Peut-on encore voyager en avion si l’on a une conscience écologique?

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Aurélie Wehrlin Journaliste

A l’heure où les questions de l’avenir de la planète et du réchauffement climatique semblent cristalliser l’attention de la plupart d’entre nous, une autre point à l’horizon : peut-on encore prendre l’avion, à la moindre occasion ou pour une grande occasion. Les médias s’emparent du sujet et pour certains se déchaînent contre un avion, tombé soudainement en disgrâce. Tour d’horizon de ces positions.

Il y a de plus en plus de touristes dans le monde, on n’a jamais autant volé, et ce n’est pas près de décroitre : le secteur du transport aérien connait une croissance exponentielle, à raison de 4 milliards de passagers en 2018. Un chiffre qui qui devrait être multiplié par deux d’ici 2040. En 2017, plus d’un milliard de passagers ont voyagé par avion rien qu’en Europe, soit une augmentation de 39% par rapport à 2009.

Au regard de la mobilisation actuelle sur la question du réchauffement climatique, la question de l’avion est vite devenue aussi cruciale que paradoxale. En quelques jours, les médias se sont emparés du sujet. Ainsi, le 11 février dernier, le journal français Libération offrait une tribune à l’auteur du manifeste stayontheground qui prône tout simplement le boycott de l’avion. La raison invoquée : « entre une année de vie en France (déplacements quotidiens pour aller travailler, chauffage, consommation électrique, alimentation…) et une semaine de vacances à Bali, mon impact sur le réchauffement du climat est strictement le même. Ne plus prendre l’avion, c’est supprimer un coût énorme pour le climat. » Son objectif à travers ce manifeste : être cohérent : « Nous faisons chaque jour des efforts pour limiter notre impact environnemental et réduire notre empreinte carbone. Nous pratiquons le covoiturage, nous baissons notre chauffage, nous isolons nos habitations, nous remplaçons nos voitures par des vélos électriques quand nous le pouvons. Tous les efforts que nous faisons au cours d’une année entière sont ruinés dès lors que nous montons dans un avion pour un vol long-courrier. Si nous consommons local parce qu’un kiwi de Nouvelle-Zélande vendu en France nous paraît fou, ne gâchons pas tout en prenant l’avion pour partir en vacances. Ne plus prendre l’avion, c’est lier nos actes à nos discours. » Enfin l’auteur de conclure « Ne plus prendre l’avion, c’est être visionnaire ».

Quelques jours plus tard, Le Monde publie à son tour un article intitulé L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur. Pascale Kremer, l’auteur, y montre comment, pour le citoyen responsable qui élève actuellement la voix sur la question climatique à force de pétitions et de manifestations, « l’avion fait partie de ces petits arrangements avec la conscience écologique ». Elle évoque le paradoxe de cette classe suffisamment aisée et consciente pour opter pour un mode de vie écoresponsable, et pour pouvoir s’offrir des déplacements en avion, auxquels elle ne peut se résoudre à renoncer. « Ils ont renoncé aux coton-tige, au Nutella et même à l’harmonie scandinave de la cuisine depuis l’adoption du lombricomposteur et des moucherons qui vont avec. Alors pas question d’annuler le ­Paris-New York de cet été… Ils embarqueront avec les enfants, trop de bagages et ce léger sentiment de culpabilité qui gagne, depuis peu, ceux qui ont l’heur de voyager et de songer à leur ­bilan carbone. »

Cette question de l’avion est très sensible, et souligne même l’incohérence ­d’une frange de la population, tiraillée entre convictions et pratiques. « Car les ­accumulateurs de miles sont aussi ceux qui ont la volonté, les moyens, de manger bio et de rouler à vélo électrique. »

La honte de voler devient un sujet sur les réseaux sociaux et dans les universités : « sur Twitter pullulent les hashtags incitant à la détox aérienne ou témoignant d’une nouvelle « honte » de voler (#flyingless, #stopflying, #flightfree2019, #flugscham, #flygskam…). Des universitaires et chercheurs y mettent désormais en scène leurs épopées en chemin de fer, comme ces climatologues qui ont fondé le collectif No Fly Climate Sci (« Ne prenez pas l’avion, climatologues »).

Enfin, à l’instar de Julien Goguel (stayontheground), la conclusion se fait sur l’éloge des alternatives, en termes de transports et de style de vacances, où la micro aventure – dont on vous parlait il y a déjà quelques semaines : le dépaysement au coin de la rue: l’aventure, c’est la micro-aventure– devient le moyen d’accéder à une certaine cohérence entre convictions et actes. « Le voyage lent et de proximité, voilà qui est du dernier chic. En témoignent le boom du cyclotourisme ou le succès du guide Chilowé des « micro-aventures de plein air et de courte durée ». En Belgique, les terrains de jeux et d’aventure ne manquent pas, comme ceux croisés sur les Sentiers du Phoenix de Julien Libert dans les Ardennes, ou encore sur la Côte belge, à Liège, à Bruxelles, etc. « Kitesurf à la mer du Nord, vélo, balades en famille ou en version un peu plus engagée dans les Ardennes où il y a des tracés de dingue : il y a une vaste aire de jeu inexploitée« .

Face à ces insurrections, Geert Noels s’insurge, lui, dans l’Echo, contre la véhémence du discours émergent à l’égard d’un moyen de transport qu’il juge indispensable, notamment économiquement, pas si polluant que cela et donc injustement stigmatisé. Pour lui, l’air conditionné et les réfrigérateurs sont bien plus néfastes d’un point de vue climatique. « Leur impact environnemental est 16 fois plus élevé que celui des avions, et près de 50% supérieur à celui de la forêt vierge. »

La guerre des pro et des anti est donc ouverte.

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