De Vienne à Trieste, récit d’une fantastique épopée sur rails

train SudBahn montagne
© Sander Groen

Pionnière de l’histoire du chemin de fer, la Südbahn reliant Vienne à Trieste arbore un passé glorieux et déploie de splendides paysages alpins qui lui ont valu d’être nommée au Patrimoine mondial de l’Unesco. En voiture!

L’élégant auvent de verre du Südbahnhotel a vu passer tout le gratin européen, de Freud, Klimt, Loos, Moser et Mahler à des empereurs, des rois et toute la cohorte du gotha. Dès le soleil couché, le champagne coule à flots, tandis qu’au restaurant, le repas se savoure au son d’un quatuor à cordes.

Connu comme l’hôtel le plus exclusif de l’empire des Habsbourg, le Südbahnhotel a beau avoir été construit en 1882, il n’a rien perdu de son attrait – au contraire. Après tout, n’a-t-il pas servi d’inspiration au cinéaste Wes Anderson pour son Grand Budapest Hotel?

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L’hôtel aux bois dormants

Dès son inauguration, l’établissement fait figure de merveille du luxe moderne: les chambres sont équipées d’électricité, du chauffage central et de salles de bains avec eau courante. L’hôtel dispose d’un bureau télégraphique, d’un salon de coiffure et d’une piscine chauffée.

Le Südbahnhotel à Semmering a fermé ses portes en 1976 et devrait rouvrir en 2025 comme hôtel de luxe.
Le Südbahnhotel à Semmering a fermé ses portes en 1976 et devrait rouvrir en 2025 comme hôtel de luxe. © Sander Groen

Sissi y séjourne pour une «cure de repos» et passe le plus clair de son séjour sur la terrasse ensoleillée. Rapidement, engouement oblige, l’hôtel devient trop étroit et un nouveau bâtiment principal est construit avec salons, salles de bal, bibliothèque, cinéma et bierstube (bar à bières). Le nombre de chambres passe de 60 à 350, sans rien sacrifier en charme. Avec sa façade ocre à colombages, ses balcons, son toit de tuiles vertes et ses tourelles, le «grand hôtel» a alors tout du château de conte de fées.

Deux siècles plus tard, les grooms d’antan ont disparu, et le Südbahnhotel est désert. Ses hautes fenêtres sont sales, son crépi est endommagé, et des lettres se détachent de la façade – tout ce qui reste de «SÜDBAHN-HOTEL» est «HOTE» et un demi-L. Le vaste jardin, où l’on pouvait autrefois jouer au golf, au tennis, patiner, skier et faire du bobsleigh, appartient lui aussi au passé, les touristes ayant progressivement délaissé l’établissement dans les années 50, poussant ses propriétaires à mettre la clé sous la porte (en chêne massif) au mitan des années 70. Circulez, y’a rien à voir? Pas si vite: sous l’impulsion d’un nouvel hôte, l’établissement, promis à un séduisant mélange d’ambiance nostalgique et de confort moderne, devrait rouvrir dès 2025.

Neuf heures de bonheur sur les rails du Südbahn

Mais en attendant, pas question de bouder la région pour autant. C’est que le Südbahnhotel de Semmering doit son existence à une autre merveille du monde: le Südbahn ou «chemin de fer du Sud», construit au milieu du XIXe siècle pour relier la capitale au principal port de la double monarchie d’Autriche-Hongrie.

© National

Un chemin de fer spectaculaire qui n’a jamais été fermé ; au contraire, c’est le deuxième plus fréquenté d’Autriche. Et pour la première fois en plusieurs décennies, depuis 2021, un train direct quotidien circule à nouveau sur l’ensemble de l’itinéraire, de Vienne à Trieste en passant par Graz et Ljubljana – un voyage de neuf heures sur le plus ancien chemin de fer de montagne du monde.

Avec une ponctualité toute germanique, le train se met en marche à l’heure dite, et très vite, la banlieue viennoise disparaît, laissant place aux Alpes… et aux joies de la montagne: en vingt-cinq kilomètres seulement, on grimpe cinq cents mètres de dénivelé. Une heure après le départ, une fois passé Gloggnitz, le train ralentit et la voie commence à serpenter. Ce tronçon de la Südbahn dure trois quarts d’heure et est si spectaculaire qu’il est souvent cité comme le plus beau voyage en train d’Autriche…

Le ‘20-Schilling-Blick’ offre une vue imprenable sur le Semmeringbahn et ornait autrefois un billet de banque autrichien.
Le ‘20-Schilling-Blick’ offre une vue imprenable sur le Semmeringbahn et ornait autrefois un billet de banque autrichien. © Sander Groen

Que la montagne est belle

L’empire d’Autriche s’étendait encore jusqu’au bord de la mer lorsque la Südbahn a été construite. Le chemin de fer reliait alors Vienne à la ville portuaire de Trieste, en passant par un magnifique panorama alpin. Dès la pose des rails, Semmering est passé de paisible hameau alpin à luftkurort (village reconnu pour son air pur) glamour, avec resorts, piscines, remontées mécaniques et casino – de quoi en faire le lieu de villégiature préféré des Viennois fortunés. Aujourd’hui, Semmering semble figé dans le temps, agglomération d’hôtels, de villas et autres maisons de vacances plutôt que véritable village, ce qui ne l’a pas empêché de donner son nom à la Semmeringbahn.

Au Südbahnmuseum de Mürzzuschlag, une attention particulière est accordée à Carl Ritter von Ghega, responsable ferroviaire de l’empire des Habsbourg, ainsi que d’une série d’innovations toujours utilisées aujourd’hui pour les chemins de fer de montagne. En 1854, le premier train circula entre Gloggnitz et Mürzzuschlag, à travers 14 tunnels, 16 viaducs, 11 ponts en fer et 118 ponts en arc de pierre. Longue de 41 kilomètres, la Semmeringbahn ne comporte pratiquement aucune section droite: vue du ciel, elle ressemble à un enchevêtrement de serpentins sinueux. Il va sans dire qu’elle a amplement mérité son inscription, en 1998, sur la liste du patrimoine mondial en tant que toute première ligne de chemin de fer…

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De Prague à Dubrovnik

Si la Semmeringbahn est le tronçon le plus raide et le plus spectaculaire, cela ne signifie pas que le reste du Südbahn est ennuyeux pour autant. Après le tunnel de Semmering, les serpentins se déroulent et le voyage s’accélère, alternant entre sommets et prairies vallonnées parsemées de chalets en bois et de vaches rousses, tandis que çà et là, un châtelet ou une chapelle joue les équilibristes au sommet d’une montagne. Arrivés à Kapfenberg, nous reprenons la voie rapide et, à partir de Bruck, les rails suivent la rivière Mur en passant par Graz, la deuxième ville d’Autriche.

Au temps de sa splendeur, l’empire des Habsbourg s’étendait des frontières allemande et suisse à Prague, en Bohême, en passant par les Carpates, la Transylvanie, l’Adriatique et la côte dalmate jusqu’à Dubrovnik. Aujourd’hui, l’Autriche s’arrête au village viticole de Spielfeld, qui compte moins d’un millier d’habitants. C’est là que la Südbahn traverse la frontière en direction du sud, glissant comme un serpent électrique à travers un paysage de champs de maïs, de tournesols, de pommiers et de vignobles. A première vue, la Slovénie ne diffère guère de l’Autriche, à l’exception des noms, indubitablement slaves: l’ancienne Zirknitz s’appelle aujourd’hui Cirknica, Pössnitz est devenue Pesnica et Marburg est Maribor.

Le Grand Canal de Trieste n’a, en termes de grandeur, rien à envier à celui de sa voisine Venise. © Sander Groen

Par-delà les villes et les vallées

Maribor a beau être la deuxième ville de Slovénie, elle compte à peine cent mille habitants, qui résident à l’ombre de son centre médiéval dont les beaux bâtiments aux tons pastel ornés de toits de tuiles rouges et de tours de guet dodues donnent sur la Drava.

Comme il est impossible de descendre à toutes les stations, on lui préfère toutefois Ljubljana, la capitale, comme escale. A l’heure du déjeuner, la voiture-restaurant est le théâtre d’un va-et-vient de passagers qui s’installent à une table, étudient le menu et repartent lorsqu’il s’avère que le service est lacunaire – le serveur semble en effet préférer discuter bruyamment avec un client au buffet plutôt que de prendre les commandes. Finalement, on nous sert un sandwich au bacon et au jambon arrosé d’une bière blonde brassée à Lasko… qui figure parmi les étapes du périple.

Le train a beau être plus lent et grincer, craquer et vaciller beaucoup plus qu’avant la frontière, la partie slovène du voyage n’a rien à envier à la partie autrichienne. Depuis Zidani Most, anciennement connue sous le nom de Steinbrück, la ligne suit la vallée étroite et profonde de la Save, le plus grand affluent du Danube. Montagnes vertes, roches grises, forêts de feuillus bruissantes, villages pittoresques aux églises baroques, maisons de vacances sur les rives du fleuve et rapides bouillonnants se succèdent. Ce n’est que peu avant l’arrivée à Ljubljana que le paysage devient urbain, la capitale slovène étant entourée d’un écrin de nature, dans l’une des plus belles régions d’Europe centrale.

Vue sur le centre historique et le château médiéval de Ljubljana.
Vue sur le centre historique et le château médiéval de Ljubljana. © Sander Groen

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Le château de conte de fées de Sissi

Juste avant le terminus de Trieste, le train passe devant un château de conte de fées dont Disney pourrait s’inspirer. Le palais de Miramare date de la même époque que le Südbahn et servait alors de résidence d’été à l’archiduc Maximilien de Habsbourg et à son épouse, la princesse belge Charlotte.

Dressé sur une pointe rocheuse dans le golfe de Trieste, il compte vingt pièces et un jardin qui s’étend sur 22 hectares. Après l’assassinat de Maximilien, Charlotte retourna en Belgique et c’est l’impératrice Elisabeth qui prit ses quartiers à Miramare, où un monument dédié à «Elisabetta» trône toujours dans le parc.

Jadis port stratégique des Habsbourg, Trieste se trouve aujourd’hui dans l’extrême nord-est de l’Italie. C’est la capitale du Frioul-Vénétie Julienne, la région la moins visitée de la Botte, ce qui est curieux car Trieste est belle comme un tableau baroque.

Le Grand Canal, la Riva et la Piazza Unità d’Italia sont flanqués de grandioses maisons de marchands, d’églises et de palazzi spectaculaires. Grâce à la nouvelle ligne quotidienne EuroCity, on peut s’y rendre sans escale en neuf heures seulement, mais il serait dommage de se priver: après tout, comme Sissi elle-même le disait, «ce ne sont pas les destinations que j’aime, mais les voyages». Et à bord de la Südbahn, le voyage est une destination en soi.

Le palais de Miramare servait de résidence d’été à l’archiduc Maximilien et à son épouse, la princesse belge Charlotte.
Le palais de Miramare servait de résidence d’été à l’archiduc Maximilien et à son épouse, la princesse belge Charlotte. © Sander Groen

En pratique

A l’aller:

Prenez le Nightjet en soirée à Bruxelles (ou à Liège) et débarquez au réveil à Vienne. Départs trois fois par semaine (tous les jours à partir de 2024). Comptez 14 heures de voyage. Dès 30 euros le siège, 50 euros la couchette et 90 euros le lit.

nightjet.com

Voyage en train:

Le train direct EuroCity entre Vienne et Trieste circule une fois par jour dans les deux sens. Le train EC 151/134 part de Wien Hauptbahnhof à 07 h 58 et arrive à Trieste Centrale à 16 h 52. Le EC 135/150 part de Trieste à 13 h 03 et arrive à Vienne à 22 h 02. La réservation d’une place attribuée coûte 3 euros supplémentaires et n’est pas obligatoire pour ce train, mais elle est recommandée. Durée totale du voyage: 9 heures. Aller simple dès 30 euros.

oebb.at

Escales:

Ceux qui, comme l’impératrice Elisabeth, souhaitent s’arrêter en cours de route, ont le choix entre 27 gares, dont celles de Semmering, Graz, Maribor, Ljubljana, Zidani Most et Pivka. L’Autriche et la Slovénie disposent de trains express et locaux fréquents sur des trajets plus courts, mais attention: sur le dernier tronçon, de Villa Opicina à Trieste, il n’y a que trois trains par jour.

Plus d’infos: wien.info, wieneralpen.at, semmering.at, visitljubljana.com, turismofvg.it

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