Peinture à l’eau… iodée: On a testé des cours d’aquarelle en Cornouailles
Les artistes ont le don de s’installer dans les endroits les plus pittoresques, et St Ives ne fait pas exception à la règle. Depuis 1938, on trouve ainsi une école de peinture dans l’un des plus jolis villages côtiers d’Angleterre. L’endroit parfait pour apprendre à manier les pinceaux et découvrir à la fois les Cornouailles et toutes les subtilités de l’aquarelle.
«Vous pourrez le peindre plus tard.» Notre interlocutrice lève son verre de vin blanc en direction du coucher de soleil qui fait rougeoyer le sable de la plage de Porthmear. Nous avons noué la conversation à l’heure de apéritif et mentionné être en Cornouailles pour suivre un stage d’aquarelle à l’école de peinture locale. Turner Sea and Sky, c’est le nom de cet atelier atelier de trois jours qui, comme son nom l’indique, a pour source d’inspiration nul autre que J.M.W Turner, le peintre du XVIIIe siècle qui a donné ses lettres de noblesse à l’aquarelle. La perspective a de quoi rendre aussi enjoué que l’enfant qui sautille sur la plage en contrebas à chaque vague qui arrive, même si on n’a pas le moindre talent pour le dessin. L’activité promet toutefois de procurer énormément de joie, voire d’agir comme un bouton «pause» pour les cerveaux parfois surmenés. Après quelques cours en ligne, il est donc temps de prendre des leçons en direct, et St Ives est la destination de rêve pour ça.
Jolie colonie de vacances
L’école de peinture se trouve justement sur la plage de la veille, et si les vagues qui forment la toile de fond de notre cours étaient hier agréables pour les tout-petits, elles sont aujourd’hui hautes de plusieurs mètres et assourdissantes. «Notre emplacement n’est pas le fruit du hasard, explique Hilary Jean Gibson, chargée de cours. La lumière, la nature impressionnante, les couleurs presque tropicales de l’océan et la bourgade pittoresque attirent les artistes ici depuis le XIXe siècle.» Dont Turner, qui y a posé ses pinceaux en 1811, tandis que depuis le début du siècle dernier, clubs d’artistes et galeries ont vu le jour au gré de la réhabilitation des locaux vacants des pêcheurs du cru par des âmes créatives en quête d’un nouveau port d’ancrage. Un défi, car St Ives était alors une communauté très religieuse qui voyait ces nouveaux arrivants comme un peu trop bohèmes à son goût. On raconte même que des marins ont jeté à la mer les œuvres de certains artistes qui osaient peindre le dimanche, avant que la situation ne s’apaise enfin. «En 1938, deux peintres, Borlase Smart et Leonard Fuller, ont décidé de créer une école, et aujourd’hui encore, nous partageons ce bâtiment avec des pêcheurs, qui entreposent leurs filets et leur matériel dans les caves», poursuit notre hôte. Nous voilà réunis, quatre aquarellistes inexpérimentés, sommés de choisir l’un des chefs-d’œuvre de Turner à copier. Intimidés, nous? Si peu!
Copies (presque) conformes
Qui a jamais douté de la légitimité de la copie est vite détrompé. Choisir une palette d’à peine trois couleurs, peindre un cercle chromatique, étudier et imiter les coups de pinceau géniaux de Turner… Cela paraît simple, mais la courbe d’apprentissage est himalayenne. Le professeur ne cesse de montrer et de dire des choses qu’il faudrait noter, mais les mains sont occupées par la peinture, les pinceaux et beaucoup d’eau. A l’heure du déjeuner, Hilary nous encourage à mettre le nez dehors. C’est avec le cerveau qui crépite et ce plaisir qu’on n’atteint qu’en apprenant de nouvelles choses que l’on part se sustenter. A la fin de la journée, certains en sont déjà à leur neuvième aquarelle, d’autres à leur troisième, mais alors même que l’on commence tous à maîtriser la technique, il faut passer aux «nocturnes» et au papier brun… et tout réapprendre. Retour à la case départ, peut-être, mais avec de superbes nuances à la clé, et si Hilary souligne, rieuse, que nous sommes légèrement plus lents que la moyenne, qu’à cela ne tienne: on a plusieurs jours devant nous.
En plein air
La liste du matériel nécessaire pour peindre en plein air ne précise pas la folie logistique que cela implique quand le vent souffle sans discontinuer et qu’il faut parcourir le dédale des rues de St Ives à la recherche d’un endroit plus ou moins abrité. On n’a pas assez de deux mains pour porter papier, crayon, pinceaux, peinture, eau et buvards, d’autant qu’on ne dispose que d’une demi-heure pour l’exercice, ce qui ajoute au tout un stress étonnamment agréable. Reste que le lendemain, on choisira tout de même de se munir d’une veste aux nombreuses poches faisant office d’atelier portable – mais gare à ne pas sous-estimer le vent, dont une bourrasque manque d’emporter pinceaux et palette. Pas de quoi refroidir notre enthousiasme, salué par Hilary, qui applaudit le choix de «couleurs puissantes» tandis qu’on s’applique à peindre des rochers qui ne ressemblent à rien, mais dans lesquels on met tout notre coeur (et une généreuse quantité de grains de sable charriés par le vent). Le ressenti rappelle l’exaltation de jouer dans un endroit interdit, enfant, la concentration en prime.
Passer trois jours sur la même activité est un luxe incroyable, à notre époque effrénée, et on termine l’exercice sur un «carrousel d’aquarelles», où chacun travaille une minute sur sa peinture avant de poser le pinceau et de passer à celle du voisin. Le résultat: 15 minutes d’hilarité, cinq œuvres éclatantes de spontanéité et le rappel qu’au fond, rien de ceci n’est très sérieux. On quitte l’atelier, et St Ives, avec le sentiment que beaucoup peut être accompli, que rien ne «doit» l’être, et qu’on puisera dans les enseignements de ces trois jours de cours pour les années à venir.
Plusieurs St Ives en un
Depuis le café du Tate Museum, surplombant la ville, on se rend compte à quel point la partie la plus ancienne de St Ives est exiguë. Sur la péninsule en forme de queue d’hirondelle, les petites maisons de pêcheurs sont serrées les unes contre les autres comme – excusez le jeu de mots – des sardines dans une boîte. Aujourd’hui, la plupart de ces cottages sont des maisons de vacances, St Ives étant un lieu de villégiature extrêmement populaire. Des milliers d’excursionnistes viennent pour ses plages ou ses excursions en bateau. Tous essaient de ne pas se faire voler leurs fish & chips ou leurs glaces par les mouettes. Il y a les randonneurs qui parcourent le sentier côtier de Cornouailles, et les surfeurs qui attendent les grosses vagues de l’Atlantique et font du shopping dans les magasins de souvenirs. On entend partout l’accent des écoles privées, et beaucoup de ces cottages de pêcheurs – aujourd’hui résidences secondaires – sont décorés dans le style japonais. Pensez à Knokke, avec ses bars à cocktails branchés et ses adresses gastronomiques.
Et puis il y a Art-St-Ives. Ce village, où vécurent des gens comme la sculptrice Barbara Hepworth et où Turner, Whistler et Rothko vinrent en visite, compte à peine plus de 5.000 habitants, mais possède sa propre antenne de la Tate et toute une série de galeries influentes. Non seulement les amateurs d’art et les peintres du dimanche y viennent en vacances, mais des dizaines d’artistes y vivent et y travaillent encore. Cet endroit représente beaucoup de choses pour beaucoup de gens. En tant que tel, il est parfait: on y mange bien et on y discute avec des gens fascinants, dans un paysage époustouflant qui non seulement donne envie de peindre, mais qui peut aussi s’admirer pendant des heures.
Envie de vous initier vous aussi à l’aquarelle en Cornouailles?
En pratique
L’atelier Turner Sea and Sky est régulièrement programmé à la St Ives School of Painting et coûte environs 460 euros pour trois jours. L’école propose également d’excellents cours en ligne à partir de 25 euros. schoolofpainting.co.uk
Le site de l’Ecole de peinture rassemble des adresses d’hébergement, parmi lesquelles nous avons opté pour la Seaforth Guesthouse, une charmante maison d’hôtes britannique en bord de mer, dont les propriétaires Debbie et Carl accueillent chaleureusement leurs convives. seaforthstive.com
Nous avons d’abord voyagé jusqu’à Londres en Eurostar (à partir de 50 euros par personne), puis de Londres à St Erth (à partir de 96 euros par personne) par le Great Western Railway, soit un trajet en train d’environ 5h30. Le court trajet de St Erth à St Ives est l’un des plus beaux du Royaume-Uni.eurostar.com et GWR.com
À proximité
• La péninsule de Lizard. Un paysage à couper le souffle.
• Penzance. Cette ville avait sa propre colonie d’artistes, vous pouvez vous baigner dans le Jubilee Lido de style Art déco et c’est un excellent point de départ pour des sites pittoresques tels que St Michaels Mount, Mousehole et le Minnack Theatre.
• Bedruthan Steps. L’une des plus belles plages du monde, avec d’immenses rochers entre lesquels on peut marcher à marée basse.
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