Festin sur glace: on a diné dans les fjords norvégiens

diner dans les fjords norvégiens

Un repas de six heures dans un œuf extraterrestre posé au milieu d’un fjord norvégien? Une expérience qui ne laisse pas de glace. Récit d’une escapade en 14 services, dessert inclus.

Plat 1: Cone of plenty, cornet de champignons croustillant, herbes aromatiques et oseille

«Il fait plutôt beau dehors», affirme l’employé du restaurant sous sa capuche noire en s’avançant sur la jetée. Les gouttes de pluie glissent sur le bateau électrique qui vient d’accoster. «Il pleut, mais l’eau est calme. Une belle journée dans le fjord.» Avec une attitude aussi positive, il n’est pas surprenant que les Norvégiens nous devancent de neuf places dans l’indice de bonheur. 

Notre journée se déroule d’ailleurs à merveille. Cela fait des mois que nous attendons avec impatience ce dîner: ce n’est pas tous les après-midi que l’on déguste un menu gastronomique avec vue sur le Hardangerfjord en si bonne compagnie. L’absence de code vestimentaire formel rend l’atmosphère très détendue. Le site Internet est très clair: «Portez des vêtements adaptés au temps, car il peut y avoir du vent en mer. Vous pouvez mettre une robe longue, mais tenez compte du gilet de sauvetage obligatoire.»

Après l’arrivée des cinq autres clients (le restaurant peut accueillir douze clients par service), le bateau-taxi fait une escale près d’un hangar à bateaux situé sur l’île de Snilstveitoy. Population: six habitants. Il y a un an, la cheffe Anika Madsen (31 ans) et le maître d’hôtel Nico Danielsen (32 ans) ont troqué Copenhague contre ce coin de nature norvégien. «Nous espérons vous faire voyager dans notre histoire durable et locale», explique ce dernier en accueillant le groupe. Il nous verse un verre de cidre brassé par un couple de la région, puis une bouchée à base de champignons et d’herbes locales, suivie de trois amuse-bouches à base de skrei. Nos papilles crépitent déjà. Et il nous reste encore douze plats à déguster.

Plat 3: Uni-fication, algues croustillantes et oursin

De loin, on pourrait penser qu’un ovni a atterri au milieu du fjord. L’installation artistique Salmon Eye a ouvert ses portes en 2022 en tant que centre d’information sur l’aquaculture et l’impact de l’homme sur la mer et ses habitants. Depuis juin 2023, cet œil flottant en acier inoxydable accueille également Iris, notre étape du jour.

Nous entrons dans une pièce tamisée, à trois mètres sous le niveau de la mer, dans une ambiance sonore mystique. «Bien que la majeure partie de la planète soit recouverte d’eau, nous mangeons principalement des aliments produits sur terre, ce qui entraîne un profond déséquilibre», indique la vidéo projetée au mur. «Nous pensons qu’il existe des solutions à ce défi», déclare Nico en nous proposant une mousse d’oursin. Le cracker d’algues qui l’accompagne est servi accroché à un hameçon au plafond. «La surpêche de leurs ennemis naturels laisse le champ libre à ces espèces envahissantes. Elles se nourrissent des forêts d’algues qui assurent la santé de l’eau. Cela en fait des protéines intéressantes à travailler.»

Expedition Dining, un menu quasi scientifique

Expedition dining, c’est ainsi que les Danois ont baptisé leur concept. Notre après-midi sera en effet parsemée d’explications scientifiques au fil du menu. Chaque plat a également reçu un titre recherché. «Nous espérons que les clients se souviendront des histoires que nous voulons raconter avec nos plats», explique Anika, qui a déjà participé à un programme télévisé danois autour de la cuisine durable en tant que cheffe. Avec des noms tels que Feeding the future (algues, sauterelles et jeune saumon) et 500 meters (crabe vert, moules bleues et algues Cladophora rupestris, que l’on peut trouver à 500 mètres du restaurant), le couple tient toutes ses promesses.

Restaurant isolé en mer, voyage en bateau, nombre limité de convives: les cinéphiles feront sans doute le rapprochement avec le célèbre film d’horreur The Menu. «Nous l’avons vu récemment et les nombreuses similitudes nous ont amusés, rigole Anika. Mais ne vous inquiétez pas…» Pour l’instant, pas de Ralph Fiennes derrière les fourneaux. Et pas encore de morts non plus. Nous pouvons nous attabler l’esprit tranquille.

Plat 7: It’s a trap! Crevettes, tomates et tamarin – Chou-rave, groseilles et tête de crevette

Au cas où la longueur du repas vous rebuterait, sachez que celui-ci n’est pas statique. Après la salle sous-marine et un lounge où l’on peut choisir une formule de boissons adaptée, nous prenons place dans une salle avec vue sur le paysage montagneux environnant.

Un sommelier enthousiaste nous verse un verre de vin orange et laisse la bouteille sur la table. Cela nous permet non seulement d’étudier attentivement l’étiquette, mais aussi de nous resservir facilement lorsque notre verre est vide – ce qui arrivera souvent cet après-midi. Nous recevons un panier de pêcheur contenant un trio de crevettes issues de l’élevage durable. Le taco de chou-rave et tête de crevette frite n’est pas seulement le plat préféré du chef, mais il fait également partie de nos coups de cœur. 

Autre pépite du jour: les tagliatelles de seiche servies avec du céleri-rave grillé, du kelp, des fraises et de la livèche. Une bombe de saveurs. Le serveur en profite pour nous expliquer que la population de calamars dans ces régions augmente de plus en plus rapidement en raison du réchauffement climatique et que l’espèce a même reçu le surnom de «mauvaise herbe des mers». Contribuer à l’amélioration de la biodiversité n’a jamais été aussi goûtu.

Plat 10: Change of heart, tartare de cerf, poireaux grillés et crumble de levain

On nous propose une table près de la fenêtre panoramique. Le brouillard flottant au-dessus de l’eau ne fait qu’ajouter du mystère à l’atmosphère. Nous discutons avec un couple de Danois qui a émigré en Norvège il y a douze ans et qui visite ce temple flottant pour la troisième fois. 

Une coupe de champagne rosé annonce l’arrivée du plat le plus dingue de la carte. Une coquille d’hibiscus, de tomates et de cassis en forme de cœur anatomique abritant un tartare de cerf. «Ce choix peut sembler provocateur, mais c’est notre façon de souligner que le réchauffement climatique nous oblige à changer nos habitudes alimentaires et à adopter des produits plus durables que la viande de bœuf, nous explique Anika. De toute façon, les assiettes reviennent généralement complètement vides.» A chaque bonne histoire son cliffhanger.

Nous voici déjà arrivés aux desserts. Nous dégustons une tartelette aux pousses de sapin marinées sous une glace au beurre brun, agrémentée de caviar. S’ensuit un parfait de sarrasin servi avec un sorbet à la verveine citronnée et accompagné du traditionnel Melkekake, une sorte de crêpe au lait cru. La question est claire: pourquoi ne pas nous installer définitivement en Norvège?

Plat 14: Ut på tur aldri sur, bonbon au chocolat, choux au craquelin et tartelette opéra 

Nico traduit la phrase qui accompagne les trois petits fours de clôture: «Toujours en mouvement, jamais aigri.» Ici, on apprend dès le plus jeune âge que sortir dans la nature est bénéfique et qu’il est important d’emporter un en-cas savoureux pour la route. Nous dégustons avec bonheur les dernières douceurs avant notre périple de retour.

Après un marathon de six heures et demie, nous montons à bord du bateau qui nous ramènera sur la terre ferme. Il est 20h30. Impossible de savoir si ce sont les vagues ou les vins qui provoquent cette agréable sensation de flottement dans notre corps. Le Salmon Eye disparaît dans l’obscurité derrière nous, gardant jalousement avec lui l’expérience gastronomique la plus impressionnante de notre vie.

335 euros pour un menu. Accord mets-boissons à 129 euros (sans alcool) ou à partir de 228 euros (avec du vin). Il est également possible de commander au verre. restaurantiris.no

En pratique

2h30 de route séparent Bergen de Rosendal. Comme il n’y a pas de vols directs pour Bergen depuis l’aéroport de Bruxelles, nous avons opté pour le programme Air&Rail de KLM. Nous avons d’abord pris l’Eurostar depuis Bruxelles-Midi jusqu’à l’aéroport d’Amsterdam/Schiphol, d’où nous avons pris l’avion pour Bergen. Plus d’infos ici.

Les quelques hôtels de Rosendal étant plutôt vétustes, nous avons réservé un studio confortable à quelques pas de l’embarcadère via Airbnb.

À proximité

  • Rosendal se situe à proximité du parc national de Folgefonna, idéal pour des randonnées faciles, ou plus demandeuses. folgefonna.info 
  • La ville portuaire de Bergen mérite à elle seule le détour, avec ses nombreux restaurants et activités culturelles. 
  • Encore plus de haute gastronomie? Roulez vers le sud jusqu’au Under, un restaurant étoilé au Michelin qui disparaît sous l’eau. under.no

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