Venise, entre flots de touristes et vague de reproches de l’Unesco
Trop de touristes, auxquels s’ajoutent les effets du réchauffement climatique: l’Unesco recommande de placer Venise sur la liste du patrimoine mondial en péril, l’Italie ayant pris des mesures « insuffisantes » pour lutter contre la détérioration du site. Qui reste toujours aussi populaire.
« La poursuite du développement de Venise, les impacts du changement climatique et le tourisme de masse menacent de causer des changements irréversibles à la valeur universelle exceptionnelle du bien », note le Centre du patrimoine mondial, une branche de l’Unesco. L’élévation du niveau de la mer et autres « phénomènes météorologiques extrêmes » liés au réchauffement climatique « menacent » l' »intégrité » du site, poursuit l’agence.
Et si le ministre italien de la Culture était à Venise lundi pour visiter son ghetto juif, le premier de l’histoire, il n’a pas commenté l’annonce de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Le maire de Venise, Luigi Brugnaro, a quant à lui fait savoir que le dialogue avec l’Unesco était du ressort du gouvernement et non de la municipalité.
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Des flux incontrôlables de touristes
L’avis du Centre du patrimoine, mis en ligne ce lundi 30 juillet, est pour l’instant indicatif. Pour que Venise intègre la liste du patrimoine en péril, il faudra l’aval des Etats membres présents à une réunion du Comité du patrimoine mondial qui se tiendra du 10 au 25 septembre à Ryad. Mais l’avis est confondant pour l’Italie, dont les mesures prises sont qualifiées d' »insuffisantes ».
A Venise, certains habitants et visiteurs ont dit comprendre l’avis du comité de l’Unesco, en particulier face au déferlement de millions de touristes dans le centre historique saturé. « C’est incontrôlable », a déclaré à l’AFP Antonio Vertotto, gondolier. Il reproche aux gouvernements successifs de n’avoir « rien » fait ces dernières années pour réduire les flux.
Pour Valmir Reznik, un Suisse de 34 ans venu visiter la ville avec sa femme, il y a incontestablement « trop de touristes ». « Nous pensions, c’est lundi, ce ne sera peut-être pas trop bondé, mais nous nous sommes trompés ».
La résolution de ces problèmes « anciens mais urgents » est « entravée par l’absence de vision stratégique commune globale » et la « faible efficacité et coordination » des autorités locales et nationales italiennes, pointe le Centre du patrimoine mondial qui estime que la ville est confrontée à « un danger avéré ». Qui espère que « cette inscription entraînera un plus grand engagement et une plus grande mobilisation des acteurs locaux, nationaux et internationaux ».
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« En 2021 déjà, on avait recommandé l’inscription sur la liste du patrimoine mondial en péril. Sans attendre, les autorités italiennes avaient annoncé l’interdiction d’accès à la lagune pour les plus gros paquebots, et nous avaient dit que pour le reste, elles allaient bien suivre les mesures » prescrites par l’Unesco, a raconté un diplomate onusien à l’AFP, espérant que l’Italie suivra l’exemple de l’Australie.
Venise, « musée à ciel ouvert »
Il y a deux ans, l’agence onusienne avait aussi menacé de placer la Grande barrière de corail, menacée par le réchauffement climatique, sur la liste du patrimoine mondial en péril. Mais après des investissements massifs récemment annoncés par Canberra pour protéger cet écosystème unique, l’Australie s’éloigne à présent de cette inscription, a-t-on appris lundi auprès de l’Unesco.
Venise, ville insulaire fondée au Ve siècle, devenue grande puissance maritime au Xe siècle, s’étend sur 118 îlots, selon l’Unesco, dont elle a intégré le Patrimoine mondial en 1987.
« Venise dans son ensemble est un extraordinaire chef-d’oeuvre architectural car même le plus petit monument renferme des oeuvres de certains des plus grands artistes du monde, tels Giorgione, Titien, le Tintoret, Véronèse et d’autres ».
Unesco
Elle est aussi l’une des villes les plus visitées au monde. En pic de fréquentation, 100.000 touristes y dorment, en plus de dizaines de milliers de visiteurs journaliers. A comparer aux quelque 50.000 habitants du centre-ville, qui ne cesse de se dépeupler.
« On est encore trop dans un tourisme de masse, et pas un tourisme durable, au détriment de la population. Venise ne doit pas se transformer en musée à ciel ouvert », commente le diplomate de l’Unesco.
Les autorités locales parlent depuis des années de mettre en place une réservation obligatoire pour les touristes, sans toutefois la mettre en application. La lagune est également vulnérable aux grandes marées qui inondent régulièrement la place Saint-Marc et fragilisent les fondations de ses édifices. Un système de digues artificielles a été construit pour limiter leur impact.
Tourisme irresponsable
En attendant, le flot de touristes, lui, ne fait pas mine de se tarir. Ashley Park, une touriste new-yorkaise de 28 ans, reconnaît qu’elle s’attendait à trouver beaucoup de monde, sans que cela gâche ses vacances. « Il est évident que si nous vivions ici avec tous ces touristes, ce ne serait pas amusant », admet-elle.
Parmi la foule amassée sur le pont historique du Rialto, Diego Nechifrovo, 23 ans, porte un T-shirt #EnjoyRespectVenezia (Profitez et respectez Venise). Le rôle de cet agent municipal est de veiller au bon comportement des touristes. « Parfois, je vois quelqu’un jeter sa cigarette ou se promener sans tee-shirt ». Le pire? Une fois, une famille « s’est assise juste devant le palais des Doges et a commencé à préparer un pique-nique ».
Il y a quelques semaines, un touriste distrait est tombé à l’eau, raconte encore M. Nechifrovo. « Il essayait de prendre une bonne photo ».
« Ne venez pas à Venise, s’il vous plaît »
Non loin de lui, un vendeur d’aquarelles affiche sur son stand une pancarte indiquant la place Saint-Marc. « C’est tout ce qu’ils veulent savoir », explique Claudio, un Vénitien d’origine qui n’a pas voulu donner son nom de famille. « Ils viennent à Venise parce que c’est Venise. C’est tout. » L’époque où les touristes visitaient et appréciaient les nombreuses églises et musées de la ville est révolue, selon lui.
« Ceux qui viennent aujourd’hui ne savent même pas ce qu’est un musée. Ce n’est pas du tourisme culturel », peste-t-il. « S’il vous plaît, ne venez plus ! »
Il y a deux ans, Venise a évité de justesse d’être inscrite par l’Unesco sur la liste des sites en péril, n’y échappant qu’après avoir interdit aux énormes navires de croisière de passer devant le centre.
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Les autorités locales parlent depuis des années de mettre en place une réservation obligatoire pour les touristes, sans toutefois la mettre en application. Le projet est reporté jusqu’en 2024, les autorités craignant qu’un tel système, contraignant, ne grève les recettes touristiques et gêne les flux. Sur la place Saint-Marc, Lorenzo Seano, employé municipal de 21 ans, s’efforce d’empêcher les touristes de s’asseoir sur les marches des arcades qui l’entourent.
Selon lui, le problème de l’invasion des villes par un trop grand nombre de touristes dépasse largement le cadre de Venise, mais aucun gouvernement n’a essayé de s’attaquer au problème « à un niveau structurel ». « Après tout, il y a beaucoup d’argent qui rentre », souffle-t-il.
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