Guide du Japon à travers ses plus beaux jardins, pour (re)découvrir l’empire du Soleil levant autrement

Jardins du Japon
NgUyen Tp Hai - Unsplash
Nathalie Le Blanc Journaliste

L’art du jardin se cultive aux quatre coins de l’empire du Soleil levant. De Tokyo à Kanazawa, en passant par Kyoto et Yasugi, nous avons humé les parfums et admiré les trésors de ces lieux qui changent d’humeur à chaque saison. Zénitude absolue.

C’est l’odeur qui nous réveille. Après plus de vingt heures de voyage, nous pénétrons dans le jardin du Grand Prince Hotel Takanawa à Tokyo. Le vert profond, le murmure de l’eau, un étang rempli de carpes koï, une cloche de bronze que nous faisons sonner dix fois et surtout, cette odeur de terre. Nous inspirons profondément et notre tension retombe. Mission: apaiser le décalage horaire via un long bain de forêt.

La culture horticole japonaise est fascinante, et la nature constitue clairement le meilleur baume contre le trop-plein de pensées négatives. Dès notre premier jour à Tokyo, nous en avons la confirmation. La ville ne manque pas de béton ni de chaos urbain, mais les Japonais ne ratent jamais l’occasion d’ajouter des touches végétales. Nous apercevons des mini-jardins en pots dans les ruelles, sur les trottoirs et les balcons, de l’ikebana jusque dans le métro, et des jardins dans presque tous les restaurants, hôtels, musées ou gares.

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Et soudain, la montagne

Le matin suivant, après une balade sur une braderie animée par des danseurs et une foule enjouée, nous nous dirigeons vers le Nezu Museum. Celui-ci abrite la collection privée de Nezu Kaichirō, mais en ce jour de mai, c’est son jardin qui attire tous les regards. Bien sûr, quand on associe les mots Japon et végétation, on pense avant tout aux cerisiers en fleurs.

Mais ce ne sont pas les seules floraisons pour lesquelles les Japonais gagnent le grand air. Azalées, nénuphars, glycines ou pivoines: tout au long de l’année, se dévoilent des bonnes raisons de se promener. Observer le passage des saisons est d’ailleurs l’un des grands plaisirs de la culture japonaise… et l’une des fonctions principales des jardins.

Devant nous, une mer d’iris violets tapisse l’étang central. Ces fleurs méritent le détour à elles seules. Lorsqu’elles éclosent, et seulement à ce moment-là, un paravent du XVIIIe siècle orné d’iris par Ogata Kōrin est exposé au musée. Le jardin semble nous avoir arrachés à une rue animée de Tokyo pour nous déposer parmi des hauts reliefs. C’est voulu: il est conçu pour évoquer un paysage montagneux luxuriant.

Duncan De Fey

Avant notre voyage, Carl De Coster, directeur du Jardin japonais de Hasselt, nous avait parlé de la force symbolique de ces lieux: «On appelle cela le mitate: avec des pierres, des arbres et de la mousse, on suggère autre chose. Les jardins deviennent une abstraction de la nature. Dans le bouddhisme, les pierres sont regroupées par trois pour représenter le Ciel, l’Homme et la Terre. Et dans le shintoïsme, un rocher n’est jamais un simple bloc de pierre, mais un lien avec les esprits qui peuplent la nature.»

Beaucoup de sentiers se révèlent étroits, irréguliers, ponctués de marches et de petites dalles en forme de pas. Ce n’est pas un hasard. «Quand on doit faire attention à chaque pas, on ralentit. Les concepteurs japonais chorégraphient les mouvements et guident le regard des visiteurs. Ils leur indiquent un chemin, mais tout en les invitant à se concentrer sur l’instant présent, puisqu’il faut regarder où l’on met les pieds. On voit, on entend, on sent et parfois on touche.»

Nathalie Le Blanc

L’art de dompter la nature

Plus loin, l’atmosphère de Kanazawa est tout aussi apaisante. La ville, moins agitée que Tokyo, est dotée de beaux musées et d’un savant mélange d’ancien et de moderne. Notre étape: Kenroku-en, l’un des «Trois Grands Jardins du Japon», selon un titre reçu il y a trois siècles, lorsque ces endroits uniques furent créés par les seigneurs féodaux. Depuis 1643, Kenroku-en est le jardin de promenade du château de la cité. «Les jardins de temples et de demeures privées étaient conçus pour être contemplés depuis un seul point, comme un tableau, témoigne Carl De Coster. Les jardins de promenade, eux, proposent une véritable visite, reliant des points de vue magnifiques.»

À l’orée de la colline, nous suivons quatre jeunes Japonaises en kimono, que nous reverrons tout l’après-midi en train de se photographier sans relâche. L’un de leurs arrêts est le pin karasaki, vieux de plusieurs siècles, dont les branches évoquent la forme d’une grue. Évidemment, l’arbre n’a pas pris cet aspect de lui-même, tout comme les vastes tapis de mousse ne sont pas apparus spontanément. «Au Japon, la nature est souvent redoutable», écrit Sophie Walker dans son livre Le jardin japonais (Phaidon): «Volcans, séismes, cyclones et tsunamis… Pour apprivoiser cette force, on la dompte.»

Nathalie Le Blanc

Au passage, les plantes sont taillées et formées avec minutie afin de magnifier leur beauté naturelle. Les pins et cerisiers, eux, ressemblent à d’immenses bonsaïs. Cela peut sembler artificiel à nos yeux occidentaux, mais ce qui frappe surtout, c’est la manière dont chaque contrainte devient esthétique: les poteaux qui soutiennent ou orientent les branches, les protections anti-chenilles autour des troncs, les structures de cordes et de bambou qui préservent les arbres du poids de la neige en hiver… Tout cela est d’une splendeur naturelle sans nom.

Devant les marches de la colline Yamazakiya, un homme nous interpelle en soufflant profondément: «C’est à couper le souffle, non?» On confirme. Les panoramas sont dingues et les essences remarquables. Mais ce sont aussi les détails qui nous enchantent: une fleur sous une cloche protectrice, un cercle de mousse flottant sur l’eau, des jardiniers vêtus de vestes indigo et de chapeaux de paille qui arrachent des brins d’herbe avec patience. Légèrement blessés au pied, on passe plus de temps que prévu sur les bancs, à contempler ce spectacle inouï. Ce n’est pas une punition, mais une bénédiction.

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Un décor presque théâtral

Dans le train qui nous mène de Kanazawa à Kyoto, nous feuilletons un magazine qui répertorie les 25 jardins à voir une fois dans sa vie. Parmi eux: le temple Saihoji Kokedera, où nous avons réservé une visite… le lendemain. Seules 300 personnes par jour y sont admises. Et avant d’entrer dans le jardin, il faut recopier une sutra bouddhiste dans le temple, soit vingt minutes à reproduire des caractères japonais pour plonger dans l’état méditatif requis.

C’est ensuite en silence que nous découvrons une aire abritant plus de 120 variétés de mousses, qui s’y sont développées après plusieurs inondations au XIXe siècle. Plutôt que de lutter, les moines décidèrent d’accompagner la nature. Le résultat est magique, surtout lorsque le soleil sème partout ses éclats de lumière. Un sentier nous guide autour d’un étang. Nous marchons lentement, pour prolonger l’expérience. Le tapis luisant de mousse paraît tantôt en velours, tantôt en coton vert. Une seule envie assaille notre esprit: s’y allonger et s’y enfoncer doucement. Puis ne plus en bouger…

Duncan De Fey

Quelques iris sur un îlot, un petit pont de pierre, une barque amarrée: l’ensemble a quelque chose de théâtral. L’architecte paysagiste américaine Marc Peter Keane, installé à Kyoto, explique dans son ouvrage Of Arcs and Circles que les jardins japonais cherchent à capturer la nature, mais toujours guidés par la main du jardinier. «Sauvagerie et maîtrise, nous les désirons toutes deux, et le jardin nous les offre au même endroit, au même instant. C’est pourquoi nous ne nous perdons pas dans un jardin. Nous nous y retrouvons.» Pas étonnant que certains moines et visiteurs viennent flâner ici depuis des siècles, ce qui a d’ailleurs le don de rendre le décor encore plus beau…

Dans un restaurant voisin, on tombe sur une carte postale à l’effigie d’une bambouseraie. Pas celle d’Arashiyama, envahie de touristes, mais celle du temple Jizo-in. On décide d’aller y faire un tour. Seule une poignée de gens a eu la même idée. Les bambous, épais comme nos cuisses, s’élèvent jusqu’à 25 mètres. Le temple, le jardin et la maison de l’abbé possèdent un charme discret qui en font le cadre parfait pour savourer le komorebi, ce mot japonais qui désigne «la beauté de la lumière filtrant à travers les feuilles».

L’histoire de la vie

Plus loin, Kyoto offre l’embarras du choix: on pourrait y passer des mois sans être à court de découvertes. Hélas, nous n’y resterons que quatre jours, un tri s’impose. Le jardin de la Tofuku-ji nous attire, il date de 1939 – c’est relativement récent – et son créateur, Mirei Shigemori, disposait uniquement des matériaux trouvés sur place, faute de budget. Et pour cette raison précise, il a conçu un véritable chef-d’œuvre. À l’automne, la vallée embrasée d’érables attire les foules, mais aujourd’hui, elle est paisible. Nous entrons en chaussettes dans le pavillon et découvrons les quatre jardins, un pour chaque point cardinal.

À l’est, un jardin zen: graviers ratissés, rochers et buttes de mousse figurant les montagnes Horai. Au sud, des colonnes représentant la Grande Ourse. À l’ouest, des azalées taillées en carrés réguliers. Mais c’est au nord que le décor nous interpelle. Là, s’étend un damier de dalles recyclées et de carrés de mousse. Parfait au départ, il s’érode progressivement: ici une dalle manque, là une autre, jusqu’à se dissoudre en mousse puis en gravier. Une métaphore saisissante sur le cycle de la vie: d’un commencement parfait à une disparition inévitable. Une confrontation avec la finitude qui réussit à nous nouer la gorge…

Duncan De Fey

Après cette déroutante parenthèse, place à une observation plus terre-à-terre. Car certains jardins ont aussi des fonctions très simples. Aussi, chaque 21 du mois, le marché de la To-ji propose brocante, kimonos d’occasion, légumes… mais aussi un pépiniériste de bonsaïs et un étal de mousse.

Mais disons que sous 35°C, la visite est épuisante, et nous préférons trouver refuge dans le jardin Tenjuan. Petit, caché dans l’immense complexe du Nanzen-ji, il a des allures de secret. Une large véranda et la maison de l’abbé ouvrent sur deux tableaux: une rocaille et un étang avec passerelles de bois et pas japonais. Un sublime décor dessiné au XIVe siècle… à peine quelques années avant l’arrivée d’Instagram, dommage.

Nous faisons trois fois le tour du jardin d’eau avant de nous installer sous la véranda. Le komorebi fait encore son effet. «En Europe, un jardin est un espace où l’on entre, que l’on traverse et que l’on quitte», écrit l’essayiste britannique Pico Iyer dans un ouvrage dédié au Japon. «À Kyoto, c’est le jardin qui entre en vous, et vous invite à devenir aussi silencieux que lui.» Un constat qui prend ici tout son sens: on a juste envie d’emballer ce jardin et de le ramener chez nous, histoire de pouvoir s’y asseoir dès que nécessaire…

Duncan De Fey

Une véritable quête de perfection

Depuis Kyoto, nous prenons le train direction la préfecture de Shimane. Un petit «détour» de 300 kilomètres s’impose. Le célèbre jardinier britannique Monty Don a un jour avoué avoir eu le souffle coupé devant le jardin du musée Adachi à Yasugi. Le lieu figure sur les listes des plus beaux jardins du Japon.

Pourtant, le jardin n’était pas censé être l’attraction principale. L’entrepreneur Zenko Adachi a construit ici un musée, dans son village natal, pour y exposer sa collection d’art, en particulier de nombreuses toiles de Yokoyama Taikan. Mais pour attirer les visiteurs dans ce coin reculé, il a décidé d’y adosser le jardin japonais parfait, raconte Haruka Nitta, employée du musée. «Et cela a marché: la plupart viennent pour le jardin, et 90 % de nos visiteurs sont japonais.»

Dès sa conception, Zenko a imaginé le jardin comme une œuvre d’art. L’endroit se contemple comme une série de tableaux, visibles depuis le musée, la plupart du temps derrière des vitres, parfois depuis une terrasse. «Quel que soit l’angle, c’est toujours parfait, sourit Haruka. C’est aussi un immense trompe-l’œil. Le jardin est plus petit qu’il n’y paraît. Mais le choix précis des plantes et le jeu des perspectives donnent une impression de grandeur.» En effet, intégrer l’horizon à la composition est une pratique fréquente dans les jardins japonais, ici exécutée avec génie. Sur une colline, on a même recréé une cascade inspirée d’un tableau de Yokoyama Taikan.

Duncan De Fey

En fin d’après-midi, une fois la foule partie, nous repassons par le musée et savourons un matcha glacé. Le jardin est superbe, prodigieux dans son art de la perception. Une nature figée, bouleversante de perfection. L’émotion n’est néanmoins pas la même qu’à Kenroku-en ou dans les jardins de Kyoto. On pense à un tableau hyperréaliste: l’exécution est magistrale, on admire la virtuosité de l’artiste, mais quelque chose reste un brin trop lisse. Attention, l’escapade vaut le détour, bien sûr. D’autant que les toiles de Yokoyama Taikan, elles, touchent en plein cœur. Tout comme le jardin de Yuushein, situé à trois quarts d’heure de Yasugi, sur l’île Daikonshima. Un joyau de promenade, récent mais fidèle à la tradition, dont la mission est claire: honorer la pivoine. Pari réussi, avec près de 250 variétés que les horticulteurs parviennent à sublimer. Ils rivalisent d’ingéniosité pour que les serres restent fleuries au fil des saisons.

Côté cour, encore des trésors

Découverte importante de notre voyage: la beauté de la nature aide à se lever tôt. Comme le jardin du Grand Prince Hotel Takanawa avait apaisé notre jetlag, les petites cours intérieures de nos hébergements ont, chaque matin, dissipé toute ébauche de mauvaise humeur. Le dernier jour à Kyoto, nous prenons notre petit-déjeuner dans la cour de Yoinotake, la maison machiya – une maison de ville traditionnelle – que nous occupons.

Naoki Suzuki – Unsplash

Graviers ratissés, monticule fleuri: l’ensemble inspire une paix immédiate. «Un clin d’œil à la Tofuku-ji voisine», explique l’équipe de la Machiya Inns & Hotels qui rachète et restaure de vieilles machiya pour les transformer en hébergements. Beaucoup de ces lieux possèdent une cour intérieure: «Ces tsuboniwa sont à la fois jolis et utiles. Dans des bâtiments longs et étroits, ils apportent lumière et oxygène. Bien avant l’air conditionné, ils assuraient la circulation de l’air en été. Et puis, voir un jardin évoluer au fil des saisons apaise et réconforte.»

C’est probablement ce qui pousse l’une des voisines à entretenir une étonnante collection de rosiers le long de sa façade. Elle nous confie: «Je suis âgée, j’ai besoin de prendre soin de quelque chose. En ville, les plantes rappellent que les saisons existent, que la beauté existe. Et ici, sur ma façade, je peux la partager avec tout le monde…»

En pratique

Pour visiter les jardins

La plupart des jardins sont payants, entre 400 et 4 000 yens (± 2,3 à 23 euros). Il est nécessaire de réserver à l’avance pour visiter le temple Saihoji Kokedera. Pour de nombreux autres jardins, il est préférable de vérifier si vous pouvez acheter des billets en ligne.

Pour se loger

Grand Prince Hotel Takanawa. À Tokyo, ce bel hôtel partage son vaste jardin avec deux autres hôtels Prince, l’une des chaînes hôtelières de luxe les plus renommées du Japon. princehotels.com/takanawa

Machiya Inns & Hotels. Une sélection unique d’hôtels-boutiques et de maisons de vacances, tous situés dans des bâtiments restaurés de Kyoto, Kanzawa et Takayama. machiya-inn-japan.com

Pour voyager

Nous avons voyagé à travers le Japon en train. Le Japan Rail Pass, ou tout autre pass ferroviaire local, est intéressant si vous prévoyez de nombreux trajets sur une courte période. Il existe aussi des pass pour des régions spécifiques. Dès 302 euros pour 7 jours. jrpass.com

Pour plus d’infos

Office national de tourisme japonais: japan.travel/fr/fr/

Informations sur Matsue: visit-matsue.com

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