferme avec son mari et leurs huit enfants.

Et à voir les vidéos de leur quotidien idyllique, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes – du moins, jusqu’à ce que la journaliste Megan Agnew décide de s’intéresser à l’envers du décor. Dans un portrait rédigé pour The Times on Sunday, elle alterne entre remarques sur le rôle dominant que semble jouer l’époux d’Hannah, Daniel Neeleman, héritier d’une fortune dans l’aviation, et confessions d’Hannah. Laquelle, à la question de savoir si elle vit la vie dont elle a toujours rêvé, répond sans hésiter que non, puisque son rêve était d’être ballerine.

Le coup de grâce? Daniel, avouant à la journaliste que parfois, sa femme est tellement épuisée par ses responsabilités qu’il lui arrive de passer une semaine entière alitée.

Entre plaisir coupable et oxymore

Il n’en fallait évidemment pas plus pour qu’Internet s’emballe et crie à l’oppression, tandis que la principale intéressée, elle, s’est dite « surprise par l’article qui nous a choqués et qui a choqué le monde entier en s’attaquant à notre famille et à mon mariage ».

Et de poursuivre, dans une vidéo partagée sur son compte Instagram, en accusant le reportage de la dépeindre « comme une opprimée, mon mari étant le coupable », avant d’affirmer faire « exactement ce qu’elle aime le plus », c’est à dire « être une mère, une femme, une entrepreneuse et une fermière » puis d’ajouter, presque défiante, que du haut de ses 33 ans, elle n’en a pas fini d’avoir des enfants. Et pourquoi s’arrêterait-elle en si bon chemin, elle qui a participé au concours de Miss Monde douze jours seulement après avoir donné naissance à son 8e bébé?

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En attendant, malgré son démenti, soudain, la version 2.0 de la femme au foyer fait moins rêver. S’il est facile d’ignorer des critiques isolées, ou de se convaincre que le propre de certains journalistes est de déformer les propos recueillis pour faire du clic, pris ensemble, les deux laissent deviner une réalité pas forcément aussi rose que ce que les vidéos partagées sur les réseaux laissent penser. Ce qui ne veut pas dire que les trad wives sont reléguées aux confins de leur foyers pour autant.

Loin de là, même.

Dans un billet d’opinion rédigé pour Causette, Philomène Raxhon, féministe revendiquée, contribue à mettre des mots sur le « plaisir coupable bourré de contradictions » que constitue le visionnage parfois compulsif de vidéos de femmes dévouées à la domesticité. Et de citer Cécile Simmons, chercheuse à l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) de Londres, expliquant que plus que de partager recettes et autres astuces de grand-mères, le mouvement des trad wives « procure l’illusion d’un sentiment de sécurité dans un monde où on ne ressent pas la sécurité. À travers le retour à des normes de genre des années 1950 ou 1960, et l’idée de la domesticité heureuse, ce mouvement offre une image de paix et de sécurité qu’on ne ressent pas à l’heure des multiples crises, notamment la crise climatique”.

« Le fantasme d’une vie plus simple qui peut aussi témoigner d’un certain désenchantement » argumente Philomène Raxhon, car « contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, être une girlboss tient davantage du cauchemar capitaliste que d’une vraie avancée vers plus d’autonomie ».

D’ailleurs, de Leandra Medine Cohen, de Man Repeller, à Emily Weiss, de Glossier, en passant par Sophia Amoruso, de Nasty Gal, toutes les girl boss originelles ont été cancelées les unes après les autres il y a quelques années.

@esteecwilliams

What it means to be a Tradwife. #fyp #tradwife #homemaking #housewife #traditional #tradwifecontroversy #womenschoice

♬ Music Instrument – Gerhard Siagian
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Mais qui a dit que ces deux réalités ne pouvaient pas coexister? Loin d’être « simplement » femmes au foyer et de tenir le ménage pendant que Monsieur (car oui, dans leur monde, c’est toujours un monsieur) fait rentrer l’argent dont il leur reverse une partie sous forme de rente, les trad wives, grâce aux vues et aux partenariats engrangés par le contenu qu’elles postent, sont souvent, si pas les sources de revenus principales du ménage, à tout le moins, des contributrices de taille au compte commun.

Ambitieuses et domestiquées? Accomplies et soumises? Une chose est certaine, les trad wives n’en sont pas à un oxymore près. Dans une vidéo vue à près de 2 millions de reprises, Este Williams l’affirme: « Nous pensons que notre rôle est d’être femmes au foyer. Cela ne veut pas dire qu’on veut que les droits pour lesquels les femmes se sont battues leur soient repris ».

Après tout, n’ont-elles pas acquis aussi le droit pour chacune d’en disposer comme bon lui semble?

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