Les sex-toys pour hommes, un tabou qui persiste et freine le plaisir

Les sex-toys pour hommes, la dernière frontière du plaisir? Getty Images
Les sex-toys pour hommes, la dernière frontière du plaisir? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Passés de l’intimité de la chambre à la sphère publique grâce à des séries telles que Sex & the City, les sex-toys ne sont désormais plus un secret sordide mais bien partie prenante du plaisir… féminin. Car si les alternatives pensées pour les hommes existent aussi, le marché reste plus timide.

À l’origine était le vibromasseur. Un jouet pensé pour le plaisir au féminin dès… l’an 40 avant notre ère. À l’époque des pharaons, plus précisément. Selon la légende, la reine Cléopâtre aurait ainsi été à l’origine du premier accessoire intime, un rouleau de papyrus rempli d’abeilles, dont le bourdonnement et les vibrations auraient eu un effet grisant. Et plutôt dangereux aussi, à l’image du « marteau de Granville », un vibromasseur mécanisé à vapeur mis au point en 1880 par le médecin anglais Joseph Granville pour soigner ses patientes « hystériques ». Il faut attendre un siècle et se rendre au Japon pour voir l’arrivée sur le marché du premier sex-toy tel qu’on le connaît, le Rabbit, rendu célèbre par la série Sex & the City et la passion de la pourtant prude Charlotte pour ce lapin coquin.

En 2022, une enquête du service bancaire Klarna auprès de sa clientèle belge révèlait que pas moins de 17% de nos compatriotes achetaient un nouveau sex-toy chaque mois. Malheureusement, faute de statistiques plus poussées sur le sujet, c’est vers la France qu’il faut se tourner pour avoir une meilleure idée du marché. En 2017, Dorcelstore.com avait ainsi commandé à l’Ifop une enquête d’envergure sur l’utilisation des sex-toys. Surprise: « l’usage des sextoys ne se réduit pas qu’à une activité masturbatoire, « honteuse » et solitaire. En effet, l’étude révèle que la part de la population en ayant déjà utilisé à deux (45%) est plus élevée que celle en ayant utilisé seule (29%) ».

Avec le temps, et peut-être à cause d’une clientèle majoritairement masculine, la sex-shop est devenu le sex-shop

Alexis Alvarez

Journaliste

Et François Kraus, directeur du pôle Politique / Actualité à l’Ifop, de noter que « pour comprendre leur banalisation, il est en effet important de rappeler que leur commercialisation a radicalement changé à partir du milieu des années 2000 à la fois avec l’essor de sites de vente en ligne (…) permettant à ces jouets érotiques de quitter l’univers déclassé et vulgaire des sex-shops traditionnels associés aux clichés d’une clientèle d’hommes célibataires et libidineux ».

En quête de sens

Car à l’origine, si pas le sex-toy, le sex-shop, lui, est bien une affaire d’hommes. Dans son enquête Sex and the Cité, exploration du monde érotique de la Cité ardente pour le compte du magazine SIROP, Alexis Alvarez rappelle que tout commence en 1963, à Flensbourg, en Allemagne, avec Beate Uhse, première femme pilote d’avion cascadeuse devenue créatrice du premier sex-shop. Et de pointer qu’en « hommage involontaire à Beate, le mot sex-shop est longtemps resté féminin en français. Avec le temps, et peut-être à cause d’une clientèle majoritairement masculine, la sex-shop est devenu le sex-shop ». Leur clientèle actuelle? « Exactement la même qu’au Delhaize. On a des jeunes, on a des très vieux, des femmes, des hommes, des gays, des transgenres… » assure au journaliste Estelle, du love-shop liégeois Delicatescence.

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Reste que pour Patrick Pruvot, propriétaire de trois sex-shops parisiens, « cela reste une sacrée démarche pour les hommes de s’acheter ce type d’objets, c’est beaucoup plus tabou que pour les femmes ». En cause, selon lui, une différence de perspective: là où une femme qui a recours à un jouet intime sera vue comme en contrôle de sa sexualité, qu’elle exploite quand (et comment) elle en a envie, un homme qui ferait pareil serait plutôt vu comme désemparé, forcé de recourir à un substitut en silicone faute de trouver un ou une partenaire. Un point de vue qui semble se confirmer s’il faut en croire les avis recueillis pour cet article.

Ô rage, ô désespoir

Lancée autour d’un verre ou au moment du dessert, histoire d’assurer que le public cible soit aussi détendu que possible, la question suscite d’emblée le genre de rires gênés qu’on n’a plus entendu depuis la puberté. Passée la première réaction bravache, la réponse est unanime, variation autour du « je n’en ai pas besoin, je suis en couple ». OK, mais célibataires, penseraient-ils à avoir recours à l’un ou l’autre jouet intime? Là aussi, la formulation diffère, mais le sentiment reste le même: « hors de question, je me sentirais trop désespéré ». C’est que là où les sex-toys au féminin sont devenus tellement jolis qu’on les trouve désormais dans certaines boutiques de luxe, ou bien exposés fièrement dans la chambre plutôt que relégués au fond d’un tiroir, on ne peut pas toujours dire la même chose de leur pendant masculin. Il a beau faire le job, le vagin de poche en plastique mou dans lequel se donner l’illusion d’un plaisir pas entièrement solitaire ne vend pas vraiment du rêve.

Même si vous n’éprouvez aucune honte religieuse persistante à l’égard de la masturbation, il est fort probable que vous ressentiez de la honte si quelqu’un ouvrait votre tiroir et découvrait votre anus sur bâton

Oliver Keens

Journaliste

Une situation appelée à changer? D’après la firme d’étude du marché Future Market Insights, le marché des sex-toys pour homme devrait représenter un montant de 40 milliards d’ici à 2033. Signe de la révolution en marche: le lancement en février 2023 de Butter Wellness, une marque de jouets intimes pour homme au packaging et à l’identité visuelle ultra léchée, son masseur de prostate aux couleurs helléniques évoquant de loin le joli objet en céramique plutôt que l’outil de plaisir. Le credo de la marque? Un label « pour les hommes modernes préoccupés par leur bien-être sexuel », avec la volonté de briser le tabou lié aux sex-toys masculins « en créant une marque moderne de bien-être sexuel pour les hommes, centrée sur l’éducation, l’innovation et l’accessibilité, à l’aide de produits pensés pour une zone du corps de l’homme souvent négligée et pourtant la plus agréable – la prostate, également connue sous le nom de « point G masculin ». Bienvenue dans la dernière frontière de l’homme ».

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Le monopole de Madame Cinq-doigts

Une frontière qui reste toutefois encore relativement perméable à l’heure d’écrire ces lignes. Une question de tabou, d’offre moins attrayante… Mais aussi et surtout de physiologie. C’est qu’ainsi que le souligne le journaliste de l’Independent Oliver Keens, « La plupart des hommes estiment qu’ils disposent déjà du meilleur outil qui soit, à savoir leur main. Et ils se sont toujours montrés étonnamment inventifs dans le domaine de la branlette. Même les hommes les plus ordinaires peuvent faire preuve de l’imagination de Léonard de Vinci et de la détermination d’un archer olympique lorsqu’il s’agit de se faire plaisir furtivement ».

Pas besoin d’aide, donc? Pas dans sa forme actuelle, disons. Comme le rappelle notre confrère britannique, à l’heure actuelle, les plus célèbres des jouets pour personnes dotées d’un pénis sont le Fleshlight et le Fleshjack, deux variations autour du manchon pénétrable actionné à la main, avec une doublure intérieure que l’on trempe dans de l’eau chaude, que l’on lubrifie et que l’on utilise ensuite. « C’est probablement le jouet sexuel masculin le plus socialement acceptable qui ait jamais existé, et pourtant, grâce à son ouverture vaginale ou anale modélisée, il donne toujours l’impression de garder une partie du corps désincarnée dans votre tiroir. Même si vous n’éprouvez aucune honte religieuse persistante à l’égard de la masturbation, il est fort probable que vous ressentiez de la honte si quelqu’un ouvrait votre tiroir et découvrait votre anus sur bâton ».

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Vers une révolution?

En résumé, regrette Oliver Keens, il persiste « le sentiment que la plupart des jouets sexuels masculins, même s’ils sont bien conçus, sont des manifestations physiques du sentiment persistant de honte et d’inadéquation que des époques révolues associaient à la masturbation ».

La faute à un marché qui ne vit pas avec son temps, ou bien à une tendace masculine à moins expérimenter avec sa sexualité? On image mal Monsieur Tout-le-monde aborder son plaisir solitaire de la même manière qu’une femme pourrait le faire, entre port de sous-vêtements affriolants et allumage d’une bougie parfumée histoire d’assurer l’ambiance même (ou surtout) en solo. Malgré des avancées réjouissantes ces dernières années, le concept de masculinité semble plus fragile et confus que jamais, ce qui présente un frein potentiel supplémentaire à l’utilisation de sex-toys par des hommes cisgenre et hétérosexuels qui ne savent déjà plus très bien où se positionner dans la société.

Pour Sarah Forbes-Roberts, co-propriétaire du sex-shop Come As You Are, la sexualité masculine est encore entourée d’une forme de honte. « Les hommes n’ont pas connu la révolution féministe ni les auteurs qui leur ont dit que le sexe était sain. Ils sont censés se réveiller à l’adolescence et comprendre tout cela par eux-mêmes, sans parler à leurs amis masculins des jouets sexuels qu’ils achètent, parce qu’il n’y a pas cette culture de la sexualité masculine partagée. L’ironie est que nous avons une culture qui investit beaucoup d’argent dans la satisfaction de la sexualité masculine avec le porno, mais il s’agit d’images commercialisées, pas d’hommes qui explorent leur propre corps de manière individuelle ».

À mens sane, sexualité saine

Un carcan à déconstruire un cliché à la fois? Dans sa quatrième et dernière saison, Sex Education avait ainsi abordé le sujet de la simulation de la prostate au sein d’une relation hétérosexuelle, levant déjà une partie du tabou autour de cette zone érogène méconnue. « La libéralisation du marché, la popularité des médias sociaux et l’influence de la culture pop font prendre conscience de l’importance de la santé sexuelle aux hommes » pointe encore le rapport de Future Market Insights sur le marché des jouets intimes au masculin.

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Comme le rappelle CJ, le co-fondateur de Butter Wellness, « la santé sexuelle fait partie intégrante de la santé globale d’un individu. En déstigmatisant la stimulation de la prostate et d’autres tabous liés à l’utilisation de sex-toys, on crée un environnement qui permet aux individus d’explorer en toute confiance de nouvelles idées, de nouvelles opportunités et de nouveaux plaisirs. Cet environnement permet aux hommes (et à tous les autres) d’être plus en phase avec eux-mêmes, leur corps et leur partenaire, ce qui leur permet d’avoir une sexualité, des relations et une vie plus saines et plus heureuses ». Un esprit sain dans un corps sexuellement stimulé? À l’heure d’écrire ces lignes, les masseurs pour prostate signés Butter ont déjà été épinglés par Gwyneth Paltrow, et sachant que la grande prêtresse de Goop a réussi l’inpensable et a popularisé l’insertion d’oeufs de jade dans le vagin, cela laisse espérer un essor surprenant des jouets intimes pour messieurs.

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