Pour sa deuxième édition, Les Passagées transforme à nouveau une maison historique de Saint-Gilles en un lieu de réflexion multi-sensoriel. Au programme: des performances pluridisciplinaires et les créations liquides de deux chefs d’exception, Hugo Roellinger et Willem Hiele.
« On va plonger les visiteurs dans une manière de vortex ». Alexandra Swenden, fondatrice des Passagées, résume d’une phrase l’esprit de My Ström, la nouvelle performance qu’elle orchestre du 12 au 18 décembre 2025 dans sa maison saint-gilloise. Conçue comme une immersion dans les flux liquides qui nous traversent et nous constituent, cette deuxième édition s’inspire directement du texte A Descent into the Maelström d’Edgar Allan Poe. Dans ce récit, un pêcheur pris dans un tourbillon découvre, au cœur de la catastrophe, un levier caché qui lui permet de survivre. C’est cette bascule – vertigineuse et initiatique – que Swenden souhaite provoquer chez le spectateur : une traversée sensorielle qui transforme le rapport au temps, à l’espace et au corps.
Fondatrice en mouvement
Avant de poser ses valises à Bruxelles, Alexandra Swenden a travaillé plus de dix ans dans l’industrie cinématographique à Paris. Elle y a multiplié les projets où le cinéma dialoguait avec d’autres disciplines, de la musique à la gastronomie. En 2012, elle cofonde Gelinaz!, un collectif international de chefs qui invente des happenings culinaires hybrides de New York à São Paulo en passant par Londres. En 2020, elle participe aussi à la création de Soilmates, initiative engagée dédiée à sensibiliser à la disparition de la terre vivante au travers d’expériences collectives.
De retour dans sa ville natale, elle fonde Les Passagées dans une maison patrimoniale de Saint-Gilles. Elle y conçoit un laboratoire pluridisciplinaire qui croise arts visuels, danse, musique et cuisine. « Mon envie est de travailler dans le temps long, à rebours des logiques événementielles », insiste-t-elle. Chaque création s’ancre dans une recherche collective et donne lieu à une performance immersive qui brouille les frontières entre spectateurs et artistes.
Organisme vivant
Le décor est une maison bruxelloise de 1904, anciennement habitée par le peintre Eugène Broerman, dont les fresques ornent encore la salle du conseil de l’hôtel de ville de Saint-Gilles. Ses murs imprégnés de mémoire sont devenus l’écrin d’une aventure artistique atypique. Rebaptisée Les Passagées, la bâtisse a accueilli en mai 2024 un premier cycle, Inner Lands & Scapes, qui explorait nos paysages intérieurs en mêlant piano préparé, danse urbaine, arts visuels et cuisine inventive.
En décembre, le lieu se métamorphose à nouveau en un organisme vivant, traversé de flux sonores, visuels et gustatifs. « Je voulais que le public soit déjà emmené dans le sujet avant même d’entrer », annonce Swenden. L’expérience commence donc à l’extérieur, dans l’espace public, avant d’immerger les visiteurs dans l’obscurité des pièces, transformées en vortex sensoriel.
Plonger dans les flux
Cette fois, la thématique est l’eau, élément universel qui compose autant notre corps que la Terre. « Nous sommes faits à 70 % d’eau, comme la planète, une rémanence de notre origine marine. C’est vertigineux de réaliser que nous sommes traversés par les mêmes courants », confie la fondatrice. Dans My Ström, le sel, le sable noir, les matières minérales ou encore les infrasons deviennent autant de rappels de cette continuité.
Au fil du parcours, les spectateurs découvrent les installations de l’artiste française Charlotte Charbonnel, qui sculpte la matière et les fluides. Ses œuvres monumentales, parfois conçues pour des abbayes ou des espaces sacrés, trouvent ici un nouveau souffle. Elles dialoguent avec les flux chorégraphiés du danseur belge Gilles Polet et du chorégraphe suisse Arno Ferrera, qui se sont appliqués à traduire la puissance des tourbillons au travers des corps.
La musique, elle, jouera un rôle prépondérant. Barbara Drazkov, déjà présente en 2024, revient avec son piano préparé, auquel se mêlent les tambours et le chant ancestral de la Japonaise Tsubasa Hori. « J’aimerais que les rôles s’inversent, que le public devienne actif, que les danseurs produisent aussi des sons, que tout se mêle », explique Swenden. « On traverse ce maelström ensemble. »
La mer dans les verres : Roellinger et Hiele
Moment phare de cette deuxième édition : les créations liquides de deux chefs dont l’univers est indissociable de la mer. Hugo Roellinger (3 étoiles Michelin, Le Coquillage à Cancale) a bâti une cuisine d’une rare intensité océanique, mêlant épices et mémoire bretonne. Le Flamand Willem Hiele (1 étoile Michelin) s’est imposé comme l’une des voix les plus singulières de la scène culinaire belge. En 2025, son restaurant figure à la 62e place du classement The World’s 50 Best Restaurants, confirmant son rayonnement international.
Aux Passagées, ces deux talents ne dresseront pas d’assiettes, mais proposeront des élixirs et préparations liquides au fil de la performance. « Contrairement à l’édition précédente, il ne s’agit pas d’un repas cette fois. C’était important pour moi d’inviter des cuisiniers liés à la mer, capables de traduire l’esprit du flux et de l’océan. Leurs créations liquides se mêlent aux sons, aux vidéos et aux gestes », souligne Swenden.
Ces interventions ponctuent le parcours, offrant au spectateur une expérience gustative en résonance directe avec les matières et les œuvres traversées. La cuisine liquide se fait ici langage sensoriel au même titre que la danse ou la lumière.
Une famille d’artistes
Pour construire ce maelström, Alexandra Swenden s’entoure d’une « famille d’artistes », fidèle à sa vision collective. Outre Charbonnel, Polet, Ferrera, Drazkov et Hori, on retrouve la dramaturge et comédienne Isabelle Dumont, la styliste Pascale Koehl, la graphiste Uma Naddermier, le créateur lumière Antoine Goldschmidt et l’ingénieur du son Olivier Pirlet, chaque médium se fondant dans une dynamique horizontale.
Cette approche refuse la hiérarchie des disciplines et l’effet spectaculaire. Pas de show calibré, mais une partition collective où artistes et spectateurs s’entremêlent. « L’idée, c’est d’être ensemble, dans le même flux. D’accepter l’incertitude et la perte de repères », insiste Swenden.
Ancrage local et dimension humaine
Si Les Passagées se vivent à huis clos, la maison dialogue aussi avec son environnement immédiat. Chaque année, un projet est mené sur la place Antoine Delporte, face à la prison de Saint-Gilles. « C’est une manière de relier les voisins visibles et invisibles, ceux du quartier et ceux de la prison. Ce n’est pas politique, mais profondément humain », précise la fondatrice.
Cette inscription dans le quartier reflète une conviction : l’art n’est pas un produit, mais un vecteur de lien. L’événementiel spectaculaire sature l’espace culturel ; Les Passagées misent, à rebours des logiques actuelles, sur le temps long et l’expérience intime.
Traverser le vortex
En décembre, le public de Bruxelles sera donc invité à se laisser happer par le maelström. Une heure trente durant, dans la pénombre, il partagera avec les artistes une traversée singulière et initiatique. L’ambition ? « Que chacun ressorte transformé, habité par une conscience accrue de son appartenance au vivant », espère la directrice artistique. « Ce qui m’intéresse, c’est cette prise de conscience », conclut Swenden. « Observer, sentir, comprendre que nous sommes faits des mêmes flux que la Terre. Et que l’art peut nous reconnecter à cette évidence. »
My Ström, Les Passagées, place Antoine Delporte 2, à 1060 Bruxelles. Du vendredi 12 au jeudi 18 décembre 2025. Réservations et informations: lespassagees.com Attention, les places sont limitées et l’édition 2024 avait affiché complet rapidement.