Dans le nord du Pakistan, le tourisme se développe au détriment des locaux
Dans la maison d’Aniqa Bano, le frigo fait office de placard pour livres et ustensiles de cuisine. C’est désormais sa seule utilité dans cette région montagneuse du nord du Pakistan où les coupures d’électricité durent 18 heures par jour.
Le Gilgit-Baltistan est un paradis pour touristes qui vagabondent entre cerisaies fleuries, lacs azurés et glaciers majestueux, à l’ombre de certains des plus hauts sommets de la planète. Mais le tourisme contribue à accentuer la crise énergétique dans laquelle est englué le cinquième pays le plus peuplé du monde, entre problèmes de financement, gestion erratique, croissance démographique et impact du changement climatique.
« On doit trouver un nouvel usage à tout ce qui marchait avant à l’électricité », raconte à l’AFP Mme Bano, 41 ans, institutrice à Skardu, d’où les alpinistes partent à l’assaut du K2, la deuxième plus haute montagne au monde. « On n’a plus de four et on utilise un fer à repasser à braises pour les vêtements », ajoute-t-elle. « Quand on rentre à la maison fatigués après le travail, on ne peut pas utiliser le chauffage ou le chauffe-eau. »
Avec désormais 15 vols par semaine depuis les autres villes du Pakistan, et même des directs depuis Dubaï depuis mars, le nombre de touristes a explosé au Gilgit-Baltistan. Environ 880.000 Pakistanais, attirés par la douceur du climat quand le reste du pays languit sous la chaleur estivale accablante, ont visité la région en 2023, contre 50.000 en 2014.
Pour répondre à la demande, le nombre d’hôtels à Skardu a été multiplié par plus de quatre depuis 2014, selon les autorités locales. « Avec la hausse de la population et des activités touristiques, les coupures d’électricité ont augmenté », constate Muhammad Yunus, ingénieur pour le service public d’électricité et d’eau du Gilgit-Baltistan.
Fonte des glaciers et coupures d’électricité
Pendant l’hiver, glacial, les coupures d’électricité peuvent durer jusqu’à 22 heures par jour, et entre 18 et 20 heures en été, en augmentation de 10% chaque année en six ans, selon ce service. Siddiqa, couturière et artisane qui ne porte qu’un seul nom, a vu ses revenus fondre.
« Quand nous avons ouvert ce commerce en 2014, il n’y avait pas de problème d’électricité », explique-t-elle à l’AFP. « Maintenant, sans courant, j’ai remplacé toutes les machines électriques par des machines à coudre manuelles. »
Avant, « on pouvait faire 10 ou 12 costumes en trois jours. Maintenant, pour en faire un seul, ça peut nous prendre 10 à 15 jours. » Les coupures d’électricité font partie de la vie quotidienne au Pakistan, mais rares sont les endroits où elles sont aussi longues.
En raison de son isolement, le Gilgit-Baltistan n’est pas connecté au réseau électrique national et dépend de sa propre production, générée par des dizaines de centrales hydroélectriques ou thermiques. Le Pakistan compte plus de 7.000 glaciers, soit plus qu’aucun autre pays sur terre en dehors des terres polaires. Mais avec le réchauffement climatique, ceux-ci fondent rapidement.
Si leur fonte peut temporairement accroître la quantité d’eau disponible pour produire de l’énergie, leur capacité sur le long terme à retenir l’eau et à la libérer progressivement diminue.
Les locaux victimes de la mauvaise gestion des ressources
« Il devient impossible de prédire la quantité d’eau disponible pour les centrales hydroélectriques », observe Salaar Ali, chef du département Sciences de l’environnement à l’Université du Baltistan.
En 2022, des dizaines de lacs glaciaires avaient débordé sous l’effet d’une vague de chaleur record, déversant en aval des millions de mètres cubes d’eau et de débris, et emportant plus de 20 petites centrales, 50 ponts et d’innombrables maisons.
La mauvaise gestion du secteur énergétique joue aussi un rôle, reconnaît M. Ali. Construit en 2008 pour alimenter 40.000 foyers, le coûteux barrage de Satpara, près de Skardu, fonctionne à capacité très réduite. « Il n’a été plein qu’une fois depuis sa création. Bien que sa capacité installée soit de 17 mégawatts, si on calcule sur une base annuelle, on obtient à peine 2 à 3 mégawatts », souligne M. Yunus.
Le projet de dévier le cours d’une rivière pour approvisionner le barrage a été arrêté, explique un ingénieur employé par le gouvernement régional. Face à ces contraintes, Skardu semble reculer en terme de développement.
L’affaire de Wajahat Hussain repose entièrement sur un groupe électrogène à essence. L’engin émet en permanence des bouffées de fumée noire, qui se mêlent à l’air des montagnes et contribuent au réchauffement climatique. Mais, fait valoir ce charpentier de 36 ans, « sans générateur, il n’y a pas de travail ».