«L’Ecosse et le gin, c’est une grande histoire d’amour», roadtrip au coeur du Pays du Chardon
D’Edimbourg à l’île de Skye, nous avons parcouru le pays du Chardon pour nous immerger dans ses paysages somptueux… et ses effluves vertueuses. Objectif? Comprendre comment le gin a réussi à être sacré sur les terres du whisky.
«L’Ecosse et le gin, c’est une grande histoire d’amour», nous confie Annabel durant la visite de la distillerie Lind & Lime, à Edimbourg. Dans l’imaginaire collectif, les grandes étendues sauvages écossaises riment plutôt avec whisky, mais contre toute attente, le spiritueux originaire des Pays-Bas occupe aujourd’hui une place importante dans le cœur des habitants. Un chiffre résume à lui seul cet engouement: le pays gaélique produit environ 70% du gin issu du Royaume-Uni, lui-même plus grand producteur de gin au monde. Si cette position s’explique par la présence des immenses distilleries Hendrick’s, Tanqueray et Gordon’s, ces dernières années, de nombreuses enseignes plus artisanales ont fleuri un peu partout.
Pourtant, des siècles durant, le gin vivotait dans l’ombre. En 1751, la criminalité était rampante dans les grandes villes, attribuée notamment à la consommation excessive d’alcool. Cette année-là, le Parlement britannique votera le Gin Act. «Cet accord va interdire aux distillateurs de gin non agréés de vendre leurs productions aux marchands, poursuit notre interlocutrice. Avec cette décision, le Parlement signe la mort des producteurs indépendants et des petites boutiques de gin.» Ce n’est qu’en 2008 que le Parlement décide de révoquer l’acte. Ainsi, après plus de 250 ans, le gin revient sur le devant de la scène. «On assiste alors à un réel boom», insiste Annabel. Pour prendre la mesure de cette frénésie, nous avons opté pour un petit road trip à la rencontre de celles et ceux qui s’imposent comme les acteurs de ce renouveau inespéré. «Slàinte!», comme on dit là-bas.
Comme un retour aux sources
C’est donc à Edimbourg, après un périple d’environ 8 heures sur les rails (avec une escale à Londres) que nous entamons cette passionnante promenade à travers les ruelles tortueuses de la capitale culturelle de l’Ecosse.
Le quartier de Leith et ses nombreux quais nous intéressent particulièrement: c’est là qu’historiquement, le gin transitait. Aujourd’hui, des enseignes branchées fleurissent à gauche et à droite, au même titre que les bonnes tables, les coffee shops ou les terrasses.
Quant aux anciens entrepôts, ils ont été petit à petit réaffectés pour donner naissance à la distillerie Lind & Lime. Le lieu a été ouvert en 2018 par le duo d’amis Ian Stirling et Paddy Fletcher, qui, au départ, avait pour idée de se lancer dans la production… de whisky. «Le problème du whisky, c’est qu’il est bien plus complexe à produire», raconte Annabel.
En effet, pour obtenir la fameuse appellation «single malt», le liquide doit subir une maturation de 3 ans et 1 jour. «Mais quand Ian et Paddy se sont lancés, ils n’avaient pas autant de temps à perdre!», sourit notre guide.
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Maitriser le Classic London Dry à la perfection
C’est donc vers le gin qu’ils se sont tournés, en profitant de l’engouement autour du spiritueux et, surtout, de son rendement élevé: il ne faut que cinq jours pour en produire. Ainsi naquit Lind & Lime, dans un quartier de Leith où le gin coulait déjà à flots plus de deux siècles plus tôt…
«On a décidé de ne faire qu’une seule chose, mais de la faire bien. On s’est spécialisé dans le classique london dry. Un gin aux saveurs traditionnelles, certifié bio», explique notre hôte en nous servant un gimlet (la spécialité de la distillerie) qui témoigne à lui seul de l’excellence de la maison. Une simplicité payante.
Car la popularité du gin entraîne aujourd’hui une pléthore de déclinaisons de goûts et de procédés de fabrication qui frisent parfois avec l’étrange. «J’ai déjà goûté du gin aux choux de Bruxelles», nous confie ainsi Annabel lorsqu’elle apprend que nous venons de Belgique. Et sa mine déconfite en dit long…
Authenticité absolue
Le lendemain, c’est au son des cornemuses que l’on arpente la vieille ville d’Edimbourg et ses charmantes façades en pierre. En fin de journée, on met le cap sur le Summerhall, où la distillerie Pickering’s s’est installée. Pionnière dans la revalorisation du gin en Ecosse, celle-ci est devenue en 2013 la première à distiller elle-même son gin à Edimbourg depuis 150 ans.
Une aventure qui a commencé humblement, avec un alambic acheté sur Ebay pour 5 livres sterling et une recette retrouvée dans la malle d’un aïeul d’un des fondateurs venu de Bombay. «Mais les palais ont changé entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui, nous glisse Jamie, chargé des visites. Ils sont donc partis de cette fameuse recette en l’adaptant petit à petit pour qu’elle convienne au plus grand nombre. Ainsi, de fil en aiguille, après de nombreux essais (et erreurs), ils ont mis au point leur produit phare: le «red top», un classic london dry gin aux arômes prononcés.»
Bien sûr, cela n’empêche pas de varier les plaisir. Plusieurs mélanges sont désormais distillés chez Pickering’s… dont la recette originale d’Inde ou le fameux «orange top» aux notes enivrantes de cannelle qui se laisse déguster à l’envi. Cela avec des ambitions modestes: «On reste une petite distillerie. Tout est fait sur place, dans nos locaux à échelle humaine», précise Jamie.
Les Highlands comme garde-manger
Si l’on quitte Edimbourg à regret, notre voiture de location nous emmène très vite vers le nord et ses somptueux Highlands. Une contrée sauvage qui abrite notamment le patelin d’Aviemore, où la distillerie Caorunn s’est installée au pied des montagnes, au cœur des landes.
Ouverte en 2009, cette micro-distillerie a pris ses quartiers au sein de la distillerie Balmenach, dans la région de Speyside. Son nom, Caorunn, fait référence au sorbier en gaélique, ingrédient phare du gin de la maison. «C’est le premier gin artisanal produit dans une distillerie de whisky, s’amuse notre guide. On a décidé d’utiliser les Highlands comme notre garde-manger. Ainsi, sur les onze ingrédients qui composent notre breuvage, cinq sont cueillis ici même. Parmi eux, la pomme Coul Blush, une variété au goût frais et sucré qui s’est acclimatée pour pousser dans le nord.»
Ce qui rend aussi le gin de Caorunn si spécial, c’est son mode de fabrication, puisqu’il est distillé dans l’une des seules «copper berry chambers» encore en fonction: «La vapeur d’alcool passe dans l’alambic en cuivre et ses différents niveaux, puis s’imprègne au maximum des saveurs et arômes de nos ingrédients avant de se condenser et de devenir notre gin. C’est ce qui lui donne ce goût unique.» En le dégustant dans un verre où trempent quelques fines lamelles de pommes Coul Blush… on confirme.
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A l’école de l’arôme
Notre road trip se poursuit sur l’incroyable île de Skye, puis le long de la magnifique côte ouest. C’est là, entre la vallée de Glen Coe et la ville d’Oban, que l’on retrouve Craig Innes qui, avec sa femme Noru, a créé la micro-distillerie Pixel Spirits en 2017.
«A défaut de trouver un gin qui me convenait parfaitement, j’ai décidé de façonner le mien», nous confie Craig. Mais la raison principale de notre venue, c’est la Gin School guidée par le maître des lieux. Une expérience insolite qui, durant quatre heures, nous permet de percer les moindres secrets du gin à travers un cours pratique passionnant.
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Objectif final: créer notre propre gin, aux saveurs de notre choix. Une matinée enrichissante à souhait. «C’est important pour moi de partager ma passion, explique Craig. Les gens ne se rendent pas toujours compte des moyens dont nous disposons. Chaque bouteille est remplie et étiquetée à la main. Et je signe chacune d’elles! Plus artisanal que ça, il n’y a pas. Petit conseil d’ami en matière de distillation: less is more. Sinon, on ne goûte plus rien du tout», poursuit-il alors que nous assemblons notre création en laissant derrière nous une tablée remplie d’ingrédients.
Quatre heures de distillation plus tard, nous reprenons la route vers la charmante ville côtière d’Oban, avec des arômes de pamplemousse et de citron vert flottant dans notre voiture…
Préserver le patrimoine naturel écossais
Après avoir profité des décors ensorcelants du splendide parc des Trossachs, une ultime étape s’impose à Glasgow, capitale économique de l’Ecosse. Une ville qui gagne à être connue, même si son charme ne rivalise pas avec celui de sa voisine Edimbourg.
Plus urbaine et alternative, elle regorge de chouettes adresses improbables, de petits parcs, de musées d’art moderne (gratuits) ou de bars fort agréables. Bien sûr, nous ne perdons pas notre objectif des yeux, et nos pas nous mènent dans les Barras de l’East End de la ville.
C’est là, dans ce quartier industriel, que nous attend Andrew Mundy, propriétaire de la distillerie Crossbill créée en 2013. L’homme, après nous avoir parlé de sa façon de préserver le patrimoine écossais à travers ses flacons, évoque un problème hélas très actuel: «Depuis plusieurs années, le genévrier est touché par une maladie, la phytophthora austrocedri, un champignon qui détruit les arbres et leurs baies, rendant la production très ardue dans toute l’Ecosse…»
Faire du gin par passion
Qu’à cela ne tienne, de nombreux producteurs importent leurs baies. Andrew, lui, a reçu un peu d’aide du destin: «On a eu un énorme coup de chance quand on s’est lancé, on a découvert un ancien genévrier qui n’avait pas été contaminé…» C’est alors le début d’un long combat pour Andrew et sa petite équipe, qui tentent par tous les moyens de protéger le spécimen… avec succès.
Le reste? Chez Crossbill, tout est made in Scotland, chaque ingrédient vient des Highlands ou des environs de Glasgow, cueilli par Andrew et ses collègues. «C’est un processus plus long mais tellement plus satisfaisant», témoigne le distillateur pour qui «on ne fait pas du gin pour l’argent, mais bien par passion». Fier de cette authenticité, Crossbill produit environ 8 000 bouteilles par an. Pas mal pour quelqu’un qui prône l’éloge de la lenteur…
Pour conclure ce captivant road trip au pays du Chardon et dorloter nos corps fourbus par le voyage tout en restant cohérent avec notre mission, direction… le Gin Spa. Situé dans le centre-ville de Glasgow, l’endroit s’est mis en tête de conjuguer gin et wellness. «Tout comme la vigne, le genévrier possède de nombreuses vertus et bienfaits, nous explique Rebecca, qui nous accueille avec enthousiasme. On a donc mis au point plusieurs gammes de produits utilisant les différents ingrédients typiques du gin pour une expérience de bien-être inédite.» Le verdict? Après une heure et demie de soin, et un gin tonic, on ressort du lieu aussi apaisé que détendu. Une parfaite conclusion à cette épopée exaltante aux pays des arômes enivrants. «Auld Lang Syne» («ce n’est qu’un au revoir»), pour reprendre les mots du célèbre poète écossais Robert Burns…
En pratique
Plus d’infos: visitscotland.com
Y aller
Et pourquoi ne pas se la jouer aventurier du rail et rejoindre l’Alba par le train ? Première étape de votre périple: L’Eurostar qui vous mènera à Londres. De là, de nombreuses connexions mènent à Edimbourg ou Glasgow. Comptez environ 250 euros l’aller-retour.
Nos gins préférés
S’il ne fallait retenir que trois gins parmi ceux que nous avons goûtés, ce serait le Crossbill Green pour ses saveurs surprenantes et puissantes, le plus exclusif Gin Master’s Cut de chez Caorunn et le Drookit Piper, de chez Pixel Spirits, aux notes fraîches de pomelo.
Un conseil ?
Pensez à réserver le plus possible, car les logements et les restaurants peuvent rapidement afficher complet. Idem pour les ferrys.
Les distilleries en bref
- Lind & lime, pour les puristes.
24, Coburg Street, Edimbourg.
lindandlime.com - Pickering’s Gin, la plus ancienne.
1, Summerhall Summerhall Distillery, Edimbourg. pickeringsgin.com - Caorunn, la plus sauvage.
Balmenach Distillery, Balmenach Rd, Grantown-on-Spey, Cromdale.
caorunngin.com - Pixel Spirits, la plus artisanale.
Old Ferry Road, North Ballachulish, Fort William.
pixelspiritsltd.co.uk - Crossbill, la plus authentique.
Unit 1, BAaD, 54 Calton Entry, Glasgow.
crossbillgin.com - The Gin Spa, pour prendre soin de soi. 2, Virginia Ct, Glasgow.
ginspa.co.uk
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