Tabou en (méno)pause: comment les réseaux sociaux ont changé notre regard sur la ménopause ?
Enfin évoquée de front, la ménopause était sur toutes les lèvres cette année. Au-delà des préjugés – vieilles, plus désirables –, certaines femmes se sont emparées de la Toile pour livrer leur récit. Zoom sur trois initiatives. Par Julie Nicosia.
C’est un véritable renversement de situation qui s’est opéré pour la ménopause en 2024. Ce sujet qui semblait encore tabou il y a peu a connu un regain d’intérêt de toutes parts. Les parutions médicales se sont multipliées, tout comme les avancées dans les traitements, des livres de cuisine spécialement dédiés, des ateliers et des applis, et puis surtout, de plus en plus de femmes concernées se sont mises à en parler plus librement, de manière décomplexée.
Pour rappel, la définition de cette période charnière, selon Serge Rozenberg, chef de la clinique de la ménopause au CHU Saint-Pierre: une femme ménopausée est «une patiente de 50 ans et plus qui n’est plus réglée depuis au moins 6 mois, idéalement 1 an». Cependant, ça ne fonctionne pas pour toutes de la même manière. Il se peut qu’avant 40 ans, certaines présentent une ménopause précoce. Le docteur Rozenberg s’alerte alors: «On sait que le fait d’avoir une ménopause tôt (à partir de 45 ans) a des conséquences sur le vieillissement, comme des risques d’ostéoporose (dégradation de la densité osseuse) ou coronariens (infarctus). C’est dans ces cas-là que la prise d’hormones est vivement recommandée au moins jusqu’à la ménopause normale, à 50 ans donc.»
A côté de ces risques, des symptômes peuvent apparaître comme des bouffées de chaleur, des sécheresses vaginales, des démangeaisons, du brouillard mental… Comment faire face à ce changement qui peut être vécu comme un choc pour certaines? Maïtena Biraben – avec Alexandra Crucq –, Sophie Kune ou encore Claire Fournier sont toutes femmes et ménopausées et ont décidé de faire entendre leur voix et celles des personnes qui sont aussi passées par cette étape. Leur approche? Des histoires intimes qui sonnent comme une ode à la vie.
Chaud dedans, le podcast de Claire Fournier
Claire Fournier est journaliste économique pour la chaîne française LCI et, à 47 ans, elle décide de lancer son podcast intime Chaud dedans nommé en référence aux bouffées de chaleur ressenties par certaines femmes lors la ménopause. Ce podcast de 22 épisodes, elle le crée après l’annonce de sa péri-ménopause et en conséquence du manque de ressources disponibles sur le sujet: «Comme je ne trouvais pas les informations dont j’avais besoin ou qu’elles étaient particulièrement anxiogènes (perte de libido, perte de mémoire, perte de cheveux, problème de sommeil…), j’ai décidé de récolter un maximum de données et de les mettre à disposition d’autres femmes qui, sans doute comme moi, se sont retrouvées dans une grande solitude au moment où on leur a annoncé leur ménopause», confie-t-elle. Elle se munit aussi d’un compte Instagram d’une communauté de 4.274 followers, «pour pouvoir échanger avec ses auditrices».
L’enjeu pour Claire Fournier, c’est de «soulever le tabou de la ménopause considérée comme un sujet impudique dans des conversations entre amis ou au travail pour son caractère peu «ragoûtant»». Ce qui gêne le plus la société pour la podcasteuse, c’est de parler du corps féminin et du vieillissement: «On est dans une société obsédée par le jeunisme et donc une femme qui n’est plus en mesure de procréer, elle perd de «son utilité». C’est ça que je cherche à déconstruire!»
Et d’ajouter: «J’ai voulu aussi dire à toutes ces femmes qu’elles ont encore de la valeur et un rôle fondamental à jouer.» Comme Maïtena Biraben et Sophie Kune (lire par ailleurs), ce qui a manqué à ces femmes qui ont décidé de prendre cette thématique à bras-le-corps, c’est un narratif, un récit des femmes ménopausées: «Les femmes de 45 à 65 ans sont complètement invisibilisées. Entre être mère et être grand-mère, il y a une espèce de zone mouvante où le narratif n’a pas été inventé.».
C’est donc ce qu’elle réalise avec Chaud dedans où elle «essaye de tirer les fils des multiples facettes de cette période de la vie, qu’elle soit physiologique, psychologique ou sociétale» avec des épisodes sur la sexualité, sur comment vieillir entre amis ou encore sur le brouillard mental.
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Mesdames.media, le média de Maïtena Biraben et d’Alexandra Crucq
Mesdames.media a été créé en ligne le 22 mai dernier par deux personnalités connues de la télévision française: Maïtena Biraben et Alexandra Crucq. Ce jeune média naît d’un constat: «On dit n’importe quoi sur nous. Le récit qu’on a sur les femmes de plus de 45 ans est complètement décorrélé de la réalité. Nous on le sait puisqu’on dit le réel, mais ce que la société raconte de nous n’a aucun sens», explique Maïtena Biraben.
Pour ce tandem, «le récit porté par la société contraint et assigne avec des discours selon lesquels vous passez votre temps à entendre dire que vous sortez de la vie, vous n’avez plus de désir, vous n’êtes plus désirable, vous ne servez plus à rien, vous êtes moche, vous êtes vieille et vous êtes rangée. Nous, ça nous tape sur le système!»
D’ailleurs, dans l’ouvrage La Femme invisble qu’elle a publié cette année,l’animatrice française revient sur son entrée dans la cinquantaine. Etonnée «depuis toujours» de la manière dont «on parle des femmes, des petites filles, des jeunes filles, des jeunes femmes et des femmes qui ne sont plus jeunes», elle explique qu’elle avance dans la vie en se posant des questions qui correspondent à son âge et qu’elle se confronte aux problématiques liées à son âge «quand elle y arrive».
Selon elle, «autour des 45-50 ans, j’ai bien compris qu’il y avait un truc comme à l’adolescence qui revenait, où on me disait comment il faut que je m’habille, ce que je ne dois plus porter et comment je dois me comporter.» Cette manière qu’a la société de lui dire comment se comporter choque Maïtena Biraben qui a une «détestation farouche pour l’assignation.» Mais l’autrice soutient que le récit n’est pas que négatif et qu’il n’y a finalement aucune raison que le positif disparaisse, en insistant sur le fait que «c’est un âge où on se connaît très bien, c’est vachement plus agréable, où on est au monde beaucoup plus facilement, où les relations avec les autres sont beaucoup plus agréables».
Partager des récits authentiques
Le créneau de ce nouveau média est donc de sortir des diktats de beauté et de fécondité et de raconter des récits authentiques, tels que celui de cette femme devenue coiffeuse à 57 ans, de cette autre devenue bûcheronne ou encore de celle qui s’est mise au gospel. Des histoires qui se racontent aussi grâce à la «liberté de cet âge-là», poursuit Maïtena Biraben: «Ce sont pas que des témoignages grandioses et bouleversants. Ce sont de toutes petites choses parfois, mais qui racontent l’autonomie qu’on reprend sur sa vie à ce moment-là, enfin. Parce que c’est un âge où on a fait ce qu’on avait à faire: on a fait notre carrière, nos enfants ou pas, nos mariages (réussis ou pas). On peut enfin être nous-mêmes, c’est la première fois. C’est extraordinaire!»
A côté de ces récits de vie, mesdames.media prend en compte ce que les hormones provoquent sur le corps: «On sait ce qui se passe à la ménopause. Par contre on ne nous le raconte pas, alors que c’est tout simple: on est gérée toute notre vie par les hormones, avec des changements chez nous qui sont très puissants. Quand on sait qu’énormément de choses dépendent d’elles, on peut étudier des problématiques qu’on a dans notre corps en les associant à des chutes d’hormones. Comme par exemple en compensant cette baisse d’hormones avec une alimentation appropriée. C’est ce qu’on fait dans les recettes de cuisine proposées avec Agnès Leclerc-Bernain, naturopathe.» Et de préciser qu’il ne s’agit pas de la panacée mais ça fonctionne sur certaines femmes.
Ce média dédié aux femmes de plus de 45 ans bouscule les codes avec un site Internet et une présence importante sur les réseaux sociaux (YouTube, Facebook, TikTok – avec 194.600 followers et Instagram avec 270.000 followers). Cette communauté hyperactive en francophonie est l’une des forces du média qui se veut un écho à la réalité de près d’une femme sur deux en Belgique et en France: «La ménopause est un rendez-vous dans la vie et elle apporte son lot de surprises, de joies, de possibles. Et il ne faut pas passer à côté parce que le récit qu’on nous propose de nous-mêmes n’est pas notre réalité et nous n’avons qu’une vie», conclut Maïtena Biraben.
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Menopause.stories, le compte Instagram de Sophie Kune
Sophie Kune a été placée en ménopause artificielle il y a huit ans. A ce moment-là, elle n’est pas préparée aux conséquences que celle-ci entraîne sur sa vie. Durant ses recherches, elle ne trouve pas d’écho: «Il n’y a pas de parole contemporaine de femmes qui racontent ce qu’il se passe et ce qu’on peut ressentir.» Elle s’empare alors de sa plume et commence à rédiger plusieurs cahiers. C’est avec toutes ces choses qu’elle a à raconter qu’elle décide de créer un compte Instagram, en 2019. «Il était facile d’y lancer un compte sans dépenser quoi que ce soit, explique-t-elle. Il m’a permis d’avoir un ton quasiment conversationnel, en utilisant des GIF et des émojis. J’avais envie de rigoler, proposer un contenu contemporain, d’aujourd’hui.»
La création de contenu est devenue l’activité principale de celle qui se définit comme Chief Menopause Officer: «Parce que je n’ai pas tellement le temps de faire autre chose. Je suis devenue ‘expertisée’. J’ai commencé à intervenir lors de conférences, j’ai porté la voix de la ménopause sur les ondes par l’intermédiaire d’un podcast, j’ai cofondé une cure.»
Evoquer de nouveaux référentiels tout en décidant de parler des symptômes de la ménopause est devenu le mantra de cette femme qui revendique parler à la fois des effets négatifs (brouillard mental, bouffées de chaleur, sécheresse vaginale) et des effets positifs (50 ans est un âge d’acceptation de soi où on ne s’arrête pas de vivre en tant que femme…) de la ménopause: «Il faut dépoussiérer cette étape pour pouvoir nous (les femmes) éclater le mur afin de pouvoir continuer d’être.» La démarche de Sophie Kune suit trois étapes qu’elle juge essentielles: la sensibilisation, l’information et l’accompagnement. L’autrice de Game is not Ovaire (Marabout, 2023) rappelle le titre de son ouvrage: «A 50 ans, même 55 ans, on est encore là. On est au maximum. Ce n’est pas le moment de refermer le Game!»
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