Les souvenirs de vacances, une autre manière de voyager

© PIETER VAN EENOGE

Comme ils semblent loin, les paysages sauvages irlandais, les tom kha gai de Bangkok ou les plages de Santa Monica. Voyageurs moins mobiles, on se replonge dans nos réminiscences de vacances. Mais peut-on leur faire confiance ?

Qu’on les ait racontés à la machine à café avec la trace des lunettes de soleil sur le nez, repostés sur Instagram en plein confinement ou puisés dans notre mémoire pour s’évader, les souvenirs de vacances sont souvent tout en superlatifs. Derrière chaque coucher de soleil idyllique, se cache probablement un enfant fatigué parce qu’il avait refusé de faire la sieste, un GPS déboussolé ou une ampoule au pied, qui n’a pas apprécié qu’on le traîne sur 5 km dans des tongs. Peu importe, on l’affirme si convaincu que convaincant : ces vacances étaient juste géniales. Professeur à l’université de Breda, Jeroen Nawijn a mené de nombreuses recherches sur le bien-être lié aux vacances et invoque l’une des mécaniques classiques de notre cerveau :  » Les gens se rappellent des événements de manière globale, surtout quand ils sont loin dans le temps. En termes de mémorisation, y compris des vacances, on a tendance à oublier les petites choses qui se sont produites et à se souvenir de l’impression générale et/ou des pics d’expérience émotionnels.  »

« On peut tous vivre la même expérience mais en retenir des choses très différentes. Notre cerveau s’attardera sur ce qui nous intéresse.  » Hedwige Dehon

Serait-on donc tous des champions pour passer de bons moments en vacances ? Bien sûr, certaines personnes rapportent un stress du voyage, de légers problèmes de santé, des difficultés relationnelles ou un choc culturel. Et il n’est pas socialement très admis d’avoir détesté son périple. Mais globalement, l’expérience tant attendue serait réellement positive.  » Les gens se sentent vraiment mieux durant les vacances, a pu mesurer le chercheur. Je pense que c’est parce qu’ils ont plus d’autonomie. Ils peuvent décider où aller, avec qui et que faire, au moins un peu plus que dans leur vie quotidienne.  »

Chacun ses obsessions

Unanimement satisfaits, nous revenons pourtant d’un même voyage avec, dans nos valises, des souvenirs différents de ceux de nos compagnons d’expérience. D’un moment de farniente sur une jolie placette, l’un retiendra la couleur du parterre de fleurs, l’autre le cépage du vin commandé et un troisième reparlera de l’ancien du village qui lisait son journal trois tables plus loin.  » On peut tous vivre la même expérience, mais en retenir des choses très différentes, résume Hedwige Dehon, docteur en sciences psychologiques à l’ULiège. Notre cerveau s’attardera sur ce qui nous intéresse. Si je vous montre une table avec une centaine d’objets et que vous avez soif, vous avez plus de chances de voir les boissons que quelqu’un d’autre. Si vous êtes un collectionneur et que vous voyez des objets d’art, ça va plus vous intéresser que quelqu’un d’autre.  »

Aucun rapport avec la performance de la mémoire, donc, dans le tri qui est opéré. Ce qui fait en revanche qu’un souvenir traversera le temps, c’est l’attention que l’on porte à un moment. C’est la clé du mécanisme.  » Il faut aussi que cela soit important, précise la spécialiste. Si vous viviez intensément tous vos petits déjeuners, mais que vous mangez toujours la même chose, ça va être compliqué pour votre cerveau de se souvenir du petit déjeuner du mardi ou du vendredi.  »

Quête de nouveauté

Scientifiquement, c’est plutôt l’adolescence et le début de l’âge adulte qui seraient en tête de notre panthéon de souvenirs

Plus c’est exceptionnel, plus c’est nouveau, plus notre cerveau va donc avoir tendance à graver le moment. C’est d’ailleurs pour cela que, proportionnellement, nombre de nos souvenirs sont liés aux vacances, car c’est souvent un temps de découvertes. Nous avons parfois l’impression de revenir régulièrement à des moments liés à l’enfance, mais scientifiquement, c’est plutôt l’adolescence et le début de l’âge adulte qui seraient en tête de notre panthéon de souvenirs. Ce que les scientifiques appellent le  » pic de réminiscence  » se situe entre la 15e et la 30e année, période riche en nouvelles expériences. CQFD.

Il est toutefois possible de mélanger plusieurs réminiscences. Et c’est normal. Votre compagnon de voyage ne se souvient pas du tout de cette magnifique plage corse située à quelques mètres d’un champ d’olivier et sur laquelle vous avez vu un crabe ? Peut-être n’existe-elle pas. Le cerveau est dessiné pour oublier autant que pour retenir, et comble parfois les trous pour assurer une continuité. Quand on parle de maintenir un souvenir vivant, on ne croit pas si bien dire ; c’est l’expression  » gravé dans la mémoire  » qui serait plutôt fausse.  » Vous ré-encodez systématiquement le souvenir. Plus vous allez en parler comme d’une expérience positive, plus les détails négatifs seront difficiles à retrouver. Et ce que vous apprenez a posteriori sur quelque chose que vous connaissez peut modifier le souvenir de l’expérience vécue « , explique Hedwige Dehon. L’experte a beaucoup travaillé sur les faux souvenirs et rapporte les propos de la psychologue cognitive américaine Elizabeth Loftus :  » Elle compare notre mémoire à une page Wikipédia ; vous écrivez une partie de la page, mais plein de gens peuvent venir y ajouter des détails sans que vous vous en rendiez compte.  »

Psycho: Les souvenirs de vacances, une autre manière de voyager
© PIETER VAN EENOGE

Brochure ou réalité ?

Dans la superposition de couches d’informations, l’anticipation des moments de vacances peut jouer un rôle très important. Une image mentale se construit au fil des consultations de guides touristiques et des rêveries sur Internet. C’est ensuite au cerveau de faire le tri entre ce qu’il s’attendait à voir et ce que vous avez réellement vu sur place. De la planification de l’itinéraire du road trip à la soirée débriefing au retour, tout est lié, comme l’explique Alain Decrop, professeur de marketing à l’UNamur et directeur du Centre de Recherche sur la Consommation et les Loisirs.  » Le souvenir est le quatrième stade de l’expérience. Il suit l’expérience de consommation en tant que telle (le moment des vacances, la plage, les visites). En amont, il y a aussi les expériences d’anticipation et d’achat qui sont parfois des moments chargés de sens, très impliquants. Pour certains, les vacances commencent déjà en ouvrant un guide de voyage.  »

Avec l’horizon de voyage très limité cette année, on va peut-être réactiver des souvenirs enfouis de vacances à la mer du Nord ou dans les Ardennes.  » Alain Decrop

Spécialisé dans le tourisme, Alain Decrop s’est intéressé en détails à la question des souvenirs physiques, notamment dans le cadre de la thèse de doctorat de Julie Masset. Mug  » I love NYC « , ticket de métro, galet ou guide griffonnés ; tous ces bibelots symboliques participent du même effet.  » Ils vont permettre de transférer le sens que l’on avait donné à une expérience de vacances de l’extérieur vers l’intérieur, la maison. Ils vont aussi faciliter la transition entre le temps off et le quotidien.  »

Ces ancrages physiques de bonheurs immatériels vont bien au-delà de pulsions consuméristes, ils participent activement aux processus de récollection des souvenirs. Et si cet article vous donne envie de fouiller dans votre boîte à trésors ou de vous attarder devant des photos, soyez attentifs à l’endroit où vous aviez rangé ces souvenirs. Leur emplacement raconte des choses :  » Certains atterrissent dans des lieux plus visibles de la maison comme le salon, d’autres dans des pièces plus privées comme la chambre. Certains souvenirs sont par exemple bien mis en évidence car ils ont une fonction sociale qui permet de rompre la glace, de lancer une discussion lors d’une rencontre.  »

Retour aux basiques

Reste à se demander si, vu le nombre d’albums de photos numériques commandés durant le confinement, le Covid-19 n’aurait pas boosté le business autour du souvenir de voyage, faute de nouvelles expériences. D’après l’expert en marketing, il faut plutôt y lire une occupation d’un temps disponible comparable à des découvertes de passions pour la pâtisserie ou la couture. Il prévoit un autre impact sur les souvenirs :  » Avec des voyage très limité cette année, on va peut-être réactiver des souvenirs enfouis de vacances passées à la mer du Nord ou dans les Ardennes, voire d’attractions que l’on n’a plus visitées depuis l’école primaire comme les grottes de Han.  »

Revivre les expériences passées prolonge à la fois l’expérience et la durée de vie d’une image ou d’une sensation immortalisée dans notre tête.Ce sera donc à nous de se créer de nouveaux super souvenirs de vacances, à quelques kilomètres de son domicile… ou chez soi. Les deux règles pour y arriver : injecter de la nouveauté et, surtout, être attentif à ce que l’on vit.

Faire durer le plaisir

Meik Wiking, président de l’institut de recherche sur le bonheur de Copenhague, a écrit un livre de conseils sur L’art de se créer de beaux souvenirs (First). En voici trois.

A vos tabliers. Créez un  » plat souvenir « . Il ne s’agit pas forcément de reproduire exactement un repas consommé lors des vacances : Meik Wiking associe par exemple un oeuf poché et des crevettes à une pleine lune contemplée à la fin d’une parfaite journée dans un petit port de pêche.

Chasse aux détails. L’émotion d’un moment vous donne envie de vous en souvenir durant longtemps ? Soyez attentif à tous les éléments de la scène (lumière, odeur, musique…), vous aurez beaucoup plus de chances de réussir à vous remémorer cet instant dans le futur.

Promenade dans les souvenirs. Se rappeler, c’est aussi transmettre. Et si la prochaine excursion avec un proche se passait sur un chemin de l’enfance ou votre ancien campus ? Remémoration de chouettes anecdotes garantie.

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