On a voyagé à bord de l’Orient-Express

Orient Express voyage train slow tourisme
Orient Express, un voyage de légende

Il y a 140 ans, l’Orient-Express déboulait sur les chemins de fer européens. Nous sommes montés à bord de cet engin mythique et, le temps d’une escapade de 23 heures entre Vienne et Paris, nous y avons rencontré de truculents passagers tout droit sortis d’un roman d’Agatha Christie.

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Orient Express, un voyage de légende

PROLOGUE

«Vous voyagez avec nous?», nous lance l’hôtesse dans l’air froid de décembre, en faisant de son mieux pour ne pas avoir l’air trop surprise par l’homme dans la vingtaine qui se tient devant elle. Derrière, un groupe de musiciens accueille les premiers passagers du train bleu sur le quai. La demoiselle prend en charge les bagages déposés par le chauffeur venu chercher le Journaliste à son hôtel et remet à ce dernier quelques documents. «Vous logerez dans la cabine C5, monsieur, ajoute-t-elle avec un large sourire. Notre cheffe de train vous attend.»

L’Orient-Express a été officiellement inauguré en 1883, partant pour un voyage de 76 heures de Paris à Giurgewo en Roumanie – la connexion avec Istanbul devait alors être achevée. Le célèbre train de luxe était le rêve de l’ingénieur belge Georges Nagelmackers, qui voulait s’inspirer des trains longue distance qu’il avait vus aux Etats-Unis. Quelque 140 ans plus tard, l’engin roule toujours, ou plutôt, il roule à nouveau. Dans les années 80, la société britannique Belmond décidait de restaurer les voitures historiques de plusieurs trains des années1920 et 1930 sous le nom de Venice Simplon-Orient-Express. Le voyage de Vienne à Paris est la dernière nouveauté en date.

Le Journaliste longe le train jusqu’à sa voiture-lit. A chaque pas, il semble remonter dans le temps d’une année.

© GF / BELMOND

CHAPITRE 1: « Une nuit en maison close »

L’uniforme bleu de la cheffe de train semble un brin trop grand pour son corps frêle, ce qui a le don de la rendre étrangement sympathique. La Bulgare, qui se présente comme Reni, guide le Journaliste dans l’étroit couloir de la voiture-lit 3544. Tout ressemble à ce qui est décrit dans Le Crime de l’Orient-Express, mythique enquête d’Agatha Christie où voyage l’inévitable Hercule Poirot. Le Journaliste s’installe sur la banquette verte Art déco et ausculte les murs en bois du wagon peints de motifs floraux décoratifs. Son sac contemporain, posé sur le porte-bagages, lui semble être un délicat anachronisme.

Le wagon dans lequel il va passer la nuit est riche d’un passé mouvementé. Avant d’intégrer le Venice Simplon-Orient-Express, il a fait partie du Pyrénées Côte d’Argent Express et du Train Bleu, qui emmenaient les passagers fortunés jusqu’aux côtes françaises dans les années 1920. Il a ensuite été entreposé à Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale, puis il a servi de maison close. En 1946, le wagon a été restauré pour retrouver sa gloire d’antan, intégrer le train royal néerlandais et, enfin, retrouver le Train Bleu.

«Je vous sers un peu de champagne?», demande Reni avec son sourire franc. Elle désigne la bouteille fraîche posée sur la petite table pliante près de la fenêtre. Avec une certaine gêne, le Journaliste acquiesce poliment. Il est moins habitué à ce genre de luxe que les autres invités à bord. «Dans un instant, le maître du restaurant va venir s’occuper de votre réservation pour le déjeuner. Si je peux vous être utile, vous n’aurez qu’à appuyer sur cette sonnette.»

Il est un peu plus de 2 heures lorsque le train quitte la gare de Vienne pour s’en aller glisser vers Paris à travers les paysages enneigés.

© GF / BELMOND

CHAPITRE 2: « L’élégance des jumeaux »

Dans un coin de la voiture-restaurant, un homme et une femme discutent. En gesticulant à outrance, la dame manque de renverser son verre de champagne. L’homme écoute avec indulgence, caressant de temps en temps sa moustache soigneusement taillée. Ce qui les distingue des autres invités? Leurs tenues assorties dans la même teinte mauve. En l’absence d’informations sur ce tandem, la meilleure hypothèse est qu’il s’agit de jumeaux.

Un Italien en costume blanc brise le calme observateur du Journaliste. «Un apéritif, monsieur?» Selon son badge, il s’appelle Manuel. «Vous ne devez pas prendre la route aujourd’hui, n’est-ce pas?» Satisfait de sa boutade, il présente le menu du chef Michelin Jean Imbert, en soulignant qu’il est possible de communiquer des demandes spéciales. «Nous ferons tout pour vous garantir une expérience des plus agréables.» Au menu ce midi-là: coquilles Saint-Jacques au chou-fleur et à la truffe noire, canard rôti à l’orange et baba au rhum aux fruits exotiques. L’alcool coule également à flots: toutes les boissons, à quelques exceptions près, sont comprises dans le voyage. Seules les commandes du bar font l’objet d’un supplément: cocktails rafraîchissants ou bouteilles dont le prix peut atteindre 4 000 euros. Parfois, on se croirait au cœur des années folles.

Après le repas, le Journaliste retrouve les Jumeaux dans le wagon-bar adjacent. Ils échangent avec deux hommes installés en face d’eux sur les sièges zébrés bleu et blanc. En peu de temps, le Journaliste arrive à une nouvelle déduction: ce n’est pas le partage d’un utérus qui relie les Jumeaux, mais bien un livret de mariage. Le couple londonien – lui: éditeur, elle: responsable des relations publiques – explique qu’un voyage à bord du Venice Simplon-Orient-Express figurait depuis longtemps sur sa liste de souhaits. «Nous sommes arrivés à un moment de notre vie où nous savons ce que nous voulons faire avec notre argent. Nous voulons en profiter tant que nous sommes encore jeunes», précise la dame sans s’éterniser sur son âge.

«Nous baignons dans le luxe», s’empresse d’ajouter un homme chauve depuis l’autre bout du wagon. Un hôtelier londonien qui, avec son épouse russe et «desperate housewife» autoproclamée, veut être de toutes les expériences. «C’est une passion, explique celui qui a aussi volé en Concorde. C’est un voyage dans le temps. Il suffit de regarder les détails, du mobilier au plafond. Un tel voyage rapproche les gens. C’est pour ça que j’ai engagé la conversation avec eux, leur style est fabulous!»

© GF / BELMOND

Impossible, ici, d’être «trop» bien sapé. Pendant la journée, une tenue élégante est de mise. Jeans, shorts, tee-shirts et joggings sont ainsi interdits à bord. Pendant le dîner, costumes et tenues de soirée sont exigés. Le guide offert aux visiteurs le stipule clairement: «Par respect pour les autres voyageurs, les passagers habillés de manière inappropriée seront priés d’emporter leur nourriture ou leurs boissons dans leur cabine.»

La Jumelle passe au crible la chemise et le pantalon en velours du Journaliste, puis lui demande: «Tu porteras autre chose ce soir, n’est-ce pas?» Certains passagers sont morts pour moins que ça à bord de ce train.

CHAPITRE 3: « Un singe à bord »

20 heures. Après s’être reposé et avoir dégusté un thé dans l’après-midi, le Journaliste retourne s’imprégner de l’effervescence régnant à bord du wagon-bar, cette fois en costume et nœud papillon. Le cocktail proposé, à base de champagne, liqueur de cerise, campari et zeste de citron, se marie à la perfection avec le concert d’un jeune pianiste qui caresse avec panache le clavier noir et blanc. Le train s’arrête brièvement en gare de Kufstein, dans le Tyrol. Sur le quai, deux hommes attendent dans le froid glacial sur un banc, le dos tourné à ce train bleu où se réveillent les années 1920.

En entrant au Côte d’Azur, la deuxième voiture-restaurant du train, le Journaliste remarque une famille peu habituelle. Deux dames d’une soixantaine d’années sont attablées avec deux singes en peluche. «Browny et Twinkles ont déjà visité les sept continents, s’amusent les deux frangines du New Jersey. Nous n’avons ni conjoint ni enfant, alors ils nous tiennent compagnie.» Les singes, immobiles, portent une tenue adaptée: costume et robe de cocktail rouge.

© GF / BELMOND

Les Sœurs rêvent de voyager à bord de l’Orient-Express depuis leur plus jeune âge. «Nous en sommes à notre troisième tentative. La première fois, c’est tombé à l’eau à cause d’une grève, puis le Brexit a mis des bâtons dans nos roues. Cette fois, tout est parfait: la nourriture et le décor sont à tomber, et le personnel est tellement sympathique. Nous avons déjà envie de réitérer l’expérience avec des amis.»

De retour à sa table, le Journaliste remarque que son verre a été rempli par un serveur attentif. Plus de la moitié de son sang doit désormais être composée de Veuve Clicquot. Un menu 4 services devrait rétablir l’équilibre: huîtres au sabayon et à la pomme verte, poulet de Bresse à la châtaigne, au potiron et à la canneberge, plateau de fromages et dessert au chocolat blanc, au café et à la noisette.

«Tout était à votre goût?» demande Mario, le maître du restaurant. L’Italien avait 8 ans lorsqu’il a vu le train pour la première fois en gare de Venise. «Je me souviens que mon père m’a dit «regarde mon garçon, c’est le train des rois». Aujourd’hui, je suis convaincu que c’est le roi des trains.»

C’est une passion, plus qu’un travail, de s’assurer que les voyageurs vivent la meilleure expérience possible, poursuit Mario. «J’ai grandi dans une famille où bien manger était crucial. Cela fait maintenant quinze ans que je travaille ici. On ne peut nier la magie du train. Un de nos clients a déjà voyagé avec nous plus de quatre-vingts fois. Il choisit toujours la meilleure chambre.»

Le Journaliste tente de calculer combien d’argent cela représente, tout en marchant vers sa cabine. Au bar, résonne le rire de la Jumelle, tandis qu’elle pose sa main sur le piano et que l’Italien entonne Bella Ciao.

© GF / BELMOND / BOBY ALLIN

CHAPITRE 4: « Quelqu’un a dit champagne? »

Le Journaliste a remarquablement bien dormi dans le lit superposé qu’est devenu le canapé vert de son compartiment. Dehors, il faisait encore nuit quand il a ouvert les rideaux. Pour profiter au maximum de la vue, il aurait peut-être été plus judicieux de voyager en été. A 7 h 15, Reni frappe à la porte de la cabine, puis elle réorganise tout pour le petit-déjeuner.

En déambulant dans le train, le Journaliste réfléchit aux personnages qu’il a rencontrés. De la Famille espagnole qui a réservé deux grandes suites – soit 20 000 euros par nuit – aux deux Infirmiers de Chicago qui ont célébré ici leur 25e anniversaire de mariage. Les mots du Mannequin néerlandais ayant organisé un shooting de mode à bord résonnent également dans sa tête. Cela en se disant qu’il n’est pas forcément à sa place dans tout ce luxe évident pour les autres voyageurs.

La voix d’un accompagnateur de train résonne dans l’interphone. Deux heures de retard sont à prévoir en raison des restrictions de vitesse en Suisse et en France à cause du froid. Un brunch au champagne est offert pour passer le temps: œuf brouillé au caviar, risotto au saumon fumé et poire pochée au chocolat. Les convives du Côte d’Azur sont ravis. Les Sœurs aux Singes ont laissé leurs protégés dans leur cabine pour profiter du repas improvisé. Browny et Twinkles sont probablement encore au lit à cuver leur cuite de la veille.

ÉPILOGUE

Il est un peu moins de 13 heures lorsqu’un train bleu entre en gare de Paris-Bercy. Finalement, même un voyage dans le temps de plus de cent ans s’avère prendre moins de vingt-quatre heures.

Alors qu’un homme remonte le quai dans l’air glacial de décembre, des Infirmiers, des Jumeaux, un Mannequin, un Hôtelier et une Desperate Housewife descendent du Venice Simplon-Orient-Express, salués par le personnel en uniforme bleu. Ses bagages à la main, un Journaliste belge entre dans le XXIe siècle. Derrière lui, toujours majestueux, le train des rois se prépare déjà à accueillir de nouveaux hôtes. Ou devrait-on dire le roi des trains?

En pratique

– Une cabine double à bord du Venise Simplon-Orient-Express entre Vienne et Paris (une nuit) coûte à partir de 4 300 euros par personne (repas inclus). Pour une grande suite, compter environ 11 300 euros. Le train assure plusieurs autres liaisons à travers l’Europe, comme de Paris à Istanbul, de Venise à Bruxelles ou de Londres à Budapest. D’ici fin 2023, il traversera également les Alpes françaises. belmond.com

– Nous avons voyagé avec l’ÖBB Nightjet jusqu’à Vienne, via l’Office de tourisme autrichien. Nous sommes ensuite revenus en douceur en Belgique avec le Thalys.

austria.info/fr, b-europe.com, thalys.com

Lire aussi: notre article sur la renaissance de l’Orient-Express.

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