Le dépaysement au coin de la rue: l’aventure, c’est la micro-aventure
Pour une dose de frissons, plus besoin de prendre une année sabbatique ou de devenir un expert de la survie en milieu extrême. Désormais, tout se trouve à côté de chez soi, pour un week-end ou même une journée. Tour d’horizon d’un phénomène qui pimente la vie.
Alastair Humphreys a accompli un tour du monde de quatre ans à vélo (75 000 km). Il a couru le Marathon des Sables dans le désert du Sahara et a marché à travers l’Inde et l’Islande. Mais ce qui lui a valu le titre d’Aventurier de l’année, décerné par National Geographic, c’est une série de feux de camp à quelques kilomètres de sa maison douillette. S’il y a bien une certitude que l’homme s’est forgée au cours de ses périples, c’est que l’aventure est avant tout un état d’esprit. Inutile, dès lors, de changer de fuseau horaire pour la vivre. Il a ainsi développé le concept de » micro-aventure » que d’autres appellent désormais » aventures miniatures » ou encore » aventures de poche « . Sa définition ? » C’est une expérience courte, simple, locale, bon marché mais néanmoins amusante, excitante, rafraîchissante, qui met au défi et nous apporte de la satisfaction. »
C’est également ce type d’expéditions de proximité qui a valu à l’auteur Olivier Bleys de rejoindre le cercle restreint de la Société des explorateurs français. Cet écrivain voyageur réalise un tour du monde par étapes, marchant chaque année plusieurs centaines de kilomètres avec tente et équipement sur le dos. Mais ce qui a pesé dans son dossier, ce sont ses tours de ville, ses randonnées qui le font partir de chez lui de jour et rentrer de nuit, ses explorations urbaines et autres expériences qui peuvent se vivre sans avoir besoin d’être un sportif de haut niveau ou de savoir allumer un barbecue sans briquet.
Bout du monde ou bout de la rue, Olivier Bleys estime que les deux démarches se ressemblent sur bien des points : » J’ai l’impression que les zones de mon cerveau qui s’activent sont les mêmes. J’ai un regard vraiment différent sur la réalité qui m’entoure, sur les paysages, sur les rencontres qu’on peut faire, c’est assez similaire. C’est la notion d’inscription dans un temps plus ou moins long et la présence ou non d’un lourd sac à dos qui font la différence. En dehors de ça, je vois surtout des similitudes. »
Se jeter des défis
Dans son livre, Les aventures de poche (1), il met en avant cette phrase de Proust : » Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux. » Pour changer de regard, il conseille d’enfiler une tenue adaptée à l’extérieur et à l’effort, qui permet de se glisser dans la peau de l’explorateur en sommeil. Une autre piste est de s’inventer des contraintes. Dans ses tours de ville, il s’impose par exemple de suivre rigoureusement les limites administratives de la commune choisie, s’exposant ainsi à des découvertes et des obstacles. » Cela peut s’apparenter aux jeux littéraires de l’OuLiPo ( NDLR : mouvement littéraire dont le nom complet est l’Ouvroir de littérature potentielle). De grands aventuriers font la même chose. Je pense à Mike Horn, qui a fait le tour de la Terre par l’équateur sans s’en écarter de plus de 400 m ; il mettait une rare obstination à rester dans cette bande-là. On peut multiplier à loisir ce type d’astreintes : un autre marcheur qui s’appelle Olivier Lemire relie des villages dont les noms vont ensemble, comme le hameau de Vivre et le hameau de Mort. »
Si le concept plaît, c’est en partie parce qu’il est plus polyvalent qu’un couteau suisse et ne nécessite pas d’être un baroudeur chevronné. En gros, il n’y a pas vraiment de règle : à chacun sa micro-aventure. Julien Libert est allergique à la ville, il est donc hors de question pour lui de faire du paddle sur un canal urbain quand il peut aller explorer les Ardennes. Les récits qu’il partage sur son blog Sentiers du Phoenix (2) sont 100 % verts. » Il n’y a pas de règle. Le but pour moi, c’est de se retrouver en pleine nature, mais quelqu’un d’autre préférera peut-être une aventure périurbaine. Il me semble important d’utiliser des moyens non polluants : marcher, prendre un vélo, un kayak, escalader une montage ou simplement passer une nuit entre père et fils autour du feu. On peut se retrouver seul ou le faire entre amis. Pour le côté sportif, il faut que ça réponde à ses propres attentes. Je pratique l’ultratrail, donc si je fais seulement 10 km de rando, je risque d’être frustré. Je ferai peut-être plutôt 30 ou 40 km avant de poser ma tente, mais quelqu’un d’autre peut s’enfoncer dans les bois sur 5 km puis s’installer sur une aire de bivouac ; ça sera aussi une belle micro-aventure ! »
Nouvelle zone de confort
Eprouver ses limites, où qu’elles se situent, accepter de se perdre un peu, de lâcher prise (et éventuellement le smartphone, pour les plus téméraires), découvrir des environnements méconnus ; la seule obligation est d’accepter une part de » risque « , d’inconnu. C’est ce qui fait le succès de ces escapades d’un nouveau genre… mais crée également un décalage entre idée sexy et réalité de terrain. Régulièrement sollicité par des lecteurs de son blog, Julien Libert a fini par organiser des randonnées en petit groupe. » C’est un peu étrange parce qu’il suffit de prendre une carte et de se renseigner un peu pour pouvoir le faire seul, mais beaucoup de personnes ont besoin d’être encadrées, d’être rassurées. C’est le paradoxe des micro-aventures, 80-90 % le font car quelqu’un l’a fait avant eux. Ils vont pouvoir reproduire le schéma et conserver une sorte de sécurité « , explique-t-il après avoir accompagné des participants ignorant souvent totalement les règles de vie dans la nature. » Pour beaucoup, c’est la première expérience de nuit sous tente. Ils se disent que c’est juste la forêt, mais quand la nuit tombe, que les bruits naissent et que l’on voit apparaître des yeux brillants dans le noir, les frayeurs nocturnes apparaissent souvent. »
» Cela draine vraiment un nouveau public « , note Jérémy Joncheray. Il est graphiste pour le guide Chilowé (3), un recueil de micro-aventures à la maquette très éloignée des traditionnels récits de rando qui piquent les yeux et au ton résolument décalé. » C’est un public qui n’a plus l’habitude d’aller dehors, passe énormément de temps devant l’ordinateur, avec les problèmes de posture, d’attention ou de vision qui en découlent. Ils se rendent compte qu’il sera plus bénéfique pour eux de prendre le temps de sortir et vivre quelque chose de différent plutôt que de perdre un nouveau week-end devant Netflix à regarder des séries. »
Belgique, vaste aire de jeux
Installé à Liège depuis quelques années, cet explorateur du quotidien est convaincu du potentiel de son pays d’adoption : » C’est intéressant parce que, ne serait-ce qu’avec les mouvements de jeunesse, cette culture est déjà présente en Belgique, d’une certaine manière. Il faut prendre conscience qu’à côté de chez nous, il y a des trucs exceptionnels. Pas besoin d’aller dans les Alpes ou de polluer en prenant l’avion pour faire des randonnées l’été. Le ski est peut-être la seule chose qu’on ne peut pas vraiment faire ici, à part parfois du ski de fond. Kitesurf à la mer du Nord, vélo, balades en famille ou en version un peu plus engagée dans les Ardennes où il y a des tracés de dingue : il y a une vaste aire de jeu inexploitée ! »
Les micro-aventuriers sont les premiers à le dire : derrière le concept, il y a pas mal de storytelling. Et c’est tant mieux. L’odyssée est aussi dans le récit et le succès de ces expéditions de proximité est probablement né en partie d’une envie de réenchanter le quotidien. L’aventure de poche, c’est une invitation à retrouver l’implication naïve et l’euphorie d’un enfant qui prépare soigneusement son paquetage pour planter sa tente au fond du jardin. C’est aussi accepter de renouer avec la peur des monstres en se confrontant à l’inconnu et à une nature que beaucoup d’entre nous fréquentent peu. Heureux les plus farouches et les moins aguerris car ils auront à chercher encore moins loin cette petite dose d’aventure qui fait les grandes histoires.
(1) Les aventures de poche, par Olivier Bleys, éditions Hugo Doc, 176 pages. olivierbleys.com
(3) Chilowé, communauté et guide papier (le premier volume est à destination des Parisiens mais de nombreuses idées sont aisément transposables). www.chilowe.com
Cap’ ou pas cap’ ?
Vous voulez tenter l’expérience ? Commencez par vous faire confiance, définissez vos propres règles et faites taire toute envie de contrôler ce qui se passera avant même d’avoir commencé. Voici quelques pistes pour nourrir votre soif d’inconnu en version compatible avec les charentaises ou potentiellement sauvage.
Dormir à la belle étoile
Terrain de jeu. Votre propre jardin/terrasse peut faire l’affaire mais si vous vivez en pleine ville, la pollution lumineuse risque de vous gêner.
Règles. Embarquez votre sac de couchage et passez la nuit dehors. Pour ceux qui souhaitent vivre l’expérience tout en restant à l’abri d’éventuelles intempéries, l’Observatoire Centre Ardennes propose une initiation à l’astronomie couplée à une nuit dans une bulle extérieure ou dans le dôme du planétarium. Le bonus : vous saurez ce que vous regardez, parce que, soyons honnête, pour un aventurier en herbe, reconnaître la Grande Ourse ou Cassiopée, c’est moins facile que ça en a l’air sur YouTube.
Aller voir la mer
Terrain de jeu. Une mer. Ou un océan (mais ça sera plus long).
Règles. Cette aventure prendra une tout autre tournure si vous êtes domicilié à Arlon ou à Dixmude ! Choisissez votre monture : vélo ou baskets qui courent vite et n’hésitez pas à monter dans un train pour vous rapprocher de l’objectif (ou pour revenir). Le principe est juste d’avoir un prétexte pour avaler des kilomètres, comme des croquettes aux crevettes avec le ricanement des mouettes en bande-son.
Variantes. Aller voir l’embouchure de la rivière qui coule en bas de chez soi, rendre visite à sa soeur qui vit dans la province d’à côté, découvrir la micro-brasserie qui vient d’ouvrir, etc. Ça marche avec tout.
Faire un dessin
Terrain de jeu. Une zone relativement ouverte et dégagée. Une forte densité de ravins ou de propriétés privées entourées de barbelés serait un obstacle.
Règles. Chargez une application qui enregistre votre parcours grâce à un récepteur GPS (My Tracks, Runtastic…) ou munissez-vous d’une carte et d’un crayon. Déterminez la forme que vous voulez donner à votre parcours : étoile, coeur, spirale, hirondelle… Il ne reste plus qu’à marcher en essayant de respecter ce tracé imaginaire, en n’oubliant pas de regarder autour de soi.
Variante. Noircir la carte. Si vous vivez en ville, vous pouvez emprunter toutes les rues de votre quartier (ou plus).
Travailler au vert
Terrain de jeu. Sur un banc au bord d’un lac, sur un plaid en pleine forêt, face à la mer ou juste dans le parc en bas du bureau. Selon la nature de votre travail, une bonne réception 4G à partager avec votre ordinateur peut s’avérer utile, tout comme un lieu pour recharger la batterie dudit PC.
Règles. Si votre emploi est compatible avec le télétravail, il n’est même pas nécessaire d’attendre le week-end. Décidez juste que demain, vous bosserez dehors. Alors oui, c’est de la micro-micro-aventure mais on parie que ça vous fera du bien et que vous aurez des choses plus amusantes à raconter devant la machine à café le lendemain que si vous vous étiez contenté de votre place habituelle dans l’openspace.
Autres pistes
Heureux hasard. Aller tout droit ou tourner ? A gauche ou à droite ? Jouez tout à pile ou face.
Un marathon de marche. La première fois, le messager était impatient d’annoncer la victoire contre les Perses mais aujourd’hui, rien ne presse. Marcher 42 km, c’est déjà un bel objectif.
Construire une cabane. Rendez-vous dans la forêt la plus proche et érigez un abri avec les moyens du bord. Ça marche aussi avec les igloos, en cas de neige (mais c’est plus technique).
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