Le secteur des croisières entame sa transition énergétique
Au début des dernières vacances d’été, Greenpeace rappelait que les bateaux de croisière présentaient un bilan carbone six fois plus élevé que celui du ferry et 2,4 fois plus que celui de l’avion, sur la base des publications de l’Agence européenne pour l’environnement. Aux Chantiers de l’Atlantique de St Nazaire, on travaille sur la réduction des émissions carbone de ces géants des mers.
Installée à bord du MSC World Europa, une toute nouvelle innovation prenant la forme d’un générateur d’électricité qui crée son propre hydrogène est l’une des pistes envisagées pour entrevoir un avenir plus durable pour les croisiéristes. Actuellement, cette pile à combustible est au stade expérimental, mais à terme elle pourrait être combinée à d’autres technologies pour rendre la croisière plus acceptable sur le plan environnemental, nous a confié Henri Doyer, chef de projet du MSC World Europa aux Chantiers de l’Atlantique.
Le MSC World Europa est le tout premier paquebot de croisière à embarquer une pile à combustible qui permet d’alimenter les besoins du navire en électricité. Pourquoi cette technologie constitue-t-elle un avenir pour le marché de la croisière ?
Henri Doyer : Pour augmenter le rendement d’un moteur, au lieu de réaliser une combustion, il faut favoriser une réaction électrochimique. C’est la raison pour laquelle nous parlons de pile à combustible. Technologie américaine développée dans la Silicon Valley et déjà déployée par la NASA, c’est un générateur d’électricité à plus haut rendement. Nous ne brûlons plus le gaz : nous mettons de l’oxygène d’un côté et de l’hydrogène de l’autre pour obtenir du courant. C’est une petite pile prototype que nous avons installée à bord qui crée sa propre hydrogène à partir du gaz naturel. Par ailleurs, c’est une pile à très haute température. Non seulement elle a 15% de rendement de plus qu’un moteur, mais elle dispose aussi d’un potentiel de récupération d’énergie supérieur. Elle est stockée dans un espace de la taille d’un container, situé en haut du mât. Pour l’heure, la puissance de la pile est réduite. Pour vous donner un ordre de grandeur, la puissance des cinq moteurs du MSC World Europa est de 80 mégawatts. Celle de la pile s’élève à 150 kilowatts, soit moins de 1% de la puissance du paquebot, ce qui équivaut à alimenter l’espace du Yacht Club (un espace exclusif et réservé à bord, ndlr). C’est la technologie du futur pour les paquebots de croisière. A terme, on peut imaginer la faire fonctionner à l’aide de biogaz ou de gaz de synthèse, du méthanol.
Pour que cette technologie soit distinguée comme une vraie solution durable, il faudrait envisager d’utiliser de l’hydrogène. Est-ce envisageable ?
La pile à combustible pourrait fonctionner avec de l’hydrogène. C’est la combustion parfaite, sans aucune émission de CO2. Mais l’hydrogène n’a pas de densité énergétique, ce qui signifie qu’elle n’est pas puissante et que nous aurions besoin de la stocker en très grande quantité. Un paquebot de croisière deviendrait alors un transport d’hydrogène, et non plus de passagers tellement on aurait besoin de place. Nous sommes réservés quant à la faisabilité de cette solution pour les bateaux de cette envergure. Ce serait davantage une technologie d’appoint. On pourrait davantage l’imaginer pour des bateaux d’exploration ou des transbordeurs.
Son utilisation est pour le moment expérimentale. A quelle échéance peut-on imaginer que la pile à combustible fournisse en électricité les navires de croisière ?
Parmi les challenges à relever, il y a d’abord le coût de cette technologie, qui se chiffre en millions d’euros. Par ailleurs, ce type d’engin préfère fonctionner à régime constant, ce qui n’est pas compatible avec un itinéraire qui prévoit un arrêt dans un port puis dans un autre le lendemain. Enfin, le fonctionnement de cette technologie repose sur l’ajout de modules : pour obtenir 150 kilowatts, nous disposons de deux piles de 75 kilowatts. Dans le futur, on devra augmenter le nombre de modules. A terme, nous aimerions couvrir la capacité hôtelière avec cette énergie, en imaginant fournir 10 mégawatts dans quelques années.
Quid du solaire à bord comme technologie de demain ?
La problématique, c’est le rendement. Les obstacles sont liés à des questions de taille et de surface. Il faudrait un nombre très conséquent de panneaux pour alimenter le bateau et cela prendrait beaucoup trop de place. L’avenir passera plutôt par une combinaison de plusieurs technologies. Nous croyons en l’éolien. Il existe de nombreux projets basés sur une propulsion vélique, soit sur le principe d’une voile de kite surf, soit avec des mâts qui tournent et créent du courant par effet aérodynamique – c’est le fameux turbovoile du commandant Cousteau. Aux Chantiers de l’Atlantique, nous avons développé, aux côtés des constructeurs de bateaux pour la Route du Rhum, une voile que nous pensons pouvoir déployer à très grande échelle. Le projet, baptisé Solid Sail, prend la forme d’une gigantesque voile se repliant comme un accordéon, testée aux côtés de Jean Le Cam (célèbre navigateur français, participant de nombreuses fois au Vendée Globe, la course au large autour du monde considérée comme la plus difficile, ndlr). Néanmoins, pour le marché de la croisière, cette solution n’est pas l’idéale parce que les voyageurs ont besoin de savoir à quelle date précisément ils arriveront à quai. Par contre, on peut très bien imaginer un bateau équipé d’une pile à combustible et d’une voile. La solution, c’est l’hybride, avec une adaptation des technologies en fonction de l’envergure des bateaux. La croisière la plus responsable sera celle qui sera économique sur le plan énergétique. Cela signifie rouler moins vite et réaliser des itinéraires plus courts à bord de bateaux qui ont des rendements au top et une récupération d’énergie.
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