Topless: le monokini, c’est fini?

Brigitte Bardot, reine du monokini. © Getty images

Le topless a déserté les plages européennes, alors même que le féminisme et le slogan «mon corps, mon choix» sont omniprésents dans le débat. Mais la petite ville de Göttingen en Allemagne a, elle, justement décidé d’autoriser les seins nus dans ses piscines en avril dernier. Les prémices d’un come-back?

«Couvrez ce sein que je ne saurais voir», écrivait déjà Molière en 1669. Quelques siècles et une révolution sexuelle plus tard, le téton féminin fait toujours parler de lui. Et encore plus à l’approche de l’été… Car, a contrario de ce qui se passait il y a quelques décennies, les poitrines à l’air ne sont plus légion sur le sable, de Saint-Tropez à Ibiza, et suscite même parfois l’opprobre. En 2019, l’Ifop, Institut d’études opinion et marketing en France et à l’international, révélait déjà, dans une enquête sur les pratiques des femmes européennes en matière de nudité, qu’en comparaison avec les années 80, le topless n’avait plus la cote aujourd’hui. Rien qu’en France, le même Institut affirmait qu’en 2021, le monokini avait été pratiqué par seulement 16% des 1 500 françaises sondées, contre 34% en 2009 et 43% en 1984. Mais comment expliquer cela, alors même que l’époque MeToo a fait fleurir des revendications fortes sur la réappropriation de leur corps par les femmes?

Laisser tomber le haut

Audrey Millet, autrice et historienne, s’est penchée sur la question du maillot de bain et de son histoire. Dans son livre paru ce printemps, elle aborde notamment la saga du monokini: «Durant l’entre-deux-guerres, il n’y a pas vraiment de topless mais on a des photos de femmes couchées sur le ventre qui dégrafent leur haut de Bikini pour se faire bronzer. C’est après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les gens ont envie d’avoir une vie tranquille et de trouver la paix, que cette pratique apparaît. Le topless arrive juste après le Bikini qui date de 1947.»

Ce qu’une génération a voulu et obtenu n’est pas forcément ce que la suivante veut. On le voit bien avec la question de la pilule contraceptive.

L’histoire de cette pièce de mode débute avec un monokini équipé de sortes de bretelles passant entre les seins et laissant la poitrine apparente, dont la première photo date de 1962. Sur celle-ci, le mannequin Peggy Moffitt porte une version conçue dans les années 50 et popularisée dans les années 60 par le styliste américain Rudi Gernreich. Cette culotte a alors pour vocation d’être unisexe. Petit à petit, les femmes abandonnent ce modèle pour faire du topless avec un simple bas de maillot. «Il est le symbole, dans les années 60, de la libération des corps et de la libération sexuelle. Celle-ci se fait évidemment d’abord à partir de l’élite. Les filles veulent un vêtement de bain plus confortable et ne plus avoir de traces de bronzage», explique Audrey Millet.

La pratique explose après mai 68, surtout en France. Brigitte Bardot, qui avait déjà fait scandale quelques années auparavant avec son célèbre Bikini, devient une des icônes du genre en faisant tomber le haut à la plage. Nombreuses sont celles qui la suivent encore tout au long des années 80. Mais cette tendance commence à baisser à partir des années 90 et se raréfie encore plus passé le cap du millénaire.

La top Rose McWilliams et une comparse portant le premier modèle de monokini, créé par Rudi Gernreich, après un défilé de mode à Hollywood.
La top Rose McWilliams et une comparse portant le premier modèle de monokini, créé par Rudi Gernreich, après un défilé de mode à Hollywood. © Bettmann Archive

Un désamour progressif

Comment expliquer ce retour à plus de tissu? L’une des conclusions ressorties de l’étude de l’Ifop menée en 2019 est que désormais, les femmes sont plus soucieuses des risques liés à l’exposition au soleil. Dans les eighties, le culte du bronzage était vivace et elles ne redoutaient pas les effets des rayons UV. A l’heure actuelle, la jeune génération est de plus en plus consciente de l’importance de ne pas trop s’exposer et de se protéger.

La seconde raison évoquée par l’enquête est tristement la crainte de remarques et de gestes déplacés de la part d’hommes présents à la plage. «Le mouvement MeToo rappelle aussi aux femmes que le harcèlement est encore malheureusement très présent. Peut-être que certaines d’entre elles préfèrent donc se couvrir un peu plus, de peur de subir ce genre de comportement», analyse le sociologue Jacques Marquet. Le professeur de l’UCLouvain pense également que ce changement s’explique par l’avènement du numérique: «A l’époque, il n’y avait pas de smartphones. Désormais, la technologie fait que toute image capturée est transmissible en quelques secondes. Une pratique que vous auriez réservée à un milieu particulier, à un groupe d’amis spécifique, n’est plus garantie de le rester. Elle peut désormais être diffusée ailleurs. Ça change la donne.» Comme on peut souvent l’entendre, Internet n’oublie jamais rien. Et à l’heure des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, ce genre de contenu peut parfois porter préjudice. «On sait à quel point il est difficile de faire retirer totalement une photo de soi sur Internet. Et on sait aussi que certains patrons regardent lors du recrutement s’il y a des choses compromettantes en ligne au sujet de la personne. Ça peut être un problème.»

Une question de génération

Pour Audrey Millet, il n’est pas non plus évident de dévoiler son corps pour les moins de 35 ans qui ont grandi avec Britney Spears ou Kate Moss. «Je pense qu’il y a eu énormément de complexes créés durant les années 2000 où on a vu beaucoup de popstars exposées partout. Même dans les années 90 d’ailleurs. Avec leurs tailles basses, leurs ventres hyperplats, des physiques de gamines de 14 ans… Maintenant, on a Kim Kardashian, Beyoncé. Elles ont des gros seins, une petite taille, de grosses fesses. On est exposés en permanence à des images qui ne sont pas nuancées.» Ce culte de la minceur et du corps parfait peut ainsi expliquer cette réticence à se dénuder plus que de raison.

Jacques Marquet pointe par ailleurs les divergences entre générations: «Celles qui pratiquent encore beaucoup le topless ont généralement la cinquantaine. Il s’agit de la génération qui a grandi avec cette révolution sexuelle à travers ce phénomène. Mais les formes de libération d’une génération ne sont pas celles d’une autre. Ce qu’une génération a voulu et obtenu n’est pas forcément ce que la suivante veut. On le voit bien avec la question de la pilule contraceptive par exemple: la génération qui avait 20 ans dans les années 70-80 la voulait et était très heureuse de l’avoir. Et vous voyez aujourd’hui parmi les femmes qui ont la vingtaine qu’il y a de fortes critiques de ce moyen de contraception. Ce qui peut être vu comme une libération à un moment peut être beaucoup plus critiqué à un autre.»

Quand le topless devient arme de protestation, comme avec ces Brésiliennes dénonçant la censure dans l’art brésilien sur la plage d’Ipanema à Rio de Janeiro, en 2017.
Quand le topless devient arme de protestation, comme avec ces Brésiliennes dénonçant la censure dans l’art brésilien sur la plage d’Ipanema à Rio de Janeiro, en 2017. © Getty images

D’autant plus qu’à l’heure actuelle, de nombreux mouvements féministes apparaissent et s’opposent. «Aujourd’hui, parmi ces courants, on voit qu’il y a une aile qui revendique beaucoup le fait de disposer de son corps et de pouvoir se dénuder (NDLR: on pense notamment aux manifestations chocs des Femen, ce mouvement né en Ukraine en 2008). Alors que d’un autre côté, il y en a aussi qui, au contraire, ne veulent pas se dénuder car elles voient ça comme une façon de nourrir le fantasme masculin.» Pas évident donc de s’y retrouver.

Un retour de balancier

Néanmoins, l’historienne Audrey Millet mise sur un retour du monokini auprès des plus jeunes. La raison? La période post-pandémie. Après des mois et des mois à être confinée chez soi, la jeunesse serait à la recherche de plus de liberté. «Récemment, mon attachée de presse était à Marseille le temps d’un week-end et elle m’a dit que c’était le retour du topless sur les plages françaises. Le Covid et les confinements ont rappelé, surtout aux jeunes générations, ce qu’étaient le confort et la liberté de ne pas être enfermé. Maintenant, les gens veulent profiter, laisser leur corps tranquille. Je trouve ça génial.» Un frémissement du phénomène qui trouve écho en Allemagne, à Göttingen, où les piscines autorisent les poitrines dénudées jusque fin août, la réforme ayant été votée «pour améliorer l’égalité entre les sexes», affirment les autorités locales, rappelant qu’hommes et femmes ont le droit de profiter des loisirs de la même façon, donc torse nu.

S’il est encore un peu tôt pour se prononcer avec certitude sur le retour de la culotte de bain chère à Brigitte Bardot, l’impact de la crise sanitaire sur cette pratique devrait être une belle analyse à réaliser d’ici quelques années. En attendant, pour les plus timides, il est toujours possible d’opter pour le Naked Bikini Top de Jean Paul Gaultier avec lequel s’exhibait récemment l’influenceuse Kylie Jenner sur Instagram. Tel un trompe-l’œil, des seins nus y sont imprimés et donnent l’impression que la personne le portant est topless… On aura tout vu.

Permis de se dénuder

Actuellement en Belgique, le topless n’est pas autorisé dans les piscines. En revanche, à la plage, il est permis ou toléré tant qu’il est statique. Vous avez donc le droit de bronzer seins nus sur votre serviette, mais pas de vous promener en culotte sur le sable. En pratique, cela dépend beaucoup de l’appréciation des autorités locales. Du côté de nos voisins français, le Code pénal ne condamne pas le monokini. Par contre, les municipalités peuvent décider de l’interdire. C’est le cas par exemple de Paris Plages qui n’autorise ni les poitrines dévêtues, ni le port du string car considérés comme «indécents». De manière générale, la pratique du ‘seins nus’ est largement acceptée dans les pays nordiques ainsi qu’en Espagne et en Allemagne. S’il n’est tout de même pas courant partout, le flou juridique autour de cet usage permet de laisser tomber le haut encore assez facilement en Europe.

Un article de Shirine Ghaemmaghami.

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