Le légendaire hôtel Il Pellicano, écrin de luxe discret et d’élégance intemporelle, a fêté cette année ses 60 ans. Pour mieux nous faire succomber à ses charmes, ce joyau de la côte toscane nous a ouvert ses portes.
Il y a les hôtels où l’on ne fait que passer, pour se reposer vite fait. Et il y a les hôtels où l’on rêve de poser un jour ses valises et de s’y réfugier le temps d’une parenthèse glamour. Il Pellicano fait partie de la seconde catégorie. Nous y sommes arrivés depuis la gare d’Orbetello, en passant d’abord par Porto Ercole, village typiquement italien, ensuite en accédant au Monte Argentario, où l’on s’éloigne littéralement du monde. Une fois le portail franchi, il y a la Méditerranée, la nature sauvage, le terracotta sombre de l’architecture, et le romarin – la signature olfactive de l’établissement. Un parfum qui provient notamment des jardins, où le romarin est taillé sous toutes les formes possibles. Bien sûr, côté chambre, les produits de bain auront la même aura…
Une maison d’été chic
En découvrant notre chambre, on décide d’en coloniser chaque recoin. Un manteau sur une chaise, un livre sur la table de nuit, une crème de jour près du lavabo… Dans la Master Suite n° 30, cela demande pourtant un effort. Fauteuils en rotin, immense canapé, lit à baldaquin habillé d’un élégant imprimé floral joyeux et balcon sans fin : il nous faut un moment avant de réussir à mettre un peu de désordre dans tout cet espace « tellement italien ». Pas de beige, de minimalisme ou de bling-bling, mais un splendide mélange de mobilier des années 1960, de beaux tissus Pierre Frey, d’aquarelles aux murs, de marbre et de carrelages colorés.

« Raffiné mais sans prétention, intemporel et décontracté, comme le décrit la directrice artistique Marie-Louise Sciò. Un lieu qui ressemble davantage à une maison d’été chic qu’à un hôtel. Les intérieurs obéissent à la même logique : textures naturelles, couleurs douces, et une profusion d’objets et de meubles authentiques qui donnent l’impression d’avoir été collectionnés au fil des années. Le style est enraciné dans l’émotion et les souvenirs, car j’ai grandi ici. Je me souviens de la belle lumière, de l’élégance non forcée, et des gens qui insufflaient de la vie à cet endroit. Sophistiqué, mais totalement détendu. Cet esprit habite encore l’hôtel aujourd’hui, mais dans une version qui correspond à notre époque. »
Dormir dans une carte postale
Une vision, un service sans fausse note et un site unique : c’est ainsi que Marie-Louise Sciò résumait, lors de l’annonce de la 26e place d’Il Pellicano au classement des 50 Best Hotels, les atouts de la maison. La Méditerranée y est un tableau vivant. Certains aiment séjourner au cœur de l’action, d’autres préfèrent un cocon un peu plus à l’écart – pour eux il y a les chambres cottage situées plus haut sur la colline. Presque toutes offrent une vue sur la mer. Comme l’a écrit l’écrivain Robert Hughes après son séjour : « C’est inoubliable, comme dormir dans une immense carte postale. »

L’endroit préféré de Sciò se trouve la terrasse du Bar all’Aperto. « Pour la vue à couper le souffle sur la mer et notre jardin, et bien sûr pour nos fabuleux cocktails. » Et un peu partout, des petits nuages de romarin qui picorent le décor, entre les terrasses chaleureuses, le spa, la Pelliclub où l’on déniche tenues de plage ou de soirée – en collaboration avec Birkenstock, Monopoly ou Highsnobiety -, le Bar Roberto où l’on baptise des cocktails du nom de clients célèbres, la piscine iconique, et l’ascenseur menant au Beach Club. Enserrée par les rochers, la mer Tyrrhénienne y apparaît sous son jour le plus pittoresque. Et même par temps couvert, c’est un endroit délicieux où se poser quelques heures.

Des invités de légende
Depuis notre balcon, nous distinguons l’enseigne néon rose Il Pellicano au-dessus de l’entrée, surmontée d’un « 60 » célébrant les six décennies de l’hôtel. L’histoire? En 1964, le pilote britannique Michael Graham et son épouse américaine Patricia Daszel ont acheté ce versant escarpé à la famille princière Borghese, propriétaire des lieux depuis des siècles. Lui, aventurier et entertainer né ; elle, fortunée et très à l’aise à Hollywood. Le couple n’a alors aucune expérience hôtelière, mais Porto Ercole leur semble l’endroit idéal pour y imaginer un hôtel exclusif, le lieu étant déjà très prisé les écrivains, les cinéastes américains, Jackie Kennedy qui y passait ses vacances, ou la royauté néerlandaise qui y a construit une villa.

En 1965, Graham et Daszel envisagent d’abord Il Pellicano comme une grande villa privée plutôt que comme un véritable hôtel. Un lieu pour recevoir leurs amis et les présenter les uns aux autres, le temps de quelques dîners ou fêtes mémorables. L’un des investisseurs est le photographe de Magnum John Swope, mais des maharajas indiens et des magnats du pétrole mettent aussi la main à la poche. Patricia est aux fourneaux, Michael derrière le bar. Histoire de chahuter un peu les débuts, le jour où la reine Juliana des Pays-Bas vient déjeuner pour la première fois, les serveurs se mettent en grèvent pour réclamer une hausse de salaire. Les Graham doivent également chasser les paparazzis, très curieux de Sophia Loren, John Lennon ou Bing Crosby.

Les clients de renom font un bouche-à-oreille qui accroît chaque jour la réputation de la maison. Aristotle Onassis et John Wayne jettent régulièrement l’ancre de leur yacht dans la baie, et l’aristocratie européenne s’installe au bar aux côtés d’artistes et de stars de cinéma. L’industriel Roberto Sciò vient pour la première fois en 1967. Comme beaucoup d’autres, il deviendra un client fidèle, avant de racheter le cottage que possède un certain… Charlie Chaplin. Lorsque les Graham décident de vendre l’hôtel, trop peu rentable à leur goût, Sciò s’en empare en 1979. « J’ai fait un cauchemar où quelqu’un d’autre l’achetait pour le gâcher », raconte-t-il dans les interviews. L’ambiance est restée détendue, mais encore un peu plus glamour, car les années 1980 ont vu l’avènement des grandes familles de la mode italienne. Valentino, les Pucci, les Fendi et les Missoni arrivaient, entraînant dans leur sillage des mannequins comme Kate Moss et des photographes tels que Slim Aarons, Juergen Teller et Mario Testino.
Dans un hôtel, on compose une expérience sensorielle.
L’épouse de l’hôtelier, Marie-Louise Sciò, qui a étudié l’architecture aux États-Unis, dirige en 2006 une restauration complète des lieux. La personnalité du lieu est restée intacte: chic et élégante, cool et internationale, mais à l’italienne. Car « Pelli » – pour les habitués – n’est pas seulement le nom de l’hôtel, mais aussi une attitude, voire un art de vivre. « C’est un ADN léger, ludique et joyeux. Le luxe ne se résume pas aux objets, il concerne le sentiment que l’on veut offrir aux hôtes. Ce que l’on veut qu’ils mangent, ce que l’on veut qu’ils sentent : dans un hôtel, on compose une expérience sensorielle. »

Marie-Louise choisit les livres de la bibliothèque, les magazines du bar, la musique de la playlist et les uniformes du personnel. Elle veille aussi sur les symboles Pelli : les serviettes de plage rayées blanc et jaune, le papier peint avec les oiseaux de Fornasetti dans le restaurant, les pélicans sur les gravures, tableaux ou sculptures. Cela en supervisant les choix de l’irrésistible Federico, qui est seulement le deuxième barman de la longue histoire de l’hôtel.
Assiettes étoilées
« C’est du sushi toscan », plaisante le serveur en expliquant ce qui se trouve dans notre assiette. « Un tartare de bœuf sur pomme de terre. » Cela semble étrange, mais c’est délicieux, et cela montre que l’équipe de cuisine du chef Michelino Gioia prend son travail très au sérieux, sans se prendre elle-même au sérieux. Une pointe d’humour apparaît comme l’ingrédient secret du service Pelli.

Gioia a décroché une étoile Michelin en 2018, lorsqu’il officiait encore dans un autre hôtel du groupe, La Posta Vecchia, et il est aux fourneaux ici depuis cinq ans. Son menu Percorso Gioia est une promenade gourmande, chaque plat offrant au moins un souvenir gustatif mémorable. Tartare de canard, sauce au parmesan, moule frite, câpres dans le dessert aux baies : si Michelin le décrit comme un magicien des textures, ce n’est pas sans raison.

Lors de notre deuxième soirée, le vent se lève brusquement pendant le dîner, et es herbes de notre tartare de thon s’envolent. Les clients se replient à l’intérieur, mais comme notre magistrale cotoletta vient d’être servie, nous restons. Ce n’est qu’en levant les yeux de notre assiette que nous remarquons que tous les braseros de la terrasse ont été rapprochés autour de nous, afin que nous puissions savourer, dans un cocon de chaleur, notre dîner face à une nature déchaînée.
Quand nous hésitons à commander un dessert, on nous propose de le servir dans notre chambre. Trois boules de gelato italien, dans un lit à baldaquin fleuri, devant notre émission préférée : nous frisons littéralement la lévitation de satisfaction.
Un plaisir décomplexé
Le lendemain matin, le vent est tombé. En remuant notre cappuccino, nous réalisons à quel point le chant des oiseaux est présent. Même le serveur le souligne. On ne passe pas de musique dans les restaurants, explique-t-il : à quoi bon, quand on a les sons de la nature ?
Ce lieu dégage une forme de glamour décontracté qui est rare.
Chaque année, l’hôtel invite un auteur en résidence d’une semaine ; en 2024, il s’agissait de la journaliste Laura May Todd, qui écrit notamment pour Wallpaper. « Apprendre à connaître l’équipe m’a énormément inspirée, raconte-t-elle. Le barman Federico Morosi m’a particulièrement impressionnée. Le soin et l’attention portés au moindre détail sont remarquables. Il y a une véritable volonté d’offrir à chaque hôte une expérience personnelle et parfaite. Peut-être est-ce dû à la vue sur la Méditerranée, au charme des intérieurs – comme une capsule temporelle – ou simplement à l’énergie des clients, mais ce lieu dégage une forme de glamour décontracté qui est rare. »
Sur le piano du bar, repose l’album photo de John Swope, manifestement feuilleté mille fois. L’hôtel en chantier, les premiers clients… Les clichés d’époque suggèrent un temps où les bains de soleil sans protection, les flots d’alcool et les cigarettes en chaîne faisaient partie du plaisir Pellicano. Et même si ces habitudes-là appartiennent en grande partie au passé, cette atmosphère désinhibée flotte toujours dans l’air.

La jet-set belle et fortunée sillonnant le monde n’est plus vraiment d’actualité, mais si le journaliste américain Bob Colacello décrit le lieu comme « un camp d’été doré pour quelques élus » dans le livre de photos paru en 2011. Alors oui, Il Pellicano se complaît avec un plaisir évident dans son propre mythe, mais heureusement sans nostalgie. Pas de « c’était mieux avant », mais plutôt : ici, les gens s’amusent depuis soixante ans, et c’est toujours aussi formidable.
Un monde à part
Dans un endroit comme celui-ci, l’effet m’as-tu-vu guette, mais pas tant que ça. Au Bar all’Aperto, les hôtes fraternisent à l’heure de l’apéritif, au petit déjeuner se négocie un match de tennis, et depuis notre transat au bord de la mer, nous entendons deux clients derrière nous débattre des raisons pour lesquelles ils ont annulé tous leurs projets d’excursions dans la région. « Je n’ai tout simplement pas envie de partir d’ici. »
Une visite de Porto Ercole, une dégustation de vins dans les collines de la Maremme, une journée à Sienne ou Orvieto, une balade à vélo sur le Monte Argentario ou une virée en bateau vers la Grotta Azzurra avec le Pelli-boat : bien sûr, on peut s’échapper, si on le souhaite. Mais ce lieu exerce manifestement un magnétisme qui retient les gens sur place.

Ceux qui doivent malgré tout repartir aiment emporter un petit bout de Pellicano. Même si les gens ne fument presque plus, le célèbre cendrier vert et blanc reste l’article le plus vendu de la Pelliclub. Les draps Frette siglés du logo de l’hôtel ont eux aussi beaucoup de succès. Le cliché que reprennent tant d’hôtels de luxe – we are your home away from home – n’est pas la façon dont Sciò voit les choses. « C’est un endroit où l’on vient pour s’échapper, car parfois on veut simplement laisser sa vie quotidienne derrière soi. Notre hôtel est une autre dimension, un autre monde. Chaque fois que je quitte le Pelli, j’ai l’impression de refermer la porte de cet ailleurs, et chaque fois je me dis : je rate peut-être quelque chose de fabuleux pendant mon absence. »
En pratique
- Il Pellicano se trouve à Porto Ercole, sur le Monte Argentario, presqu’île au large de la Toscane, à mi-chemin entre Rome et Pise. Si l’on atterrit à Rome, on y arrive en deux heures de voiture ou environ deux heures et demie de train.
- Ouvert de Pâques à fin octobre. Chambres à partir de 600 euros en basse saison et 1120 euros en haute saison.
- On séjourne ici un peu à l’écart du monde, mais l’hôtel compte deux restaurants. Pelligrill sert des classiques italiens, tandis que le restaurant étoilé Il Pellicano propose un menu à partir de 175 euros.