De Bordeaux à la Méditerranée à vélo: l’itinéraire magique du Canal des 2 Mers

Vélo
© Snap Wander

C’était le grand rêve de Louis XIV: relier l’océan Atlantique à la mer Méditerranée. Il n’avait pas imaginé qu’un jour, une piste cyclable suivrait ce tracé. Notre journaliste a pédalé de Bordeaux à Sète, le long du Canal des 2 Mers. Carnet de route.

On aurait adoré glisser quelques excellentes bouteilles de Bordeaux dans nos sacoches. Mais disons que cela n’aurait pas forcément facilité notre trajet. On s’est donc contentés, la veille du départ, de boire un bon petit verre pour se détendre.

Presque un besoin pour effacer les fatigues du voyage entre la Belgique et la Garonne: après un train annulé, nous avons dû trouver une solution de secours sous la forme d’un trajet en bus de… treize heures. Quelle délivrance de savoir que, dans les prochains jours, on ne dépendrait plus des aléas de la technologie moderne, mais uniquement de nos jambes. Notre mission: venir à bout du Canal des 2 Mers, un itinéraire cyclable qui relie l’Atlantique à la Méditerranée en passant par Bordeaux, Toulouse et Carcassonne.

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© Christian Van der Zwaard

Entre forêts et vignobles

Techniquement, le parcours débute à Royan, sur la côte, mais Bordeaux constitue un point de départ privilégié, plus accessible. C’est donc là que nous attaquons les deux voies d’eau qui dessinent une ligne presque droite de 750 kilomètres à travers le sud de la France: le canal de Garonne et son frère plus célèbre, le canal du Midi. Ce dernier fêtera en 2026 le trentième anniversaire de son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Allez, disons que c’est à lui que nous avons levé notre verre la veille.

Neuf heures pile. C’est parti pour une échappée le long du canal de Garonne. Enfin… de la voie verte, pas encore du canal lui-même. Dès qu’on sort de Bordeaux, l’itinéraire nous éloigne paradoxalement de la rivière. Aujourd’hui, pas de fil conducteur aquatique, mais heureusement une signalisation claire. Il faut le saluer: tout au long de notre périple, les panneaux indiquant l’itinéraire cyclable du Canal des 2 Mers seront limpides.

Notre première étape, d’environ septante kilomètres, nous mène vers La Réole, en suivant la voie Roger Lapébie. Cette ancienne ligne de chemin de fer traverse à la fois des forêts, des champs et des vignobles, faisant d’elle un tracé très prisé des cyclistes. Plusieurs de ses anciennes gares ont d’ailleurs été réhabilitées en haltes tantôt gourmandes, tantôt dédiées au repos.

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Même si une partie du tracé grimpe légèrement, la balade reste très agréable, même pour les cyclistes peu aguerris. L’itinéraire est d’ailleurs souvent présenté comme familial. Même les enfants peuvent s’y aventurer, à condition d’être bien entourés… et bien équipés – nous croiserons régulièrement des familles munies d’un accessoire aussi pratique qu’étonnant: la laisse à enfant, une sorte de cordon ombilical synthétique qui relie les parents à leur progéniture en plein effort. Plutôt utile pour ne pas voir son marmot s’offrir un plongeon imprévu…

Bon à noter, tout de même: à la fin de la première journée, juste après Sauveterre, le parcours est qualifié de «plus sportif»… et c’est un léger euphémisme. Les dénivelés marqués de ce (splendide) paysage nous obligent régulièrement à mettre pied à terre. Quand nous atteignons enfin La Réole, en longeant l’ancienne abbaye bénédictine devenue hôtel de ville et les maisons à colombages, nous sommes exténués, mais soulagés. Un bol fumant de pâtes et un matelas accueillant nous apportent un précieux réconfort.

Comme au cinéma

C’est fou la vitesse à laquelle l’esprit bascule dans un état méditatif quand le corps n’a plus qu’à suivre l’eau. Le deuxième jour, nous roulons enfin véritablement le long du canal de Garonne. Majestueux platanes offrant leur ombre, hérons cendrés qui s’envolent à notre passage, fleurs sauvages qui s’accrochent aux berges… De temps en temps, la Garonne réapparaît, sinuant parallèlement au canal, manifestement ravie de nous tenir compagnie.

Les haltes ne manquent pas: chaque bourgade nous offre l’occasion de poser pied à terre. Au Mas-d’Agenais, nos estomacs grondants trouvent asile sous la belle et ancienne halle. Mais la curiosité nous entraîne ailleurs: ce village abrite le seul lieu au monde où l’on peut admirer un Rembrandt hors d’un musée ou d’une collection privée. Un officier français l’avait acheté en 1804 sans connaître son auteur et l’avait offert l’année suivante à l’église de sa ville natale. Un malheur pour ses descendants, un trésor pour les (rares) visiteurs de passage.

Le long des berges, ici ou là, on a l’impression d’être projetés dans un film. Les maisonnettes des éclusiers semblent sorties d’un décor de Wes Anderson, les villages d’un vieux film en noir et blanc. À Montauban, après un crochet par le canal de Montech, nous sommes tellement séduits par l’architecture que nous en oublions la signalisation. «Ici, il est interdit de pédaler», rappelle un vieil homme sur la place Nationale. Nous nous excusons, avant d’aller nous poser à l’ombre de l’église Saint-Jacques, où nous nous installons en terrasse au Saint Jacques, un bar à cocktails. Menu du soir: des arancini maison, une préparation digne de ce nom pour tout cycliste affamé… et éreinté.

Le Roi Soleil en maître d’œuvre

Après quelques jours de repos bien mérités à Toulouse, nous repartons pour nos premiers kilomètres le long du canal du Midi. Mais la météo nous joue des tours: pluies et alertes aux orages nous obligent à opter pour un plan B. Heureusement, il est d’une facilité déconcertante d’embarquer son vélo à bord du train. Gratuitement même, à condition de réserver sa place.

Dix minutes de pédalage depuis la gare de Carcassonne suffisent pour arriver détrempés à notre logement. Par chance, notre terrasse couverte offre une vue splendide sur la cité médiévale. Chaque inconvénient a son avantage: le soir venu, la pluie nous permet de parcourir une ville débarrassée de ses foules. Les ruelles, lavées des touristes, nous appartiennent.

Le lendemain, le changement de décor saute aux yeux. Le paysage se fait plus méditerranéen, ponctué de cyprès et de pins, bercé par le chant frénétique des cigales. Le chemin aussi devient plus rustique, parfois non asphalté. C’est Louis XIV en personne qui ordonna la construction du canal du Midi.

L’ambitieux projet visait à relier l’Atlantique à la Méditerranée pour stimuler le commerce et éviter le dangereux contournement maritime de l’Espagne. L’ouvrage a été inauguré en 1681. Aujourd’hui encore, il grouille de vie. Nous y croisons une succession de bateaux de plaisance qui franchissent écluses et aqueducs pour sillonner l’Occitanie. Les explorateurs n’ont pas d’époque.

Jusqu’à Venise

En laissant Béziers derrière nous, une étrange sensation nous envahit. Bientôt, le canal se jettera dans la Méditerranée et notre itinéraire s’achèvera.

Il y aura forcément du soulagement dans l’air – et dans nos mollets. De la fatigue, aussi. Et une sincère tristesse de ne plus voir ces jolis paysages défiler devant nos yeux ébahis. Et puis on aura soif, parce que le soleil cogne dur.

Ce jour-là, après 25 kilomètres de bitume, la mer apparaît enfin. Elle nous accompagne sur la moitié du trajet restant, parfois dissimulée derrière les dunes. Un goût salé sur les lèvres et les jambes lestées de centaines de kilomètres, nous pénétrons dans Sète, terme de notre odyssée. Les romantiques surnomment la ville «la Venise du Languedoc» pour ses canaux et son joli port. Si jamais la Sérénissime venait à disparaître sous les eaux, il y aurait au moins une roue de secours.

Point de ligne d’arrivée ni de comité d’accueil. Mais ce soir-là, un feu d’artifice embrase la plage pour fêter, croyons-nous, notre traversée de la France. D’aucuns diront qu’il s’agit des célébrations du 14 juillet. Nous savons, nous, que les vrais aventuriers sont toujours célébrés.

En pratique


Se renseigner

Nous avons tracé nous-mêmes notre itinéraire de Bordeaux à Sète, mais il existe des agences qui organisent des séjours le long du Canal des 2 Mers. Le plus souvent, les étapes proposées sont plus courtes et ne couvrent qu’une partie du parcours.Notre périple: Bordeaux– La Réole (74 km), Agen (79 km), Montauban (80 km), Toulouse (60 km), Carcassonne (102 km), Béziers (103 km), Sète (51 km). Infos: canaldes2mersavelo.com


Se loger

Au fil du trajet, nous avons tout réservé via Airbnb, très pratique dans les petites villes où les options abordables sont limitées. La plateforme peut aussi indiquer la présence − ou non − d’un espace sécurisé pour les vélos. Nous avons toujours trouvé des adresses centrales, à deux pas des restaurants, musées et autres attractions. airbnb.be

Louer des vélos

Nos vélos ont été loués auprès de Nature Occitane. Nous avons choisi des modèles classiques, mais ils proposent aussi des vélos électriques. Chaque vélo est équipé de deux grandes sacoches et d’un petit sac de guidon avec kit de réparation. Moyennant supplément, les vélos sont livrés et récupérés directement à votre logement ou chez un partenaire local. natureoccitane.fr

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