La grande vadrouille: six mois en camping car sur les routes d’Europe
Pendant six mois, Gilles et Camille ont fait un pied de nez à la pandémie en s’aventurant sur les routes d’Europe. Objectif: découvrir à quoi ressemble vraiment la très en vogue « van life » en compagnie de leur fidèle Charlie, un camping-car façonné de leurs mains.
Les présentations s’imposent. Lui, c’est Gilles, 26 ans, diplômé en sciences de la population et du développement, ainsi qu’en communication digitale à l’UCL. Elle, c’est Camille, 26 ans également et psychologue de formation. Au milieu de tout cela, il y a Charlie, un Hymer B564 de 30 ans d’âge. On ne va pas se mentir, il n’est pas très sexy, ce camping-car.
Acheté en 2018 par Gilles qui l’utilise comme kot de fortune dans un parking de Louvain-la-Neuve pendant un an, il baigne un peu dans son jus, avec sa vieille moquette et ses rideaux en velours. Jusqu’au jour où le jeune couple décide de lui refaire une beauté à coups de marteaux et de pinceaux.
Du kot au bitume
« L’idée avec Charlie, c’était de le rendre le plus autonome possible pour qu’on puisse vraiment partir à l’aventure sans se tracasser. Les points les plus importants, ce sont l’électricité et l’eau. Du coup, on a refait tout le système électrique, alimenté grâce à des panneaux solaires sur le toit du van. On a aussi installé un bac pouvant contenir jusqu’à 120 litres d’eau, ainsi qu’un filtre pour la rendre potable. Puis on a alimenté le véhicule en gaz et en GPL pour les taques, etc. Bien sûr, à côté de cela, on a remis l’intérieur au goût du jour, notamment en changeant le sol ou en repeignant les toilettes. On a fait de Charlie notre petite maison roulante. »
Pendant les mois qui précèdent le grand départ, plein de petits travaux sont effectués. Et pour tester la résistance de Charlie, le tandem s’offre quelques escapades en Europe. « On est partis dans les Dolomites ou en Slovénie avec des amis. En y repensant, on se rend compte qu’on a un peu malmené Charlie. On devait être six ou sept à bord, c’était un peu sauvage. Mais c’était génial, et ça nous a permis de nous rendre compte de ce qui était essentiel ou non niveau matériel et infrastructures. »
L’Europe est à eux
Puis le vrai départ est arrivé. « Le plan a toujours été de partir en septembre 2020. Nos deux contrats de travail se terminaient et on voulait utiliser cette liberté pour voyager avec Charlie en Europe pendant six mois. Par chance, la situation sanitaire de l’époque était relativement calme, ce qui nous a permis de démarrer l’esprit tranquille. » La plus grosse contrainte est plutôt d’ordre… météorologique. La vie en van, ce n’est pas vraiment de l’air conditionné ou du chauffage à volonté. Quand l’automne arrive puis que l’hiver prend le relais, il faut donc faire des choix pertinents. A l’image des oiseaux migrateurs s’envolant vers le Sud pour y chercher des températures clémentes, les amoureux prennent la direction du sud du continent…
« On savait qu’un départ en septembre conditionnerait le voyage. On a donc cherché le soleil, à la fois pour pouvoir sortir la tête du van – qui reste malgré tout un lieu exigu -, et pour économiser notre électricité, car il était hors de question de tomber en rade au milieu de nulle part! Cela dit, on n’avait pas spécialement d’itinéraire précis, mais plutôt plein d’envies. On voulait découvrir la Corse, qui s’est révélée un vrai coup de coeur et où l’on a fini par rester trois semaines. Puis on est partis du côté de l’Espagne et du Portugal. On aurait adoré rejoindre le Maroc, mais la situation sanitaire nous a empêchés de traverser la frontière. On s’est donc redirigés vers les Balkans, qui étaient sur la liste de nos souhaits. »
S’adapter vaille que vaille
Quand la deuxième puis la troisième vague frappent l’Europe, les baroudeurs ne paniquent pas et gardent leur ligne de conduite… tout en restant eux-mêmes très prudents. Par monts et par vaux, ils passent à chaque fois entre les mailles du filet des restrictions sanitaires. « C’est clair qu’on a eu énormément de chance. Mais le fait d’être en van nous permettait d’être très libres dans nos plans et de nous adapter constamment aux normes de sécurité de chaque pays. Parfois on a eu chaud, notamment en quittant la Corse pile au moment où Emmanuel Macron annonçait le second confinement. Pareil pour le Portugal, qui était un peu le fief de la communauté « van life » pendant la pandémie: une loi régulant le camping sauvage et le stationnement des camping-cars est entrée en vigueur alors qu’on s’apprêtait à partir. Quant à l’Italie, on a dû la traverser d’une traite pour rejoindre les Balkans! »
Les contraintes « sociales » ne sont pas toujours trop difficiles à respecter. Il faut dire que Camille et Gilles ne croisent pas forcément beaucoup de monde durant leur longue épopée. « On était dans notre bulle. D’un côté, c’est clair que visiter des villes complètement vides, ça perdait un peu de son charme. Mais d’un autre côté, on s’est aussi retrouvés seuls dans des endroits incroyables et juste magnifiques. Par exemple à Meteora, en Grèce, qui est souvent bondé et dont on a pu profiter tranquillement. On a eu l’impression que cette vallée, pleine de monastères posés sur des rochers, avait été mise là rien que pour nous. C’était complètement fou. »
Chi va piano, va sano
Même si Charlie a subi un sacré lifting après ses trois décennies d’existence, cela ne l’empêche pas d’être un peu fatigué. Il ne dépasse pas les 20 km/h en montée, fait beaucoup de bruit et roule doucement. Il a aussi besoin de consulter un garagiste de temps en temps. Aucun souci: cela permet à Gilles, derrière le volant, et à Camille, guitare à la main, de vivre à un autre rythme. De reprendre le temps, suspendus à tous les petits moments qui n’appartiennent qu’à eux.
« Au début, on voulait faire mille choses. On se disait qu’on allait faire telle activité le matin, enchaîner avec telle autre l’après-midi, puis courir choper le coucher de soleil à un endroit encore différent. Sauf qu’en van, tout prend beaucoup plus de temps. Cela crée donc de la frustration, et une sensation de ne pas rentabiliser le voyage à fond. Du coup, quand il faisait moins beau un jour et qu’on avait envie de traîner dans Charlie, on se sentait presque coupables. Mais on s’est vite rendu compte qu’on devait changer notre vision des choses. Car on faisait justement ce voyage pour échapper à cette injonction de toujours faire plus, plus vite et de remplir nos journées à fond. Alors on a décidé de suivre le flow et de nous écouter. C’est l’un des avantages du voyage en van: comme on transporte tout avec nous, on ne dépend de rien ni de personne. Quand on comprend cela, c’est beaucoup plus facile de se laisser porter… »
Loin des clichés Instagram
Oui, la « van life » est tendance et elle fait rêver. Mais attention: les jolies images qu’on absorbe sur les réseaux sociaux ont tendance à légèrement édulcorer la réalité du terrain. « Certes, ce style de voyage permet d’être libre, de sortir des sentiers battus et de s’immerger dans la nature. Mais ce n’est pas toujours aussi glamour que ça en a l’air! On pense aux douches avec deux minutes d’eau chaude ou aux innombrables pépins techniques avec Charlie. Mais aussi au temps nécessaire pour cuisiner avec des ustensiles rudimentaires, ou pour ranger le van dix fois par jour, parce que dès qu’on se déplace, tout doit être bien fixé. Et puis, il ne faut pas croire: c’est un mode de transport relativement fatiguant, car on est souvent en déplacement. »
Gilles et Camille ont volontairement opté pour le mouvement: « Certains voyageurs misent sur des étapes plus longues et décident de s’installer pour de longues journées. Nous, on restait maximum deux nuits sur un spot, puis on passait au suivant. Mentalement, ce n’est pas toujours évident, car on se demande constamment où on va dormir le lendemain, si on a assez d’eau en stock, à quel niveau se trouve notre bouteille de gaz, si on a assez d’ensoleillement pour les panneaux, etc. Bref, la « van life », ça a ses bons et ses mauvais côtés. Après, nous, on a accepté toutes les règles du jeu en se disant que ça faisait partie de l’aventure! »
Fin de parenthèse
196 jours, 133 étapes, 11 pays visités et pas loin de 13.500 kilomètres parcourus plus tard, Gilles et Camille décident de ramener Charlie en Belgique, des souvenirs plein la tête et plus liés que jamais. « On est rentrés dix jours plus tôt que prévu, sans le dire à personne. Pour bichonner Charlie, mais aussi nous laisser le temps d’atterrir et de vraiment fermer cette parenthèse. On n’a pas spécialement de nostalgie, ni de sentiment de spleen profond, parce que le projet a toujours été de partir six mois. On a eu tellement de chance de pouvoir réaliser tout ça qu’on ne peut rien regretter. On est juste reconnaissants, mais également heureux de retrouver nos familles et amis. Et puis, on a retiré plein de choses positives de cette expérience. Cela a renforcé notre couple terriblement, on a appris à mieux nous écouter et à suivre nos envies, en arrêtant de foncer et courir après le temps. »
La suite? Elle n’est pas encore écrite, affirment Camille et Gilles. « On n’a pas vraiment de projet précis. L’important pour nous, c’est d’abord de bien digérer celui-ci. Puis on verra. C’est sûr qu’après avoir vécu six mois dans Charlie, c’est clairement devenu notre seconde maison, et c’est très chouette de se dire qu’il est toujours là, qu’on peut partir en vadrouille quand on veut, pour un week-end ou un voyage plus long. Mais comme on a appris à profiter du moment présent, on attend de voir où le vent nous mènera… »
Pour aller plus loin p>
En ce qui nous concerne, Camille et Gilles ont définitivement titillé nos envies de partir à l’aventure, que ce soit en Europe ou au bout du monde. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe déjà une copieuse littérature sur le sujet. Un bouquin coup de coeur? Il vient de sortir et il a été rédigé par Tifenn Butel et Kevin Laurent, le couple de baroudeurs qui, depuis 2016, se cache derrière le compte Instagram @three_vanlifers. Un guide qui regorge de bons plans pour se lancer en toute sérénité: conseils d’aménagement du van, partage d’itinéraires, hygiène en road-trip… et une tonne d’autres trucs et astuces. Parce que bizarrement, rien de tout cela ne s’improvise vraiment. p>
- Voyager en van, le guide indispensable pour partir seul ou en famille, par Tifenn Butel et Kevin Laurent, Jouvence, 256 pages.
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