La Tchéquie, paradis thermal

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D’illustres curistes y ont défilé, comme Goethe, Beethoven ou Casanova. Le triangle thermal de Bohême a ensuite perdu de sa superbe au siècle dernier… avant de renaître de plus belle. Pour preuve, cette petite escapade en train parmi les bains les plus réputés de République tchèque.

Des milliers de minuscules bulles d’air s’accrochent à la peau et au duvet recouvrant les bras et les jambes. Le moindre mouvement du corps fait pétiller la surface du bain. Chaque minute, le derme absorbe environ cinquante millilitres de gaz carbonique, ce qui accélère la circulation sanguine, abaisse la tension et accroît la capacité pulmonaire. Le système immunitaire se renforce, les nerfs s’apaisent, et le risque de maladie cardiovasculaire s’atténue. Il se murmure même que l’eau thermale aurait des vertus sur l’énergie sexuelle masculine: d’après le docteur du lieu, ce bain carbogazeux serait plus efficace qu’une petite pilule bleue…

Une heure plus tard, place à l’hydromassage. Un puissant jet d’eau qui parcourt les muscles du dos, de la nuque, des jambes et du fessier. «Demain, vous serez völlig kaputt – complètement cassé», avertit la masseuse. Et la journée n’est pas finie. L’infirmière en chef – l’Oberschwester, comme on l’appelle ici – a préparé un bain de paraffine où l’on plonge les mains à trois reprises dans la cire fondue avant de les envelopper de bandages. Quand le produit solidifié est retiré un quart d’heure plus tard, la peau est douce comme celle d’un bébé. Mieux que n’importe quelle crème hydratante. A la sortie, alors que les résultats sont saisissants sur le corps et l’esprit, l’addition est presque trop belle que pour être vraie: cette demi-journée de traitements salutaires a coûté moins de 30 euros. Une paille pour cette cure «à l’ancienne» qui reste l’une des préférées des visiteurs des thermes de Bohême, même si des approches plus modernes complètent aujourd’hui le menu.

La salle de bains du roi Edouard VII de l’hôtel-spa Nove Lazne... à louer pour 25 euros l’heure.
La salle de bains du roi Edouard VII de l’hôtel-spa Nove Lazne… à louer pour 25 euros l’heure. © Sander Groen

Un héritage royal

La République tchèque compte précisément trente-huit stations thermales, dont les plus réputées se concentrent dans l’ouest du pays… surnommé le «triangle thermal de Bohême». Malgré un demi-siècle passé à languir derrière le Rideau de Fer, ce recoin de l’ancienne Tchécoslovaquie n’a heureusement pas ou peu été défiguré par les immeubles en béton qui ont proliféré dans tant de villes d’Europe de l’Est. Marianske Lazne, mieux connue des Occidentaux sous le nom de Marienbad, a conservé ses gracieux hôtels de cure, ses pavillons de bronze et ses palaces, dont la restauration a débuté au lendemain de la Révolution de Velours de 1989. Et depuis que le pays a rejoint l’Union européenne en 2004, ce précieux patrimoine a retrouvé sa splendeur d’antan. En 2021, le triangle thermal a même été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

Les bains romains de Nove Lazne, meilleur hôtel thermal de Marienbad.
Les bains romains de Nove Lazne, meilleur hôtel thermal de Marienbad. © Sander Groen

Le Nove Lazne («nouveau spa») est un hôtel de cure aux allures de gâteau baroque construit en 1896 dans le style architectural balnéaire (Bäderarchitektur) de l’époque. Ses thermes proposent sur 1 600 m2 des bains romains, des salles de massage, plusieurs saunas et un solarium, ainsi que le Königsbad et le Keizersbad, deux splendides salles de bains avec carrelages orientaux, tapis persans, meubles anciens, baignoires en cuivre et vitraux dont les portes s’ouvrent sur une terrasse avec vue sur le parc. Créées respectivement pour le roi Edward VII d’Angleterre – qui était à l’époque l’homme le plus puissant du monde – et pour l’empereur François-Joseph Ier – souverain de l’Empire austro-hongrois –, elles sont aujourd’hui proposées en location au prix de 25 euros l’heure.

Le Grandhotel Pupp, icône de Karlsbad depuis 1701.
Le Grandhotel Pupp, icône de Karlsbad depuis 1701. © Sander Groen

Marienbad doit son existence à l’eau minérale riche en sel, en soufre, en fer et en gaz carbonique qui s’échappe de ses centaines de sources, dont chacune semble avoir des vertus spécifiques. Les médecins des centres de cure se font un plaisir de vous conseiller la plus adaptée à vos pépins – une consultation coûte à peine 10 euros. Côté boisson, c’est directement à la source, avec des pichets en porcelaine dotés d’un bec, que l’on va se servir. Des sources qu’abritent de jolis pavillons dont le plus spectaculaire est indéniablement la colonnade néobaroque de 1889, summum de l’élégance avec ses arcades en fer forgé, ses vitraux, ses statues en bronze et ses fresques. Malgré ce cadre de toute beauté, les curistes font la grimace devant l’eau médicinale aux relents d’œufs pourris…

Le chemin de fer des Habsbourg

A un jet de pierre de la frontière allemande, Marienbad est accessible en train au départ de la Belgique via Francfort, Nuremberg et Cheb. Nous profitons toutefois d’une visite à Prague pour faire une escapade de trois jours dans le triangle thermal de Bohême. A la gare centrale, nous nous autorisons un cappuccino dans l’ancienne halle des départs dessinée en 1901 par Josef Fanta en style Art nouveau, avant d’embarquer dans le Pendolino, le train à grande vitesse qu’on a notamment pu voir dans Casino Royale (2006), filmé en grande partie en République tchèque.

Depuis Marienbad, la petite ligne secondaire 149 rallie la plus grande station thermale du pays, celle de Karlovy Vary, mieux connue sous le nom de Karlsbad. Desservie toutes les deux heures par un petit (mais bruyant) train au diesel rouge et vert de la compagnie privée GW Train Regio, la ligne elle-même a été construite par les Kaiserlich-Königlichen Staatsbahnen et inaugurée en 1898. Les gares qui ponctuent son tracé datent encore de l’époque des Habsbourg et donnent l’impression de n’avoir plus été entretenues depuis lors. Il ne faut pas être pressé: l’engin s’arrête à chaque hameau et prend environ une heure et demie pour parcourir… 56 kilomètres.

La féerique Karlsbad et sa rivière Tepla.
La féerique Karlsbad et sa rivière Tepla. © Sander Groen

La gare blanche de Marienbad, elle, a été restaurée avec soin. Le train entame son parcours en prenant un large tournant à travers le parc thermal avant d’aborder la montée qui le mènera à travers champs et bois au point le plus haut de son itinéraire, Ovesné Kladruby (715 mètres d’altitude), avant de redescendre à travers le Kaiserwald et la vallée de Tepla jusqu’à son point le plus bas, Karlsbad (375 mètres). Les tunnels sont rares, les ponts d’autant plus nombreux. Dans les portions les plus étroites de la vallée, le ruban bleu de la rivière serpente sous les roues du petit train. La ligne suit clairement l’itinéraire le plus charmant du pays…

Babouchkas en fourrure

Reine des stations thermales de Bohême, Karlsbad est nichée dans une vallée étroite à laquelle on n’accède que par le haut, ce qui donne presque l’impression d’arriver par la voie des airs. Avec ses centaines de maisons aux façades Art nouveau jaune pastel, rose bonbon ou vert pistache qui s’entassent le long des flancs de la vallée, les nuages de vapeur qui s’échappent de ses sources chaudes, ses fiacres et ses grands cafés en style viennois, Karlsbad est un coup de cœur immédiat. Plus gracieuse que Salzbourg, plus soignée que Disneyland, plus colorée qu’un film en Technicolor et plus coquette que Prague, la ville est un vrai décor de conte de fées.

Ce ne sont sans doute pas Beethoven, Bach et Mozart qui nous contrediront, eux qui ont composé ici tant de chefs-d’œuvre. Casanova, lui aussi, s’y est ébahi, tout comme l’inévitable Goethe ou le tsar Pierre le Grand. Après avoir écrit son fameux Capital, Karl Marx est venu s’y reposer. Déjà sur-représentés à l’époque, comme en témoigne la spectaculaire église orthodoxe qui brille de tous ses feux, les Russes le sont à nouveau de nos jours: des babouchkas en grandes tenues et manteaux de fourrure se promènent entre les sources, leurs pichets à boire rivalisant de kitsch.

Karlsbad est entièrement centrée sur le tourisme thermal. Pour les cures de boisson, la ville dispose de cinq colonnades totalisant une douzaine de sources, dont la plus impressionnante est celle du Vridlo ou Sprudel, un geyser qui projette son eau à 72 °C à 14 mètres de hauteur. D’autres sont en fer forgé, en bois richement décoré ou en pierre naturelle déclinée en interminables rangées de colonnes classiques. Cinq centres proposent des cures de bains. Il existe également des cures «de terrain», consistant à s’aventurer sur les centaines de kilomètres de sentiers de promenade qui grimpent vers les sommets de part et d’autre de la ville. De quoi assurer aux curistes l’indispensable dose d’activité physique et un bon bol d’air en pleine nature.

La colonnade en fonte du parc de Karlsbad, conçue par les architectes viennois Fellner et Helmer en 1880.
La colonnade en fonte du parc de Karlsbad, conçue par les architectes viennois Fellner et Helmer en 1880. © Sander Groen

Sur les traces de 007

Nous empruntons une avenue bordée d’élégantes maisons de vacances Belle Epoque pour rejoindre le Malé Versailles, un petit étang flanqué d’un restaurant avec terrasse construit au XVIIIe siècle et régulièrement fréquenté par Goethe. Nous embarquons ensuite dans le funiculaire centenaire qui dessert la tour d’observation de Diane. Au retour, petite halte à mi-course pour faire le reste de la route à pied et arpenter un sentier de montagne qui passe devant plusieurs belvédères. En guise de pause, la terrasse du restaurant Jeleni Skok offre une vue splendide sur cette ville décidément magique, à admirer en dégustant une chope de pils tchèque glacée.

A l’heure du thé, direction le café viennois du Grandhotel Pupp, fondé en 1701 par un maître-pâtissier dont la recette secrète est encore concoctée à ce jour. La spécialité maison, la «tarte pupp», faisait déjà les délices de Beethoven en 1812. L’adresse a aussi vu passer James Bond: toujours dans Casino Royale, on peut voir l’agent secret arriver à la réception, dîner à l’hôtel-restaurant et loger dans une «chambre 405» qui, en réalité, n’existe pas.

Comme a pu le constater le héros, le train est le moyen de transport le plus confortable pour découvrir la République tchèque. Pour revenir à la capitale, le train à grande vitesse Krushnohor file d’abord vers le nord en direction de Dresde avant de faire demi-tour à Usti nad Labem pour redescendre vers le sud en direction de son terminus. Trois heures et demie pour effectuer un trajet qui prendrait deux heures en autocar: mieux vaut le savoir. Mais au fond, pourquoi se hâter? Le décor est magnifique, plongeant les yeux à travers les monts Métallifères et les hauts plateaux de Bohême, suivant le cours de l’Eger, de l’Elbe et de la Moldau. Au loin, des cathédrales, des monastères et des châteaux. Non, vraiment, pas de quoi se presser…

La colonnade néo-baroque de Kruisbron abrite un café, des boutiques... et des sources.
La colonnade néo-baroque de Kruisbron abrite un café, des boutiques… et des sources. © Sander Groen

EN PRATIQUE

– Office de tourisme de la République tchèque: visitczechrepublic.com/be

– La ligne de nuit European Sleeper, qui reliera un jour Bruxelles à Prague en 15 heures (environ), n’est pas encore prête, mais Marienbad est accessible en train depuis la Belgique en 8,5 heures, avec des correspondances à Francfort, Nuremberg et Cheb. Trajet simple dès 47 euros. Réservations: b-europe.com Trains locaux vers Karlsbad environ toutes les deux heures: gwtr.cz

– Pour se loger? Nove Lazne est Sans aucun doute le meilleur hôtel de cure 5-étoiles de Marienbad. L’un des plus mythiques aussi, puisqu’il a été bâti en 1896. A partir d’environ 100 euros la nuit. ensanahotels.com/nove-lazne. Le Grandhotel Pupp, lui est depuis 1701 l’une des adresses les plus réputées et les plus prestigieuses de Karlsbad, qui mérite amplement ses cinq étoiles. Dès 120 euros la nuit. pupp.cz

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